Les messages du Sud-Kivu poussent à relire l’histoire pour  éviter la guerre perpétuelle (Suite et fin)

« Un peuple sans mémoire ne peut pas être un peuple libre. » D. MITTERRAND

sud kivuComme vers les années 1990/92, à Kinshasa, les politiciens et plusieurs organisations de la société civile parlent de démocratie et d’alternance. Ils n’écoutent pas les messages de la partie orientale du pays. Ils ont vite oublié qu’il y a eu  des ‘’accords de Lemera’’. Et que  les acteurs pléniers  et les acteurs apparents de la guerre raciste et de prédation menée contre le Congo-Kinshasa, eux, ont de la suite dans la poursuite de leurs objectifs. Vers les années 1990/92, à Kinshasa, les politiciens parlaient de la démocratie et de la conférence nationale jusqu’au jour où ‘’la guerre de libération’’ a pris plusieurs d’entre nous  au dépourvu.

La surdité à l’endroit des messages venant de la partie orientale du pays risque  d’enfoncer davantage  le Congo-Kinshasa dans un gouffre sans fond. Elle ne peut se justifier que par un refus conscient ou inconscient de revisiter et de questionner  notre histoire collective de ces trois dernières décennies. Bien longtemps avant les jeunes du Sud-Kivu qui viennent de s’adresser à Martin Kobler le 16 septembre 2015, Mgr Munzihirwa avait écrit  au président américain Jimmy Carter en relatant la tragédie du Congo-Kinshasa  et de la sous-région des Grands Lacs depuis les années 1990. Dans une lettre dont l’objet était le ‘’retour des réfugies rwandais et massacres massifs au Rwanda’’, il écrivait ceci :

«Au Rwanda, les conditions de détention des personnes arrêtées pour la plupart arbitrairement, dont des milliers de femmes et d’enfants, conditions connues du monde entier, sont abominables et inqualifiables (…)Tout comme d’autres l’ont fait, nous demandons l’ouverture d’une enquête internationale sur les massacres en cours au Rwanda : sur les massacres commencés depuis octobre 1990, sur les conditions de détention visant à la purification ethnique, sur la planification des détentions et des massacres… »[1] L’enquête internationale n’a jamais eu lieu. Depuis les années 1990, l’APR de Paul Kagame jouit d’une grave impunité.

Cette lettre de  Mgr Munzihirwa est historiquement importante. Elle situe ‘’la planification des détentions et des massacres’’ en octobre 1990 au Rwanda.

Du point de vue de la politique internationale, le mur de Berlin  tombe en 1989. Le Président Mitterrand tient son discours de la Baule conditionnant l’aide à accorder aux pays africains à leur ouverture à la démocratie en le 20 juin 1990.  Plusieurs pays africains (et leurs oppositions politiques) sont effectivement en train de se battre  contre les dictatures  et optent pour les conférences nationales souveraines afin de baliser un avenir démocratique pour le continent.

Ces luttes africaines pour ‘’la démocratie’’ semblent passer à côté d’un ‘’fait historique’’ de taille : la proclamation de ‘’la fin de l’histoire’’ par un  néoconservateur américain du nom de Francis Fukuyama. Cet oubli sera préjudiciable pour ‘’les fous de la démocratie’’ en Afrique et surtout dans la sous-région des Grands Lacs africains. Ils n’ont pas compris que ‘’la fin de l’histoire’’ symbolisait la domination unilatérale du monde par le néolibéralisme anglo-saxon.

Au Congo-Kinshasa, les artisans  et les partisans de la conférence nationale souveraine et de ‘’la démocratie’’ n’ont pas compris, à cette époque là que « les Etats-Unis apportent une aide financière et militaire importante à Kigali. (…) que 50 instructeurs américains contribuent à la formation des  soldats de l’armée patriotique rwandaise, comme l’écrit Mgr Munzihirwa. »[2]

Il y a d’autres témoignages allant dans le sens de celui de Munzihirwa. Ils n’ont malheureusement pas été pris en compte par Kinshasa. Au point que, quand ‘’la planification des détentions et des massacres’’ s’étend jusqu’à Bukavu et dans plusieurs autres coins du territoire congolais, les Congolais(es)  resté(es) sourd(es) aux messages venant de  la partie orientale du pays crieront : « Libérés, libérés, libérés, etc. »

Plus ou moins deux décennies après, la même situation est en train de se reproduire. En plus de ses infiltrations dans les institutions congolaises, le Rwanda de Paul Kagame occupe certains coins du pays à l’est.  Les proys de la guerre raciste et de prédation contre le Congo-Kinshasa tiennent  à la mise en pratique des ‘’accords de Lemera’’. Ils veulent, avec l’appui des acteurs pléniers de cette guerre,  déposséder le Congo-Kinshasa d’au moins 300 km de son territoire[3].  Pour dire les choses autrement, les initiateurs de la Conférence de Berlin veulent redessiner les frontières du Congo-Kinshasa par-delà leurs discours officiels, en se servant de leurs proxys.

Pendant ce temps, comme vers les années 1990/92, à Kinshasa, les politicards parlent de ‘’la démocratie’’, de ‘’l’alternance’’, du ‘’processus électoral’’, etc. Ils sont loin de comprendre que ‘’la démocratie’’ et ‘’les élections’’ constituent une distraction dans un contexte où la guerre économique entre les Etats-Unis, la Chine, la Russie et l’EU est en train de choisir le continent africain comme terrain de prédilection.

Ces politicards ont l’habitude de compter sur le changement des présidents américains en particulier et les présidents occidentaux en général pour croire en un éventuel changement de politique dans les pays africains grâce aux pressions exercées par ‘’les vielles démocraties’’. Ils sont plusieurs à ne pas voir et comprendre que de Jimmy Carter, en passant par les Bush et Obama, les présidents américains ont changé et que la guerre s’est perpétuée au Congo-Kinshasa. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que souvent, ces présidents sont au service de l’Etat profond anglo-saxon et des multinationales. Celles-ci ont besoin de la guerre pour plusieurs raisons : avoir un accès facile aux matières premières stratégiques par le pillage, avoir une main d’œuvre  corvéable à merci dans les pays en guerre,  couper aux éventuels concurrents l’accès à ce marché, etc.

Initier un mouvement anti-guerre, dans ce contexte, aiderait à aller au-delà des divisions partisanes pour s’attaquer au mal à la racine. Un pays comme le Congo-Kinshasa a besoin de s’allier à beaucoup d’autres dans cette initiative et à avoir certaines de ses fils et de ses filles qui n’auront comme travail que : « 1. Analyser et exposer les stratégies de guerre cachées par les médias. 2. Etudier les grandes pages de l’histoire des mouvements anti-guerre. 3. Et surtout, lier les guerres aux problèmes quotidiens des gens. Où qu’on se trouve, nous affrontons le même ennemi : les multinationales. Si on les laisse dominer le monde et toutes ses richesses, matières premières ou travail, l’écart riches – pauvres croîtra, et aussi la guerre qui sert à maintenir l’injustice. »[4]   Identifier ‘’les petites mains’’ de ces multinationales pour les mettre hors d’état d’agir serait aussi une tâche importante.

Les Congolais(es) ont donc intérêts à comprendre que les guerres menées contre leur pays par des proxys interposés sont celles des ‘’usurpateurs’’ ; c’est-à-dire celle des entreprises  transnationales qui, depuis les années 1990 sont en train d’usurper le pouvoir légitime en se servant des gouvernants visibles comme acteurs apparents ou garçons de course et de l’ONU comme instrument de neutralisation de toute velléité de souveraineté.

La Chine a compris cela. Là où ses intérêts sont en jeu, ses casques bleus intègrent les missions de l’ONU.  La Russie mène une diplomatie plus ou moins agressive pour sauvegarder ses intérêts et sa souveraineté.  Plusieurs pays africains   essaient de diversifier leurs partenaires stratégiques  pour résister aux ‘’usurpateurs’’. Le Congo-Kinshasa et ses politicards est encore à la traîne. Elle continue à croire, naïvement, en une communauté internationale imaginaire  pour rompre avec l’ordre néolibéral et néocolonial. Il ne comprend pas encore qu’il doit compter sur un grand mouvement citoyen pour renverser les rapports de force ou sur un leadership collectif sage, intelligent et responsable.

Actuellement, plusieurs de ses filles et fils parlent de ‘’démissions’’ et de ‘’coup de tonnerre’’ là où il est purement et simplement ‘’blanchiment’’ de ‘’nouveaux prédateurs’’ après celui de ‘’vieux dinosaures’’ mobutistes  superficiellement convertis au ‘’kabilisme’’. (Nous y reviendrons avec deux ou trois articles.)

 

Mbelu Babanya Kabudi

[1] C. ONANA, Ces tueurs tutsi. Au cœur de la  tragédie  congolaise, Paris, Duboiris, 2009, p. 109-110.

[2] Ibidem, p.110.

[3] http://ikazeiwacu.fr/2015/09/30/rdc-larmee-rwandaise-occupe-les-positions-ambadonnees-par-les-fardc/

[4] http://www.michelcollon.info/Obama-envisage-un-conflit-mondial,5416.html?lang=fr

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