La fracture congolaise actuelle n’est pas principalement tribaliste

 »Nkaya nlutatu ; babidi mbapité » (Etre deux est un atout)

Le débat sur le tribalisme revient sur le devant de la scène sociopolitique congolaise dans un contexte de crise de sens et de régression anthropologique très avancées. Et il dit toute cette histoire de décolonisation chaotique des imaginaires, du clientélisme et du débauchage sociopolitique sous le système nécolonial (perpétuel), d’échec d’intégration sociale et politique des anciennes nations congolaises, du manque d’Etat et d’une administration digne de ce nom, etc. Les élites organiques y participent. Elles ont l’obligation de prendre partie pour les masses appauvries. Cela n’est pas facile dans un  »non-Etat » où l’appauvrissement est une stratégie de soumission et d’assujettissement.

L’humain est un animal tribal. Sa tribu peut être liée à ses origines et/ou à ses potes. Ontogénétiquement, il est un être avec autrui. Cet autrui peut être le cercle restreint de ceux à qui il est lié biologiquement ou des potes. Ce petit cercle peut créer  »un entre-soi » excluant l’altérité. Tout comme il peut s’agrandir en créant un plus large réseau de relations incluant la diversité.

L’humain est à la fois un être pour soi, un être pour autrui et un être avec autrui. Il peut, culturellement, développer la dimension individualiste et  »l’entre-soi » tout comme il peut assumer sa triple dimension ontogénétique et apprendre à les combiner en conscience. Il semble que tout dépend de la culture qui le porte et le berce.

Mais aussi de l’organisation sociopolitique de la société où il est appelé à se réaliser en tant qu’une personne à part entière. Son histoire joue un rôle important dans la réalisation de sa destinée.

Culturellement, il y a des peuples bantous qui estiment qu’un véritable  »Muntu », c’est celui qui sait manger (avec autrui), boire (avec autrui) et promouvoir un mieux vivre-ensemble.

Cette culture n’est pas infuse. Elle est à acquérir par l’éducation et la formation permanentes.

La tentation du repli sur soi et/ou sur  »l’entre-soi » n’est pas spécifique à certaines tribus ou ethnies.

Elle est humaine. La montée des  »extrêmes » dans plusieurs parties du monde disent combien le refus et/ou le rejet de l’altérité est un phénomène humain.

Il peut se faire que des préjugés sur certaines tribus et ethnies soient beaucoup plus tenaces que sur d’autres. Ces préjugés peuvent être fabriqués et être mis au service de l’instrumentalisation politique ou économique ou tout simplement affairiste. Ils peuvent être mis au service du principe selon lequel il faut  »diviser pour mieux régner ».

De ce point de vue, quelques mois après son indépendance formelle, le Congo-Kinshasa est victime de cette politique. La décolonisation échoue. Les sécessions kasaïenne et katangaise en sont les signes. Instrumentalisés par le pouvoir colonial et ses sous-fifres tenant à l’équation selon laquelle  »après l’indépendance égale avant l’indépendance », les Kasaïens s’affrontent et se divisent en deux provinces ; le Katanga tient à devenir un pays séparé du reste du Congo-Kinshasa. Plus tard, en 1992, instrumentalisés par le pouvoir néocolonial et ses  »nègres de service », les Katangais chassent les Kasaïens qualifiés de  »chenilles » (Bilulu) du Katanga.

Cette histoire passée ne semble pas passer. Elle a tendance à être rééditée. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons. J’en cite quelques-unes. L’indépendance formelle n’a pas réussi à décoloniser les imaginaires. Ces imaginaires  »décivilisés » par l’éveil des bas instincts lié la malencontre entre le colon, ses  »nègres de service » et les paisibles populations congolaises ne sont pas guéris. Une thérapie collective et éthique recontructive des cœurs et des esprits ne sont pas (encore) venues réellement au secours de ces imaginaires détruits. L’unité de façade réalisée au cours de la période néocoloniale mobutiste est tellement fragile qu’un bête discussion entre les Congolais(es) peut trahir ces imaginaires violés.

Cela prouve à suffisance que  »le nous national » peine à s’affirmer autour des valeurs de la solidarité collective, de la coopération et de l’égalité fraternelle dans un contexte où  »la frérocité » ne tournerait pas au conflit meurtrier.

Cependant,bien qu’éduqué et cultivé, l’être humain porte en lui sa part de violence (animale). Il peut la gérer en recourant à l’action collective, à la parole partagée (critique et autocritique) et au temps (court, moyen et long) en sauvant la fraternité. Cette  »frérocité » sauve de l’ensauvagement collectif.

Mais là où les imaginaires souffrent atrocement de l’échec de la décolonisation, le conflit meurtrier est préféré à  »la frérocité ». Cela est un signe. Il signifie que l’intégration politique et sociale de nos nations traditionnelles est un échec jusqu’à présent.

Pour rappel, le Congo-Kinshasa est un pays  »multinational ». Il est traditionnellement composé des nations Kongo, Kuba, Lunda, Luba,etc. L’indépendance formelle n’a pas permis à ces différentes nations de se mélanger sur fond d’une matrice organisationnelle rationnelle et raisonnable. Aux sécessions kasaïenne et katangaise susmentionnées a succédé le débauchage et le clientélisme  »sociopolitiques » pratiqués au cours de la période nécoloniale mobutiste.

La gestion patriomonialiste du pays au cours de cette période a produit une unité de façade. Le slogan  »papa bo, moko »,  »maman bo, moko »,  »ekolo bo, moko » lancé régulièrement par monsieur Mobutu a servi pendant que ses parrains prenaient appui sur le Congo-Kinshasa pour gérer et/ou déstabiliser les pays voisins. Il n’a plus servi à grand-chose quand les mêmes parrains ont décidé de coaliser avec quelques pays voisins et des nègres de service congolais pour occuper le Congo, le démembrer , le pousser à l’implosion et exterminer les Congolais(es).

Le système néocolonial a tué l’école et l’université. L’application des programmes d’ajustement structurels y est pour quelque chose. Quand la guerre raciste de prédation et de basse intensité éclate au Congo-Kinshasa vers les années 1990, des masses des Congolais(es) sont déjà plongées dans une régression anthropologique et dans une crise de sens qui ne disent pas leurs noms. La guerre va les pousser à leur paroxysme.

C’est dans ce contexte de crise de sens et de régression anthropologique très avancées que le débat sur le tribalisme revient sur le devant de la scène sociopolitique congolaise. Et il dit toute cette histoire de décolonisation chaotique des imaginaires, du clientélisme et du débauchage sociopolitiques sous le système nécolonial (perpétuel), d’échec d’intégration sociale et politique des anciennes nations congolaises, du manque d’Etat et d’une administration digne de ce nom, etc.

Ce débat a un côté  »faux » et illogique. Il identifie quelques individus aux tribus et aux ethnies. Il cache, de temps en temps, le côté tribaliste de ceux et celles qui l’entretiennent. Il passe de la critique de quelques individus à la catégorisation de toute une tribu ou une ethnie. Il s’en prend, de temps en temps, aux origines tribales de quelques compatriotes pour nier l’importance de la tribu et de l’ethnie dans la constitution identitaire des individus. Il cultive un culturalisme cachant sa grande faiblesse.

La grave erreur que ce débat semble commettre me semble être celle de faire croire que la fracture congolaise se dessine actuellement entre quelques tribus et/ou ethnies. Non. La fracture sociopolitique se dessine, d’une part, entre  »le conglomérat d’aventuriers » ayant participé à la guerre raciste de prédation contre le Congo-Kinshasa, ses clients et ses parrains, toutes tribus, toutes ethniques et toutes races confondues ; et d’autre part, la masse des populations congolaises appauvries. Il s’agit d’une fracture entre le réseau d’élite transnational de prédation allié aux  »vieux dinosaures mobutistes » et les masses des populations assimilées aux  »indigents », aux applaudisseurs, aux thuriféraires et aux tambourinaires. Les forces du statu quo, de  »gauche » ou de  »droite » font partie ou de ce réseau d’élite ou de sa clientèle.

Cette fracture entre  »les nouveaux riches » et  »leurs clients » (adeptes du système néocolonial et néolibéral) et les masses populaires n’est pas facile à observer. Les capacités caméléonestiques du réseau d’élite de prédation sont énormes. Il mobilise énormément de moyens de nuisance. Les élites organiques s’en démarquent. Elles ont l’obligation de prendre partie pour les masses appauvries. Cela n’est pas facile dans un  »non-Etat » où l’appauvrissement est une stratégie de soumission et d’assujettissement. La lutte est âpre.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

 

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