Des rappels discutables au sujet de la corruption au Congo-Kinshasa

Il semble que l’un des points sur lequel plusieurs compatriotes sont d’accord aujourd’hui est que la corruption a atteint des proportions inimaginables au pays. Tout le monde essaie de s’en plaindre sans qu’un grand nombre y échappe. Mais la question sur laquelle les réponses divergent fortement est celle de savoir ce qui est corrompu dans l’homme congolais ou la femme congolaise.

La peur du livre et/ou son rejet conduit à éviter tout renvoi aux auteurs ayant étudié cette question en profondeur. Il devient de plus en plus difficile de parler des livres dans certains milieux congolais. L’une des raisons avancée pour justifier cette peur du livre et/ou son rejet catégorique est que  »les intellectuels congolais ont trahi ». Ils écrivent des livres, ils ont de gros diplômes et malgré cela, ils ont été au service des destructeurs du Congo-Kinshasa, affirment certains compatriotes. Il n’est plus possible, dans certains milieux congolais, de soutenir qu’à travers l’histoire, tous les régimes dictatoriaux, sanguinaires et tyranniques ont eu  »leurs intellectuels de la cour ». Et qu’il y a toujours eu aussi des  »intellectuels critiques ». Ce message ne passe presque plus.

Dans ce contexte, il ne servirait à rien par exemple de renvoyer ces compatriotes à deux livres d’Alain Deneault intitulés  »La médiocratie » (2015) et  »Faire l’économie de la haine. Essaie sur la censure » (2018).

Après l’avoir lu et à partir des faits, il est possible de soutenir que quand il est question de la corruption, il y a d’abord une altération radicale du principe existentiel de la chose et/ou de l’humain. La nature de la chose ou de l’humain transformée en profondeur devient méconnaissable. L’humain dont la nature ontogénétique est d’être un être avec soi, pour soi et avec autrui et pour autrui, opte pour  »la dissociété » en se recroquevillant sur lui-même.

Cela advient au bout d’un processus individualiste d’individuation, d’un enseignement de  »l’évangile de la prospérité » fondée sur le bonheur individualiste et du choix, conscient et/ou inconscient, d’une seule forme de richesse ; celle que permet l’argent.

En développant cette  »unidimensionnalité », l’humain rejette d’autres formes de richesse liées au savoir, à l’amitié, à la tendresse, à l’affection, etc.. Bref, il renonce aux formes de richesses liée à l’être au nom de son attachement individualiste à l’avoir. Tombé dans ce travers,il perd la boussole éthique et il croit qu’il peut acheter le reste : le savoir, l’amitié, la tendresse, l’affection, etc. Or, il arrive que la toute-puissance que l’avoir permet marche de pair avec la cupidité, l’avidité et le mépris des gens. Donc, l’humain dont la nature transformée en profondeur le vide de tout son être vit de l’achat des courtiers, des thuriféraires, des applaudisseurs et des tambourinaires renonçant, eux aussi, consciemment et/ou inconsciemment, à ce qui fait leur richesse ontogénétique.

Dans ce contexte, ce n’est pas l’avoir qui est fondamentalement en cause. C’est le rapport que l’humain  »dénaturé » entretient avec cet avoir et avec autrui. Dans cet ordre d’idées, s’attaquer à l’achat des consciences peut masquer la profonde altération des cœurs et des esprits. C’est elle qui doit prioritairement être  »soignée » afin qu’il y ait  »re-génération » de ces cœurs et de ces esprits ; qu’ils soient assainis. Il faut donc que le système (et de ses acteurs) ayant procédé à l’altération des cœurs et des esprits puisse être remplacé par un autre plus sain. Il faut qu’il y ait un changement de paradigme. Que le fondamentalisme du marché ayant avili l’humain cède la place à un système plus  »convivialiste » tenant compte de l’humain et l’ éduquant comme étant un être avec et pour soi et un être avec et pour autrui. Ceci prend du temps et beaucoup de temps. Il y va de  »la re-génération » de la famille, de l’école, de l’université et de l’église pour une bonheur collectif partagé. L’art peut y aider.

Pour éradiquer la corruption, il faut aller plus loin que les faits de vente et d’achats des consciences. Il faut essayer, tant que faire se peut, de réparer ce qui, en l’humain, est profondément détruit. Il lui faut  »une metanoïa » en profondeur. Ce n’est pas une mince affaire. Sans patience et courage -entendu comme cette vertu de l’endurance permettant de rendre l’impossible possible-, il sera difficile d’y arriver. Le changement du paradigme du fondamentalisme du marché n’est pas qu’un problème congolais. Il est transnational. D’où sa complexité. Il faut, à tout prix, commencer quelque part.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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