RDC : petits arrangements entre amis dans le clan Kabila

Par  /Jeune Afrique

Selon un document que s’est procuré JA, la banque centrale a versé 7,5 millions de dollars à une société détenue par des proches du président Kabila en mai 2016.

Mettre en œuvre la politique monétaire, assurer la stabilité des prix, gérer les réserves officielles de la République… Les missions de la Banque centrale du Congo sont clairement définies sur son site officiel. Et jamais il n’est fait mention du financement d’entreprises privées.

C’est pourtant ce à quoi cette institution semble s’être adonnée si l’on en croit un relevé bancaire obtenu par Jeune Afrique. Le 16 mai 2016, l’établissement a en effet effectué un virement de 7,5 millions de dollars (6,6 millions d’euros) sur un compte intitulé Sud Oil Immo, domicilié auprès de BGFIBank RDC. Le compte appartient à Sud Oil, une discrète et mystérieuse société pétrolière. Le libellé de la transaction précise que le donneur d’ordre est la banque centrale elle-même, ce qui suggère que cet argent provient de ses fonds propres.

Une affaire de famille (Kabila)

Alors, qui sont les bénéficiaires de cette douteuse transaction ? Le procès-­verbal d’une assemblée générale de Sud Oil publié en mars 2014 au Journal officiel (JO) indique que deux femmes détiennent cette société. La première, Gloria Mteyu, en possède une part de 20 %. Congolaise née à Kampala (Ouganda), selon les informations portées au JO, elle était âgée de 32 ans au moment de la transaction. Fondatrice de la Kinshasa Fashion Week, elle est surtout la demi-sœur de Joseph Kabila.

Selon une enquête consacrée à la fortune du clan présidentiel – publiée en 2016 par Bloomberg en partenariat avec le Groupe de recherche sur le Congo de l’université de New York –, Gloria Mteyu détiendrait également 40 % de BGFIBank RDC.

La seconde actionnaire de Sud Oil, propriétaire d’une part de 80 %, se nomme Aneth Michaël Lutale (ou Aneth Dorah Lutale, selon les occurrences). Il s’agit d’une Tanzanienne (elle avait 30 ans au moment des faits) peu connue dans les milieux d’affaires congolais. Sur le site internet Global Health Delivery Online, elle apparaît en tant que « docteur » au sein de la clinique kinoise de Ngaliema. Mais le standard de celle-ci dit ne pas la connaître.

Son mari, en revanche, est plus connu : il s’agit de Francis Selemani Mtwale, frère adoptif de Joseph Kabila et directeur général de BGFIBank RDC.

Retraits

Le gérant de Sud Oil est également mal connu. Il s’agit de David William Ezekiel, un Tanzanien né à Dar es-Salaam le 10 novembre 1969 et résidant à Kinshasa.

Que sont devenus les 7,5 millions de dollars versés par la banque centrale ? Le relevé bancaire obtenu par JA, qui couvre une période allant du 29 avril 2014 au 18 juillet 2016, ne permet pas d’apporter une réponse pleinement satisfaisante à cette question. Il montre toutefois qu’une série de débits ont été effectués. Le plus important d’entre eux s’élève à 5,8 millions de dollars.

Deux citoyens belges, Marc Piedbœuf et André Grégory tirent des chèques de 640 000 dollars  et 1,1 million de dollars

Il s’agit d’un virement externe réalisé le 13 juin 2016 vers un compte de Kwanza Capital SA, une société codétenue par Sud Oil et Pascal Kinduelo, un homme d’affaires congolais très proche de la famille Kabila. Le même jour, un retrait anonyme a lieu, pour un montant de 2 millions de dollars.

Plusieurs autres retraits sont nommément attribués, en revanche. David Ezekiel retire ainsi 15 000 dollars le 16 juin 2016, puis 40 000 le 15 juillet de la même année. Deux citoyens belges tirent des chèques plus élevés encore : Marc Piedbœuf et André Grégory. Le premier encaisse 640 000 dollars le 25 mai 2016, soit neuf jours après l’arrivée des fonds de la banque centrale. Ce citoyen belge résidant en RD Congo est le gérant de la Ferme Espoir, propriété du président Kabila située près de Lubumbashi.

Le second effectue pour sa part un retrait par chèque d’un montant de 1,1 million de dollars le 20 juin. André Grégory, alias André Wan, est le gérant de MW Motors, une entreprise d’ingénierie mécanique, filiale du groupe de bâtiment et travaux publics congolais MW Afritec, géré par son père, Alain Wan, un ancien associé de Piedbœuf. Sa société, aujourd’hui en liquidation judiciaire, a obtenu par le passé de nombreux contrats publics.

« Les sociétés du président »

Interrogés par Jeune Afrique, André Grégory et Marc Piedbœuf affirment tout ignorer des retraits effectués en leur nom et ne connaître ni Sud Oil ni aucun de ses gérants ou propriétaires.

Ont-ils été victimes d’une usurpation d’identité ? Ont-ils obtenu ces chèques pour le paiement d’autres services sans connaître la provenance des fonds ? Ou bien cherchent-ils à couvrir un système dont ils sont partie prenante ? André Grégory Wan affirme que la société de sa famille a rompu tout lien d’affaires avec Marc Piedbœuf et cherche à fermer ses comptes à BGFIBank RDC.

Le gouverneur de la banque centrale, Deogratias Mutombo, a pour sa part refusé nos demandes d’interview. Son conseiller en communication nous a toutefois rappelé pour affirmer que « la banque centrale ne reconna[issai]t pas cette opération ».

Après ces multiples requêtes, JA a toutefois reçu un autre appel. Il émanait de Jean-Marie Kassamba, directeur général de la chaîne Télé 50 et communicant informel du pouvoir congolais. « Que se passe-t‑il ? nous a-t‑il demandé. Vous enquêtez sur les sociétés du président ? »


De l’authenticité de nos relevés

JA a obtenu un relevé du compte Sud Oil Immo sous la forme d’un fichier informatique extrait des livres de BGFIBank RDC, où il est domicilié. Ce document couvre tous les mouvements effectués entre le 29 avril 2014 et le 18 juillet 2016, date de son extraction. Les métadonnées de ce fichier indiquent qu’il a été créé à cette même date et qu’il n’a pas été modifié depuis. Il n’a donc subi aucune altération dans l’intervalle.

JA a en outre consulté trois experts du secteur bancaire congolais, dont deux anciens cadres de BGFIBank RDC. Parmi eux, le lanceur d’alerte Jean-Jacques Lumumba, à l’origine de la publication de documents internes de BGFI dans le quotidien belge Le Soir. Aucun d’eux n’a émis le moindre doute sur l’authenticité des documents.

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