Koffi Olomide : le texte, le contexte et la tradition musicale congolaise

Lire un texte en le situant dans son contexte est toujours un exercice périlleux. Le tollé soulevé par l’interview accordée par Koffi Olomide à  »Digital Congo » est un peu étonnant et compréhensible à la fois. Et suivre cette interview du début à la fin aide à se rendre compte de la façon dont un texte peut être réduit à sa plus simple expression au point d’en perdre une bonne partie de sa richesse. C’est cette interview est intéressante en tant que texte à scruter. Bien que fâchés contre l’orientation prise par la musique congolaise, nous devrions y rester attentifs. Elle fait partie de la culture congolaise. Elle forge les cœurs et les esprits. Pour le pire et/ou le meilleur.

Pour rappel, dans cette interview (https://www.youtube.com/watch?v=cbV1tru4nlM), Koffi Olomide ne parle pas que de  »la machine à voter ». Non. Elle traite des problèmes liés à ses orchestres et ses musiciens. C’est vers la fin qu’une question est posée au musicien congolais sur la politique congolaise. La voici :  »Par rapport à ton franc-parlé, tu peux aider ; ça, c’est une année électorale. Les gens attendent pas mal des choses de la part de nos musiciens, surtout ba majors lokola ba bino oyo. Soki bolobi likambo, ça va s’exécuter. Quelle est la lecture de Koffi Olomide par rapport à la politique congolaise ? »

Et Koffi Olomide répond :  »Tolukaki démocratie. To pratiquer yango…Par exemple, na ba votes oyo eza koya. Votes ezala libres et transparents. Soki olobi boye ozo trahir mutu te ». Et il pose une question (et je paraphrase le reste) :  »Quel est cet homme qui, après avoir été élu par tricherie, irait chez lui, se débarrasserait de sa chemise et mangerait  »les malewa » en étant fier de lui ? Même les amis qui viendraient lui soutirer de l’argent se moqueraient de lui. Machine à voter ou pas, ce qui importe est qu’il n’y ait pas de tricherie. Mieux vaut tenir compte des compétences des compatriotes que d’être fier d’être élu après tricherie. »

A la question de savoir s’il peut chanter pour l’un ou l’autre candidat, il répondra en disant que cela s’appelle  »prestation de services ». Il va chanter sans nécessairement partager les idées de celui qui aura loué ses services. Ce qu’il cherche, dit-il, c’est le cachet, l’argent (pour service rendu).

Lire un texte suppose des prétextes. Le lecteur a des attentes et des préoccupations auxquelles il veut avoir des réponses. Un texte peut être lu par simple curiosité. Les prétextes et le contextes peuvent influencer une lecture. Les compatriotes voulant avoir le point de vue de Koffi Olomide sur la machine à voter ont oublié les autres points abordés dans l’interview. Ils ne font même pas allusion à la question du journaliste sollicitant  »le franc-parlé » de l’artiste.

Les réponses de Koffi sur les votes libres et transparents, sur la tricherie à éviter et la promotion des compatriotes ayant des compétences et l’amour du pays sans qu’un seul camp soit privilégié sont partagées par des masses des Congolais(es).

Que cette interview ait mobilisé quelques minutes de  »la radio-télévision nationale » sur l’unique point de  »la machine à voter »en s’en prenant à l’artiste, cela interpelle. Cette interview intervient dans un contexte où  »toutes les forces vives » du Congo-Kinshasa s’apprêtent à organiser des actions pour le rejet de cette machine. Quand un artiste musicien de la trempe de Koffi Olomide parle ouvertement de cette question et dit ce qu’il en pense, cela crée de la panique dans le camp du  »mensonge systémique » ayant verrouillé l’espace public. Oui. Koffi a un public. Il est écouté et suivi. A tort ou à raison. Déverrouiller cet espace public est un enjeu de taille. Tout le monde doit pouvoir y participer. Les artistes musiciens y compris.

La panique que Koffi Olomide provoque dans le camp du  »mensonge systémique » révèle l’importance qu’il accorde à l’opinion publique. Il veut être le seul à la formater en marge de tout débat contradictoire. Koffi Olomide, à tort ou à raison, en sa qualité d’artiste musicien est  »un leader d’opinion ». Ses discours et sa musique sont suivis aux quatre coins du Congo-Kinshasa et même du monde. Il joue, dans  »les temples de la musique », le rôle rassembleur des cœurs et des esprits. Il joue un rôle  »religieux ». Il relie les cœurs et les esprits. Il crée du lien socioculturel.  »Il est dangereux » dans sa qualité de  »prêtre ». Au Congo-Kinshasa, les créateurs et les re-créateurs du lien sociopolitique et socioculturel sont réputés  »dangereux ». Munzihiriwa, Kataliko, Vincent Machozi et les autres compatriotes  »génocidés » depuis le début de la guerre raciste de prédation et de basse intensité menée contre le pays de Lumumba peuvent être cités comme exemple.

La panique provoquée par Koffi Olomide dans  »le camp du mensonge systémique » vient dire l’entrelacement qu’il y a entre le culturel, le religieux et le politique.

Pour rappel, les artistes musiciens congolais ont joué un rôle important dans la mobilisation des Congolais(es) en 1998. TOKUFA PONA CONGO (https://www.youtube.com/watch?v=sG_Y3qW4Vbc) fut  »une chanson magique » avant qu’il ne soit relégué aux oubliettes. Malgré  »son côté idéologique », cette chanson a pu dire comment l’art musical peut servir  »une cause juste » en résumant l’histoire de tout un peuple.

Koffi Olomide est à classifier dans cette tradition d’une musique ayant participé à l’échec de l’accaparement du Congo-Kinshasa par les sous-fifres des anglo-saxons en 1998. Cette année fut un tournant. Elle a été suivie de celle (1999) où l’ONU a envoyé sa machine à broyer toute résistance populaire au pays de Lumumba.

Koffi Olomide est à situer dans la longue tradition d’une musique recourant au langage de la dérision pour déjouer la vigilance de l’ennemi ou aux adages des ancêtres pour recréer le lien brisé entre les membres d’une même communauté.

Koffi Olomide participe, malgré tout, de cette  »nouvelle tradition » du  »cachet-pour-prestation-de services ». Son côté ludique participe de la gestion dévoyée des néocolonies par  »les négriers des temps modernes » recourant au pain et aux jeux pour rendre les citoyens et les citoyennes apathiques et incapables de devenir la masse critique urgente pour l’avènement d’un autre Congo.

Koffi Olomide représente le paradoxe d’une tradition musicale à la fois émancipatrice des chaînes esclavagistes et esclavagisante par sa promotion du pain et des jeux.

C’est au cœur de ce paradoxe qu’une autre race d’ artistes musiciens engagés pour la cause du Congo-Kinshasa est en train de naître portée par une musique traditionnelle s’inspirant encore du langage de la dérision.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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