Un traité d’amitié violé. Il y a 60 ans déjà !

Quelques jours seulement après la proclamation de l’indépendance formelle du Congo-Kinshasa, une sécession a lieu. Le gouvernement Lumumba arrive à la mater avant qu’une agression extérieure vienne annihiler ses efforts au détriment d’un traité d’amitié signé en bonne et due forme.

En effet, l’envoi des troupes métropolitaines dans le Katanga en sécession se fait en violation d’un traité d’amitié signé entre la métropole et le Congo-Kinshasa. Cela ressort d’un télégramme du gouvernement congolais a envoyé à l’ONU par le canal de son représentant à Léopoldville (Kinshasa). Jules Chomé le reproduit comme suit :

« Le gouvernement de la République du Congo sollicite envoi urgent par organisation ONU d’une aide militaire. Notre requête est justifiée par envoi au Congo de troupes métropolitaines belges en violation traité amitié signé entre Belgique et République du Congo 29 juin dernier. Aux termes de ce traité, les troupes belges ne peuvent intervenir que sur demande expresse gouvernement congolais. Cette demande n’a jamais été formulée par le gouvernement de la République du Congo. Considérons action belge non sollicitée comme acte agression contre notre pays. Cause réelle de plupart de troubles être provocation colonialiste. Accusons gouvernement belge avoir minutieusement préparé sécession katangaise dans but de garder main sur notre pays. Gouvernement appuyé par peuple congolais refuse être placé devant fait accompli résultant de conspiration tramée par impérialistes belges et petit groupe leaders katangais.

Ecrasante majorité population katangaise est opposée à sécession qui signifie perpétuation déguisée du régime colonialiste. Aide militaire sollicitée a pour but essentiel protection du territoire national contre actuelle agression extérieure menaçant paix internationale. Insistons vivement sur extrême urgence envoie troupes ONU au Congo. » (J. CHOME, L’ascension de Mobutu. Du sergent Joseph Désiré au général Sese Seko, Bruxelles, Complexe, 1974, p. 44-45)

Ce télégramme indique clairement qu’un traité d’amitié signé la veille de l’indépendance du pays est violé quelques jours après dans un but déterminé : avoir la mainmise sur le Congo-Kinshasa après une préparation minutieuse de la sécession. Cela est rendu possible par  »une conspiration tramée par des impérialistes belges et un petit groupe de leaders katangais ».

Cette alliance transnationale, notons-le, est une constante de la vie politico-économique du Congo-Kinshasa depuis l’indépendance jusqu’à la guerre de l’AFDL. Il y a toujours eu d’une part des  »parrains » et de l’autre  »une minorité de filleuls ». Les uns ont des objectifs bien définis, bien planifiés ; et les autres les accompagnent dans leur réalisation aux dépens de leur territoire national. Les luttes et les divisions internes au pays sont entretenues par cette alliance transnationale.

Le fait que  »ces agents de l’étranger » soient  »minoritaires » est à la fois une force et une faiblesse. Il est une force dans la mesure où il facilite leur capacité de réunion, de concertation, de décision et de captation illicite des richesses du pays et des pots-de-vin leur permettant d’entretenir une clientèle paupérisée, tribalisée et/ou ethnicisée, prête à les applaudir ou à encenser  »leur réussite ». Il est une faiblesse dans la mesure où ces  »minorités au service de l’étranger » peuvent être facilement désintégrées par des masses populaires éduquées patriotiquement et alphabétisées politiquement et aidées par des forces de sécurité républicaines. Au moment de la sécession katangaise, le pays n’en était pas tout à fait à ce niveau…

Face aux tergiversations de l’ONU dans la quête de la paix au Congo-Kinshasa, Lumumba « menace de faire appel à des pays amis, des pays afro-asiatiques, par exemple, voire l’URSS elle-même, si les Etats-Unis refusent l’aide que son voyage à Washington, au lendemain de la Résolution du 22 juillet, lui avait laissé espérer. » (Ibidem, p. 49-50)

Lumumba pense à la possibilité de créer une alliance transnationale différente impliquant des pays afro-asiatiques et l’URSS. Cette  »menace » est proférée au cours de  »la guerre (dite) froide ». Lumumba sait-il que l’un des protagonistes de cette  »guerre »(l’Amérique du Nord) a décidé qu’il serait l’unique superpuissance du monde et que compte tenu de ce  »statut » auquel il aspire, il applique dans plusieurs pays  »le principe de la pomme pourrie » ?

Qu’en est-il réellement ? « Selon le principe de la pomme pourrie, n’importe quel pays, quelle que soit sa taille, qui peut échapper à la domination globale américaine et se développer de façon indépendante ou, encore pire, choisir de privilégier le bien-être de sa population, est dangereux, car ce pays pourrait servir d’exemple à d’autres -d’où l’idée d’une « infection » qui se propage. » (J. BRICMONT, Noam Chomsky,activiste, Paris, Aux forges de vulcain, 2014, p.32-34).

Cette réalité géopolitique semble échapper à Lumumba. Il croit dans  »le droit international » prônant l’égalité souveraine entre les Etats et pense que cela permet à son gouvernement de pouvoir s’assumer de manière responsable dans la prise des décisions concernant le pays. Même s’il sait, par ailleurs, que le Congo-Kinshasa est  »un enjeu mondial », il ne semble pas prendre très au sérieux la dimension géopolitique de sa lutte. Est-il bien renseigné là-dessus ? Je ne sais pas.

Le fait d’avoir pensé à un possible changement d’alliance fera davantage de lui un homme à abattre. (Son rapprochement de leaders du panafricanisme et de la Tricontinentale avait déjà révélé sa dangerosité bien avant le 30 juin 1960.)  »La nation exceptionnelle » va s’impliquer dans son assassinat. Elle le niera pendant longtemps avant que les documents déclassifiés du Foreign Relations of the United States l’attestent vers fin 2013. « En janvier 2014, le département d’Etat des Etats-Unis a reconnu son implication dans le renversement et l’assassinat de Patrice-Lumumba. (…) A l’époque, ce qui compte, c’est que la partie est gagnée, il n’y aura pas de dérive au Congo vers l’URSS (…) » (A. LIBERT, Les sombres histoires de l’histoire de la Belgique, Bruxelles-Paris, La boîte à Pandore, 2014, p. 431)

L’application du  »principe de la pomme pourrie » évite au Congo-Kinshasa de  »se développer de façon indépendante »,  »de privilégier le bien-être de sa population » et de faire appel aux amis de son choix. Cet appel  »libre » est vu comme étant  »une dérive ».

Soixante ans après, est-il possible de soutenir que le pays de Lumumba n’est plus sous le coup de ce principe ? Qui est  »le coach » des  »dirigeants congolais » actuellement ? Parviennent-ils à faire librement appel aux amis de leur choix ? Qui est membre du réseau transnational de prédation au cœur de l’Afrique depuis la guerre de l’AFDL et perpétue  »la dette odieuse » du pays ?

Ces questions peuvent nous aider à tenter des réponses à même de nous permettre d’évaluer la marche de notre pays aujourd’hui. La présence de l’ONU sur notre territoire depuis plus de deux décennies n’est-elle pas un signe de sa néocolonisation et de sa mise sous tutelle ? (Lire J.-C. WILLAM, Les « faiseurs de paix » au Congo. Gestion d’une crise internationale dans un Etat sous tutelle, Bruxelles, Complexes, 2007)

Rappelons que le gouvernement Lumumba, malgré le soutien populaire dont il jouissait, n’a pas pu garantir la paix et la sécurité sur tout le territoire congolais. Ce soutien populaire n’a pas pesé de tout son poids dans la balance des rapports de force imposés par les impérialistes et les colonialistes sur le moyen et le long terme. Eu égard à cela, l’une des questions qui se pose à notre pays aujourd’hui est celle-ci : « Comment arriver à transformer les masses populaires en un soutien (aux gouvernants) capable de renverser les rapports de force aux cours de luttes politiques, géopolitiques et géostratégiques comme cela se passe ailleurs ?»

En effet, dans quelques pays ayant résisté à l’application du  »principe de la pomme pourrie », des masses éduquées patriotiquement et alphabétisées consciencieusement et politiquement ont participé du renversement des rapports de force bien que difficilement. Le Cuba et le Venezuela peuvent être cités en exemple.

Le premier petit pays est une île. Il résiste au blocus made in USA depuis plus de cinq décennies. Le Venezuela porté par ses filles et fils ne cesse d’échapper à plusieurs coups d’ Etat. Il porte la marque du chavisme. Il est en grande partie le produit de  »7 péchés » commis par Hugo Chavez. (Lire M. COLLON, Les 7 péchés d’ Hugo Chavez, Bruxelles, Investig’Action, 2009)

Pour avoir renversé avec les masses populaires  »la pyramide hiérarchique » de telle façon que  »le peuple d’abord » devienne un fait palpable dans son pays, Hugo Chavez, le prédécesseur de Nicolas Maduro ,a donné à ce peuple en alliance civico-militaire (avec son armée) le goût de la fierté et de la lutte permanente pour son émancipation politique.

Ces deux pays essaient, tant que faire se peut, de compter sur eux-mêmes, sur leurs liens bolivariens et sur de nouvelles alliances géostratégiques. Sur ce point, la Syrie leur emboîte le pas.

Le Venezuela et la Syrie prennent aussi appui sur le professionnalisme de leurs armées et de leurs experts en géopolitique et en géostratégie. Le Congo-Kinshasa en a plus que besoin.

Il est possible d’apprendre de ces pays et de reconduire le rêve de Lumumba : faire appel aux pays amis afro-asiatiques, en commençant par refonder la souveraineté étatique afin de pouvoir négocier avec eux d’égal à égal et non en position de mendiant. L’Eurasie est indispensable à l’avenir d’un monde de plus en plus multipolaire.

Il serait souhaitable de reconduire ce rêve de Lumumba tout en étant très critique à l’endroit de sa foi naïve dans  »les traités » signés avec les pays dits amis et dans l’ONU. Pourquoi ? Il arrive souvent que  »les traités » et  »le droit international » soient appliqués différemment. Le poids militaire et économique pèse beaucoup dans leur application. L’ONU, infiltrée par les lobbies des multi et transnationales, perd de plus en plus en efficacité.

Elaborer des principes juridiques spécifiques au pays et être prêts à les mettre en pratique contre l’application discriminatoire des  »traités » et du  »droit international » serait une tâche devant être assumée par des masses éduquées patriotiquement et alphabétisées politiquement en communion avec leurs femmes et hommes d’Etat. Surtout lorsque ces  »traités » et ce  »droit » vont à l’encontre de la paix, la dignité et la protection des terres congolaises.

Soyons toujours disposés à nous rappeler que notre histoire nous enseigne que  »la guerre perpétuelle » menée contre le Congo-Kinshasa depuis les années 1960 participe de  »guerres secrètes de la politique et de la justice internationales ». (Lire F. HARTMANN, Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales, Paris, Flammarion, 2007)

Former des citoyens éveillés, des historiens, des géostratèges et des géopoliticiens conscients de la marche passée et actuelle du monde est indispensable au Congo-Kinshasa.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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