Mgr Munzihirwa et la guerre des Grands Lacs contre l’intelligence

Des compatriotes africains et congolais se rappellent que l’un des leurs, Mgr Munzihirwa, fut assassiné par l’APR de Paul Kagame le 29 octobre 1986 à Bukavu.

Plus ou moins dix mois avant cet assassinat, le 30 janvier 1996, Mgr Munzihirwa avait écrit une lettre à l’ex-président américain Jmmy Carter. Cette lettre avait pour concerne :  »Retour des réfugiés rwandais et massacres massifs au Rwanda. » Elle était un  »travail sourcé de l’intelligence ». Savait-il, en écrivant, comme le dirait George Orwell, que  »le crime de pensée est la mort » ? C’est possible !

Tout compte fait, Mgr Munzihirwa révèle, à travers cette lettre, que la guerre de prédation et de basse intensité menée contre les Grands Lacs Africains en général et le Congo-Kinshasa en particulier est (aussi) prioritairement  »une guerre contre l’intelligence ».

Voici ce qu’il écrit :  »Monsieur le Président, vous avez entrepris la tâche combien difficile de travailler à la paix dans la région des Grands Lacs, nous vous en remercions vivement. Comme les nouvelles qui continuent à nous arriver du Rwanda sont très inquiétantes, je voudrais vous entretenir de l’évolution actuelle de la situation dans les camps de réfugiés et à l’intérieur du Rwanda. (…) Nous savons de source sûre que plusieurs officiers de l’armée patriotique rwandaise (APR) basés dans le parc de l’Akagera et couverts par le pouvoir sont chargés des disparitions de personnes à opérer sur toute l’étendue du territoire. Cette planification des disparitions et massacres visent en priorité les intellectuels Hutu. » Et plus loin, il ajoute :  »Tout comme d’autres l’ont déjà fait, nous demandons l’ouverture d’une enquête internationale sur les massacres en cours au Rwanda : sur les massacres commencés depuis octobre 1990 sur les conditions de détention visant à la purification ethnique, sur la planification des détentions et des massacres…N’y a-t-il pas une intention manifeste de détruire en partie le groupe des Hutu, et certainement tous leurs intellectuels ? C’est d’ailleurs ce que le Burundi a fait en 1972 et continue à faire actuellement. » (C. ONANA, Ces tueurs Tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009, p.109-110. Nous soulignons)

 »Savoir » et  »de source sûre », tel est l’un des péchés capitaux des intellectuels  »fouineurs ». Ce qu’ils écrivent est sourcé. Ils sont constamment à la recherche des sources, ils les multiplient, les comparent et en partagent les résultats. Une certaine interdisciplinarité en guide la lecture. Souvent, ils en payent le prix. Il peut être fort.Même très fort. L’assassinat de Mgr Munzihirwa en témoigne. Il nous aide à questionner  »la thèse officielle » de  »la malédiction des matières premières » ; thèse selon laquelle la guerre des Grands Lacs est une guerre des trans et des multinationales soutenues par  »leurs petites mains politiques » pour s’emparer des matières premières stratégiques. Elle nous aide à comprendre que cette guerre de basse intensité et d’usure est  »prioritairement » menée contre la matière la plus précieuse :  »la matière grise » des filles et fils des Grands Lacs Africains.

Notons en passant que Mgr Munzihirwa, dans sa lettre, plaidait la cause des Rwandais. Lui, pasteur et intellectuel congolais va être assassiné par l’armée patriotique rwandaise de Paul Kagame (dont certains membres se retrouvent infiltrés, aujourd’hui encore, dans plusieurs institutions congolaises) !

Donc,  »la planification des disparitions et massacres » ne visaient pas en priorité que les intellectuels Hutu. Mais aussi ceux des autres pays des Grands Lacs comme l’Ouganda, le Burundi et le Congo-Kinshasa. Son assassinat et plusieurs autres de ses compatriotes en témoignent.

 »Savoir » et  »de source sûre », cela dérange énormément les planificateurs des guerres de prédation et de basse intensité. Ils n’hésitent pas face au meurtre des dérangeurs, des  »empêcheurs de pensée en rond », des  »tiya mutu bakata ».

Mgr Munzihirwa savait aussi ceci :  »De plus, les Etats-Unis apportent une aide financière et militaire importante à Kigali. On sait que 50 instructeurs américains contribuent à la formation des soldats de l’armée patriotique rwandaise. » Prenant le destinataire de sa lettre à témoin, il écrit :  »Et vous le savez certainement, c’est avec la logistique et du matériel américains que les soldats de l’APR ont attaqué, la nuit du 06 au 7 novembre 1995, les pauvres paysans hutu habitant l’île d’Iwawa, située en territoire rwandaise près de Goma. » (Ibidem, p. 110)

 »Savoir » et  »de source sûre », prendre à témoin  »ceux qui savent ce qui se passe de l’intérieur », cela dérange énormément ceux qui orchestrent le chaos contre l’intelligence dans les pays qu’ils méprisent et veulent soumettre.

Heureusement que cette lettre de Mgr Munzihirwa a été conservée et archivée. Elle fait dorénavant partie des documents pouvant instruire la mémoire des filles et fils des Grands Lacs Africains sur la nature de la guerre menée sur leur sol, sur ses commanditaires, ses planificateurs et ses sous-fifres.

Cette lettre permet de comprendre que cette guerre d’usure puisse servir  »la promotion des médiocres » au cœur de l’Afrique depuis les années 1990, la (re)conversion de plusieurs  »intellectuels » en leurs tambourinaires et thuriféraires ; mais aussi la fabrication des faux diplômés dans plusieurs universités congolaises. En effet,  »la promotion des médiocres » dans cette partie de l’Afrique marche de pair avec la propension de plusieurs  »intellectuels » pour  »la mangeoire de la médiocratie », l’assujettissement des populations appauvries et la banalisation du  »savoir sourcé ».

Des masses populaires assujetties sont aussi fanatisées et invitées à la danse du ventre pour  »les médiocres ».

D’une certaine manière, il serait tentant de soutenir que la guerre de basse intensité menée contre l’intelligence serait en train d’atteindre ses objectifs : coloniser les cerveaux, assujettir les masses, effacer de la mémoire collective les noms des planificateurs et des sous-fifres de cette guerre, plonger  »les intellectuels » re(convertis) à  »la médiocrité » dans le dégoût des choses de l’esprit, etc. Heureusement que  »les minorités éveillées, organiques et co-structurantes » ne dorment ni ne sommeillent…D’autres Munzihirwa se lèvent chaque jour au cœur de l’Afrique et entretiennent le devoir de mémoire tout en aimant  »le savoir sourcé ». Et  »les médiocres » commencent à avoir peur. Ils devraient apprendre à se méfier de toutes ces  »Fondations internationales pour la paix » incapables de protéger la vie.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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