Controverse autour du renouvellement de la Cour Constitutionnelle en RD Congo   Prof André Mbata apporte l’éclairage à une Cour constitutionnelle hérétique

André Mbata Betukumesu Mangu, auteur du livre sur l’abolition de la peine de mort et le constitutionnalisme en Afrique, lu la constitution de la RDC lors de la présentation de son ouvrage le 11/10/2011 à Kinshasa. Radio Okapi/ Ph. John Bompengo

 

Le Président de la République et le Parlement congolais étaient déjà illégitimes. Le 4 avril 2018, c’était le tour de la Cour constitutionnelle dont les juges avaient prêté serment le 4 avril 2015. La Constitution prévoit un premier renouvellement du tiers de ses neuf membres par tirage au sort qui était annoncé pour lundi 9 avril 2018. Coup de théâtre, le tiers de membres de la Cour devenait indisponible avec le décès du Juge Yvon Kalonda Kele le dimanche 8 et la démission des Juges Jean-Louis Esambo Kangashe et Eugène Banyaku Luape le matin du lundi 9 avril 2018, le jour même du tirage au sort qui était alors reporté. Les commentaires allaient dans tous les sens, certains juristes et des médias nationaux et étrangers comme Actualite.cd, RFI, Jeune Afrique, et La Libre Afrique estimant ou laissant croire que le tirage au sort n’était plus nécessaire et que l’on devait tout simplement procéder à leur remplacement. Cette position a été confirmée dans un communiqué de la Cour constitutionnelle du 11 avril 2018 excluant désormais tout tirage au sort. Ce communique n’a pas clos les débats. Pour éclairer ses milliers de  lecteurs au Congo et dans le reste du monde, Kasai Direct a joint André Mbata Mangu, Professeur ordinaire à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa, Professeur de Recherche à l’Université d’Afrique du Sud, Membre du Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (CODESRIA), Membre du Réseau des constitutionnalistes africains et Consultant de l’Union africaine dans le domaine du constitutionnalisme et de l’Etat de droit. L’universitaire congolais est incontestablement l’un de meilleurs constitutionnalistes du continent.

 

Question : Prof André Mbata, vous n’avez  jamais été tendre envers le Président de la République, le Parlement ou le Gouvernement de la RD Congo.

Prof Mbata : Drôle de constat, mais ce n’est pas un problème d’affection. Je ne fais pas la science du ventre ni la politique du ventre non plus. Il ne saurait être question de « tendresse » lorsque la réflexion ou les échanges portent sur la vie d’un Etat ou d’une Nation. J’admets que j’ai souvent été « critique » envers le Président de la République, le Gouvernement, et le Parlement, mais nous n’avons pas de problèmes personnels ni d’«affection » et ma critique a toujours été une critique constructive. L’ère des Léviathans est à jamais révolue. Ils ne sont pas propriétaires de l’Etat, mais ses agents. Comme Mahmood Mamdani l’aurait si bien dit, nous ne sommes pas leurs sujets, mais citoyens de la République. Le Président de la République, les membres de son gouvernement et les parlementaires ont des comptes à nous rendre en tant qu’« agents de l’Etat » et serviteurs du peuple. Critiquer positivement les gouvernants pour les amener à mieux s’acquitter de leurs fonctions est un devoir patriotique pour lequel un bon citoyen ne devrait jamais être combattu, banni ou honni, mais félicité et même décoré. Ce devoir est encore plus grand pour des professeurs d’universités et d’autres « élites » qui devraient être des « intellectuels organiques » de leurs peuples, non pas des « intellectuels complaisants » des régimes autoritaires qui les exploitent, des garçons de course, des thuriféraires, des tambourinaires du pouvoir, des transporteurs des mallettes, des « yes man » ou de simples porte-parole des dirigeants. Les grands esprits n’ont pas à s’occuper des individus, mais des valeurs et des principes. Ainsi, ce qui m’intéresse au plus haut point, c’est la République.

Question : La Cour constitutionnelle n’a pas non plus échappé à vos critiques constructives!

Prof Mbata : J’avais dit à l’époque que la Cour constitutionnelle constituait avec le gouvernement et la Commission électorale nationale indépendante (CENI) les trois angles du « Triangle du glissement ». Je n’ai pas eu tort car plusieurs institutions continuent de fonctionner même si le mandat de leurs animateurs est depuis longtemps arrivé à son terme. C’est aussi le cas de la Cour constitutionnelle. A l’image des cours des pays de l’Afrique centrale comme le Congo, le Burundi, le Gabon, le Rwanda ou le Tchad, la Cour constitutionnelle RD congolaise n’a pas fait preuve d’audace et ne s’est pas encore véritablement émancipée du Président de la République, du Gouvernement, du Parlement ou de la coalition au pouvoir. Le devoir de « critique constructive »  d’un professeur de droit constitutionnel s’imposait donc aussi et même surtout envers une jeune Cour dont plusieurs juges découvraient le contentieux constitutionnel pour la première fois dans leur carrière.

 Question : Le renouvellement de la Cour constitutionnelle est l’objet d’intenses débats dans les milieux politiques, scientifiques et médiatiques, quel est le point de vue du constitutionnaliste?

Prof Mbata :       La base de la matière est l’article 158 de la Constitution et l’article 6 de la Loi organique no  13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle qui disposent : La Cour  constitutionnelle  comprend  neuf  membres  nommés par le Président de la République dont trois sur sa propre initiative,  trois désignés  par le Parlement  réuni en  Congrès et trois désignés par le Conseil  supérieur de la magistrature…Le  mandat  des  membres  de la Cour  constitutionnelle est de neuf ans non renouvelable. La Cour constitutionnelle est renouvelée  par  tiers  tous  les trois  ans.  Toutefois, lors de chaque renouvellement, il sera procédé au tirage au sort d’un membre par groupe. Le Président de la Cour Constitutionnelle est élu par ses pairs pour une durée de trois ans renouvelable une seule fois. Il est investi par ordonnance du Président de la République.

Question : Pensez-vous que le tirage au sort pour le renouvellement d’un tiers des membres de la Cour constitutionnelle soit encore nécessaire après de décès du Juge Kalonda et la démission des Juges Esambo et Banyaku ?

Prof Mbata : Une telle question présuppose que nous sommes dans un Etat normal avec des gouvernants légaux et légitimes. Les Congolais avouent que ce n’est pas le cas. La Cour constitutionnelle souffre du même syndrome et a rejoint dans l’illégalité et l’illégitimité les autres instituions de la République. Suivant l’article 7 de sa Loi organique, la Cour constitutionnelle devait être renouvelée par tiers un mois au plutôt ou une semaine au plus tard avant l’expiration du mandat de trois ans. Pour des juges qui avaient prêté serment le 4 avril 2015, ce renouvellement par tiers devait se faire avant le 4 avril 2018. En annonçant le tirage au sort pour le lundi 9 avril 2018, le Président de la Cour savait qu’ils ne pouvaient même plus valablement siéger et qu’ils étaient déjà dans l’illégalité.

 Question : Partons de l’hypothèse où l’échéance du renouvellement aurait été respectée, le tirage au sort serait-il encore fondé?

Prof Mbata : Le tirage au sort est constitutionnel et incontournable. Cette règle ne souffre d’aucune exception. Prétendre que le tirage au sort n’est plus nécessaire puisqu’un juge est décédé et deux autres ont démissionné, c’est faire preuve d’une ignorance criante du droit constitutionnel congolais. Ce ne serait pas la première fois mais j’ai peur que la Cour ne continue la série des hérésies, surtout si son renouvellement est basé sur des considérations politiciennes et non sur les mérites ou la compétence.

Question : Voulez-vous dire que le décès du Juge Kalonda  devrait être considéré comme un « non-événement »?

Prof Mbata : Ce déplorable décès est survenu plusieurs jours après l’expiration du délai constitutionnel de trois ans prévus pour le renouvellement de la Cour. Il faut aussi regretter qu’au Congo comme dans plusieurs autres pays d’Afrique francophone, les dirigeants consultent rarement les intelligences nationales ou africaines. Ils se plieront volontiers en quatre et organiseront des diners de gala pour recevoir l’un de ces étudiants européens ou américains dont j’aurais dirigé la thèse doctorale à Paris, Bruxelles, Londres, Lisbonne ou Madrid, mais ils n’auront aucun respect pour le « Maître » lui-même ! Au Congo – et ce n’est un secret pour personne -, plusieurs « Honorables(!) » Députés et Sénateurs viennent régulièrement dormir pendant les séances à l’Hémicycle et ne se réveillent que lorsqu’ils doivent débattre de leurs salaires et autres avantages. En outre, comme dans les cabinets ministériels, la plupart ont comme Assistants parlementaires des enfants, des frères, des beaux-frères, des sœurs, des belles-sœurs, des femmes, des maris ou  d’autres membres de famille sans aucune compétence. Au sujet du décès du Juge Kalonda, il est important de relever que les parlementaires congolais qui l’avaient adoptée et les juges de la Cour constitutionnelle qui l’avaient déclarée conforme à la Constitution étaient tellement paresseux ou intellectuellement fatigués qu’ils ne s’étaient même pas rendus compte que la Loi organique portant organisation et fonctionnement de la Cour n’avait tiré aucune conséquence juridique du décès d’un juge, se préoccupant uniquement de l’expiration du mandat et de la démission d’office, comme si les juges constitutionnels congolais allaient être éternels!

Question : Les démissions des Juges Esambo et Banayaku seraient-elles aussi sans effet ?

Prof Mbata : Les démissions des « juges professeurs » étaient attendues l’année dernière lorsqu’ils avaient refusé de siéger pour ne pas cautionner le « glissement des mandats » à travers le report des élections par la CENI ou dernièrement lorsque la même Cour a fait preuve de la plus grande soumission au pouvoir politique en refusant de déclarer inconstitutionnelles les dispositions de la Loi électorale qui dénient pratiquement aux indépendants le droit d’être élus députés nationaux ou provinciaux. Oublions la fameuse métaphore de « troisième penalty », mais quelle importance devrait-on accorder à des démissions intervenues le matin du jour même du tirage au sort alors que le renouvellement devait se faire depuis plusieurs semaines? Peut-on valider un but marqué par un joueur pendant la mi-temps ou après que le coup de sifflet final ait retenti ? Même si elle était intervenue avant, la démission volontaire est réglementée par l’article 28 de la Loi organique. Le juge démissionnaire adresse une lettre à la Cour qui en apprécie l’opportunité. Le Président de la Cour en informe le Président de la République, le Parlement et le Conseil supérieur de la magistrature. On sait qu’une démission peut être acceptée ou refusée. On sait également que la Cour constitutionnelle statue par voie d’Arrêts qui doivent être écrits, motivés et publiés au Journal Officiel (Articles 93 & 94), qu’une lettre ou un communiqué de son Président ne saurait se substituer à un Arrêt de la Cour constitutionnelle , que les audiences de la Cour sont publiques, sauf dans quelques cas (Article 91) et qu’elle siège valablement avec au moins 7 juges (Article 90). Qui peut nous dire quand la Cour constitutionnelle s’était réunie valablement pour apprécier l’opportunité des démissions des Juges Esambo et Banyaku? Le Président de la République, le Parlement et le Conseil supérieur de la magistrature qui ont été saisis par le Président de la Cour ont-ils reçus copie certifiée conforme d’un tel Arrêt de la Cour qui avait accepté ou pris acte des démissions des deux juges?

Le non-respect de la procédure légale exigeant que la Cour statuant régulièrement apprécie l’opportunité de la démission finit également par enlever toute valeur aux démissions des juges Esambo et Banyaku.

Question : Comment devait se faire le tirage au sort ?

Prof Mbata : L’article 116 de la Loi organique donne au Greffier en chef le pouvoir d’organiser le tirage au sort. Les noms des membres sont placés par catégorie de désignation dans trois urnes différentes. Le juge dont le nom figure sur un bulletin tiré de chaque urne sera remplacé. Le tirage au sort se doit se faire au cours d’une audience publique et non à huis clos, à l’Hôtel du Fleuve ou dans le bureau du Président de la Cour !

 Question : Ce tirage au sort concerne-il tous les 9 juges constitutionnels, y compris le Président de la Cour qui peut donc aussi être remplacé ?

Prof Mbata: La réponse est positive dans l’état actuel du droit constitutionnel congolais. Il suffit de relire la Constitution et la Loi organique. L’article 158 alinéa 3 dispose : « La Cour constitutionnelle est renouvelée par tiers…Toutefois, lors de chaque renouvellement, il sera procédé au tirage au sort d’un membre par groupe ». C’est donc toute la Cour, y compris le Président, qui doit être renouvelée et le Président est aussi membre d’un groupe. L’article 7 de la Loi organique est plus explicite lorsqu’il dispose : « Il est pourvu au remplacement de tous les membres de la Cour… ». La Constitution ne s’interprète pas comme le code civil, le code pénal, une loi ordinaire ou un simple acte administratif. On comprend alors aussi pourquoi n’importe quel magistrat, n’importe quel avocat, n’importe quel juriste et n’importe quel professeur de droit ne peut utilement siéger à la Cour constitutionnelle. Le renouvellement de la Cour devrait donc être pris au sérieux par le Président de la République, le Parlement et le Conseil supérieur de la magistrature qui doivent désigner trois nouveaux juges. Le processus devra être transparent comme cela se fait sous d’autres sérieux. « Nous, peuple congolais » avons intérêt à savoir qui est candidat et quel est son Curriculum Vitae. Les candidats devraient même être soumis à une interview, une présentation publique ou un débat contradictoire avant leur désignation par les autorités compétentes.

Question : D’aucuns affirment que le Président de la Cour constitutionnelle ne devrait pas faire l’objet du tirage au sort parce qu’il a un mandat de trois ans renouvelable et devrait donc conserver ses fonctions.

Prof Mbata : Soit, mais son mandat de trois ans est également arrivé à son terme! Se fier au caractère « renouvelable » du mandat pour faire échapper le Président de la Cour constitutionnelle au tirage au sort relèverait de nombreuses fraudes constitutionnelles auxquelles la Cour elle-même nous a déjà habitués. Après le tirage au sort ou à chaque renouvellement, un nouveau Président de la Cour doit être élu. S’il n’est pas « sorti » et conserve sa place comme membre de la Cour, le Président sortant devrait donner l’exemple d’un démocrate respectueux de la Constitution et de la loi en acceptant de rendre le tablier et de solliciter de nouveau les voix de ses pairs s’il veut se maintenir à la présidence. Le fait qu’un Président de la République soit élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois n’implique pas, par exemple, que le Président sortant soit nécessairement candidat à un second mandat ou qu’il soit d’office réélu. L’article 88 de la Constitution sud-africaine de 1996 prévoit également que le Président de la République est rééligible une seule fois, mais ni Nelson Mandela, ni Tabo Mbeki ni et Jacob Zuma ne s’était présenté pour une réélection.

Question : Etes-vous inquiet pour l’avenir de l’Etat de droit démocratique en RDC?

Prof Mbata : Pour l’écrasante majorité du peuple congolais dont je fais partie, La Cour constitutionnelle n’a pas encore convaincu. L’on s’acharne avec raison sur la CENI, son fichier électoral, son serveur et sa machine à voter ou « à tricher » selon les opposants. Cependant, les résultats définitifs des élections présidentielles et législatives sont proclamés par la Cour constitutionnelle et non par la CENI. En 2006 et 2011, cette Cour avait décidé qui devait être Président de la République, parlementaires ou Gouverneurs de provinces. En 2011, la « machine de la Cour » aurait même « fabriqué » plus de députés que le peuple souverain. L’exploit pourrait être réédité si la Cour ne changeait pas sa « jurisprudence ». Par ailleurs,   le fait que la Cour constitutionnelle est aussi juge du référendum ne devrait pas être négligé quand on sait ce qui s’est passé avec d’autres cours dans des « pays frères et amis » et des « Républiques très démocratiques » comme le Burundi, le Congo et le Rwanda. L’établissement et la consolidation d’un Etat de droit démocratique voulu par notre peuple à l’article 1 de la Constitution resterait un vœu pieux si nous ne pouvions pas compter sur des juges constitutionnels compétents qui aient l’audace de s’assumer et qui comprennent que le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif et que la justice est rendue au nom du peuple congolais.

Question : La Cour Constitutionnelle devra donc faire attention !

Prof Mbata: Le poète romain Juvénal a souvent été cité  dans ses satires: Quis custodiet ipsos custodes? Mais qui gardera les gardiens ? La Cour constitutionnelle a donc aussi des comptes à  rendre au peuple souverain. Ce n’est pas non plus parce que ses Arrêts sont sans appel que tout lui serait permis. L’Etat de droit postule que toute personne physique ou morale et tout acte est soumis au droit. Il en va de même des juges constitutionnels, de la Cour constitutionnelle et de tous ses actes qui doivent se conformer au droit et en premier lieu à la Constitution qui est la loi suprême du pays. Toute soumission aveugle au pouvoir politique ou aux impératifs du ventre de ses membres devra être rejetée pour que la Cour constitutionnelle ne se transforme pas en un groupe d’individus qui exerce le pouvoir en violation de la Constitution et auquel tout Congolais a le devoir de s’opposer en vertu de l’Article 64.

Question : Un dernier mot sur ce sujet ?

Prof Mbata : Le sujet relève du droit constitutionnel et même du droit constitutionnel approfondi qu’il faut expliquer dans des termes moins sophistiqués pour être compris de notre peuple. Le droit constitutionnel est une discipline scientifique à part entière. L’un de nos problèmes est que tout le monde se dit juriste capable de se prononcer avec autorité sur les questions de droit constitutionnel alors même qu’il n’en aurait aucune compétence. Bienheureuses sont les nations qui écoutent leurs intellectuels organiques. Vous n’avez pas vu ni entendu ici un analyste politique, un agent, un communicateur d’un parti politique, un intellectuel ou un professeur «de service » mais plutôt un modeste scientifique qui fait du droit constitutionnel et non de la science politique ou de la politologie.

Kasai Direct

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