RDC : Félix Tshisekedi construit sa marque de politique extérieure (Tribune)

Le président Félix Tshisekedi lors de la cérémonie d'échange de voeux avec les diplomates  accrédités à Kinshasa/Ph Présidence de la République
Le président Félix Tshisekedi lors de la cérémonie d’échange de voeux avec les diplomates accrédités à Kinshasa/Ph Présidence de la République

Le style de gouvernance du Président de la République Félix Tshisekedi se démarque nettement de celui de son prédécesseur. En effet, le Chef de l’Etat a présenté, vendredi 15 février 2019 à Kinshasa, les vœux annuels au corps diplomatique accrédité près la RDC. Il s’agit d’une pratique que l’Etat congolais avait rompue depuis maintes années. Pourtant, c’est l’occasion pour le premier responsable de la politique extérieure de l’Etat accréditaire (c’est-à-dire d’accueil) d’exprimer sa vision du monde et des relations internationales pour la nouvelle année, de décliner ses priorités diplomatiques auprès des Etats partenaires, de prodiguer des conseils aux uns et aux autres dans la perspective de la consolidation de la coopération, etc. Le silence longtemps observé par la RDC à ce propos a non seulement suscité de la gêne auprès de certaines chancelleries mais aussi constitué une source d’inquiétude du niveau de considération que la RDC a pour ses partenaires. La nature intrinsèque de l’homme d’Etat, facteur de décision en politique extérieur, détermine certaines postures, sans arrière-pensées.

Que le Président Félix Tshisekedi, investi à peine trois semaines écoulées, ait jugé opportun de faire une adresse, au titre de vœux, au corps diplomatique est non moins significatif. Cela participe on ne peut plus clairement à l’affirmation de son autorité et à l’expression de sa légitimité, à la suite des élections du 30 décembre 2018, en qualité de « symbole de l’unité nationale » (Cfr. Article 69 de la Constitution de la RDC). En effet, suivant l’article 88 (2) de la Loi fondamentale congolaise, « Les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui. »

Il va sans dire que c’est en vertu du bon-vouloir du Président de la République que les chefs de missions diplomatiques accrédités près la RDC tirent leur bon-droit sur le territoire congolais. L’article 9 (1) de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques (1961) dispose à cet effet que : « L’Etat accréditaire peut, à tout moment et sans avoir à motiver sa décision, informer l’Etat accréditant que le chef ou tout autre membre du personnel diplomatique de la mission est persona non grata ou que tout autre membre du personnel de la mission n’est pas acceptable. L’Etat accréditant rappellera alors la personne en cause ou mettra fin à ses fonctions auprès de la mission, selon le cas. Une personne peut être déclarée non grata ou non acceptable avant d’arriver sur le territoire de l’Etat accréditaire. »

Après le chaleureux accueil dont il a bénéficié au cours de la récente session ordinaire de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union africaine (UA) – la RDC « élue » à la 2ème vice-présidence de l’organe suprême de l’institution panafricaine -, le Président Tshisekedi est davantage conforté dans son pouvoir après cette « légitimation africaine ». Est-ce pour autant que « le débat postélectoral est aujourd’hui définitivement clos », comme l’a déclaré, tout enthousiasmé, le Ministre des Affaires étrangères She Okitundu ? D’après ce dernier, « le Chef de l’Etat est actuellement Président de la République de plein exercice en République démocratique du Congo ». Ceci insinue que la véritable légitimité du Chef de l’Etat congolais serait moins de l’ordre interne que des tractations diplomatiques sur la sphère africaine. Cette posture discursive contraste avec la vision souverainiste que le Ministre a, il y a encore quelques semaines, défendue à la suite du Président Joseph Kabila. Sera-t-on tenté de s’exclamer à la cicéronienne : « O tempora, o mores ! » ? …

Il est évident que la diplomatie congolaise devrait davantage s’employer à cerner et prendre la mesure de nombreux appels à « l’inclusivité » lancés à l’adresse du Chef de l’Etat. Ce dans un contexte d’attentes des signaux que le Président Tshisekedi devra donner de ses vraies intentions face à des enjeux et défis aussi majeurs que (1) l’avenir du Code minier débouté par les miniers, peut-être à tort, (2) les perspectives futures des rapports avec l’Union européenne, (3) le rythme de coopération avec le monde oriental, (4) la nature des relations avec les pays de la région des Grands Lacs, etc.

Dans la déclinaison de sa politique extérieure, le cinquième Président de la RDC est revenu sur ce sujet fâcheux : « Dans cet élan de dégel des relations entre la RDC et nos partenaires européens, je voudrais finalement lancer un appel pressant pour la levée des sanctions ayant concerné l’un ou l’autre responsable congolais particulièrement à la suite de la décision y relative du sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine de juillet 2017 », a-t-il fait à cet effet. Ce non sans préciser qu’il a d’ores et déjà « instruit » à la partie congolaise de « finaliser rapidement » les discussions pour la « réactivation » de la maison Schengen à Kinshasa.

Cet extrait est à l’origine d’une vive controverse sur la toile mondiale, pour n’avoir pas été lu par le Président de la République alors qu’il figure bel et bien sur le document officiel remis à la presse et, surtout, aux diplomates présents à cette cérémonie. La dissimulation relevant de la pratique diplomatique, il est imprudent de ne pas considérer ces quelques mots qui en disent pourtant long. Car ils constituent, au côté des marques de flexibilité et de bonne foi données par le Chef de l’Etat, la concession que la partie congolaise attendrait de la partie européenne. Il n’y a négociation que parce que les parties en présence sur le tapis vert échangent pour parvenir à un accord requérant des concessions mutuelles. Sans forcément que cela ne soit à part égale. Sinon, il s’agira de l’effet d’imposition ou de résignation. Le Président de la République étant le premier responsable de la politique extérieure du pays, il est comptable de ce document, du reste officiel. Sauf vive réaction d’indignation de sa part. Tel n’est pas encore le cas. La parenthèse ainsi fermée.

Il est répandu que les négociations pour la réouverture de la maison Schengen sont longtemps buttées au maintien des mesures restrictives individuelles – gel des avoirs et interdiction de visa pour l’UE – à l’encontre des personnalités civiles et militaires congolaises. L’alternance pacifique à la tête de la RDC pourrait-elle ainsi suffire pour persuader l’UE à reconsidérer ses prises de position sur la RDC ? C’est possible car la décision du Conseil de l’UE du 10 décembre 2018 est assortie d’une clause de rendez-vous. Ses mesures restrictives, dont la portée reste sujette à controverse suivant le Droit international, participent à mettre en évidence les limites des dispositifs normatifs dans la compréhensibilité des relations internationales.

La réaction de l’UE à la requête du Président Tshisekedi est d’autant plus attendue qu’elle pourrait suffire pour traduire la perception européenne non seulement des élections du 30 décembre 2018 mais aussi de la succession opérée au sommet de l’Etat congolais. Le Conseil de l’UE ayant résolu de réexaminer « à nouveau les mesures restrictives compte tenu des élections en RDC et (de) les adapter en conséquence ».

La posture diplomatique affichée par le Chef de l’Etat congolais en faveur des personnalités sous le coup de ces mesures de l’UE, notamment l’ancien candidat à l’élection présidentielle E. Ramazani Shadary, constitue une preuve de proximité « idéologique » en cours de construction entre l’ancien leader de l’opposition politique et celui avec qui il partage dorénavant « un sentiment patriotique commun ». Ceci participe à susciter, voire à renforcer la dissonance cognitive dans le chef de tous ceux qui s’évertuent à marquer des points de rupture et/ou de continuité au sommet de l’Etat.

Si, l’UE tarde à réagir, considérant que les mesures restrictives prolongées courent jusqu’au 12 décembre 2019, il est fort possible que piétinent les négociations entre les deux parties. Car la concession sollicitée par Kinshasa est d’une clarté qui pourrait, au pire, être perçue comme une atteinte à certaines susceptibilités diplomatiques. Bien plus, elle suggère de fait la ligne rouge que la partie congolaise ne saurait franchir sur le tapis vert sous peine de verser dans la compromission. Le Chef de l’Etat, qui ne dispose pas de majorité parlementaire propre, semble mettre en exécution sa promesse de ne pas afficher des attitudes revanchardes. Gentleman réputé et chrétien engagé, Félix Tshisekedi se laisserait ainsi inspirer par la « politique pardon » dont il ne peut se passer au bénéfice des relations interinstitutionnelles apaisées, du reste nécessaire à la stabilité de son pouvoir.

L’UE, qui avait passé outre les recommandations de l’UA ayant jadis appelé à la levée de ces mesures restrictives, peut se réserver le droit de ne pas répondre intégralement dans le sens souhaité par Kinshasa. Ceci pourrait plonger le nouveau pouvoir congolais dans un dilemme si, surtout, le positionnement argumentatif de son partenaire européen, appuyé par des puissants médias si bien implantés dans les structures mentales des Congolais, relève des considérations droit-de-l’hommistes sur fond de test de la détermination du Chef de l’Etat d’instaurer véritablement l’état de droit en RDC.

Il est stratégiquement utile pour le Président Félix Tshisekedi de s’inspirer subtilement de qualités oratoires de ses prédécesseurs Mobutu et Kabila père ainsi que d’explorer finement les vertus muettes du Président Joseph Kabila. Ce de manière à construire le nécessaire équilibre symbolique entre la quête de satisfaction des attentes du peuple et la prise en compte des desiderata des acteurs de la vie internationale sur la fonctionnalité de la RDC en tant de réalité sociologique sur l’espace international. A cet effet, le doigté politico-diplomatique s’impose à tous égards. Fort heureusement que le Chef de l’Etat en dispose des atouts et des ressources.

Martin ZIAKWAU Lembisa

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