Les rues de Kinshasa et le vide du pouvoir-os

 »Congolais, tala sima, zonga moto »

Avec les marches des FCC et de l’UNC de ce 23 juillet 2020, tous les partis politiques congolais et quelques associations de la société civile auront été dans les rues de Kinshasa et de certaines de nos provinces. Tous ont fait  »le plein ». Les FCC soutiennent qu’elles sont à la fois majoritaire dans la rue congolaise, dans les institutions nationales, provinciales et dans les entreprises. Mais elles marchent quand même contre  »la dictature » ! Pourtant, il semble que ce sont elles qui auraient donné  »le pouvoir » à Fatshi béton et que c’est  »leur autorité morale » qui dirigerait le pays. Comment se fait-il alors qu’elles marchent contre  »la dictature » ? Si Fatshi béton est la marionnette de  »leur autorité morale » et qu’elles marchent contre lui, c’est qu’elles marchent contre  »leur autorité morale ». Donc, elles marchent contre elles-mêmes. Qu’est-ce que cela voudrait bien dire ?

L’UDPS, le LAMUKA, le CACH et les FCC ont marché. Tous sont allés chercher la majorité populaire dans la rue. Qu’est-ce que cela pourrait vouloir dire pendant que l’Est du pays est à feu et à sang ? Cela pourrait dire qu’il y a chez nous un entretien de  »l’illusion fougueuse », comme dirait Bénédicte Kumbi (http://www.ingeta.com/lillusion-fougueuse/ ) à la place de l’aveu que les fameuses institutions mises en place sont vides de contenu. Que le Congo-Kinshasa est un  »Etat manqué ». Qu’iraient-ils chercher dans les rues de Kinshasa si leurs instituions étaient réellement légitimes et efficaces ?

D’une certaine façon, ces marches prouvent à suffisance les limites atteintes par le processus affairo-mafieux (vicieux et vicié) dans lequel le pays est engagé depuis l’intensification de la guerre de prédation et de basse intensité avec l’implication de l’AFDL en 1996-1997.

Ces marches prouvent que le pouvoir est vide dans le chef des proxies et autres marionnettes utilisés dans cette guerre menée contre les Grands Lacs africains par  »l’impérialisme intelligent ».  »Nzita » Hammer peut calmement manger ses mbala et danser le mutuashi à Kinshasa. Il sait dorénavant que le projet des  »mondialistes » de créer un  »Etat raté » au cœur de l’Afrique a réussi.

Ces marches peuvent être la preuve que notre folie collective a atteint un niveau de non retour. Plongés dans la déni du vide de pouvoir-os, nous nous produisons dans les rues comme des zombies en avalisant une grave déresponsabilisation de plusieurs compradores congolais et africains ayant accepté de jouer le rôle de proxies et de marionnettes dans cette guerre destructrice de nos terres et de notre identité collective.

Sans une thérapie collective, nous ne nous en sortirons pas. Aussi avons-nous transformé la crise de sens que nous traversons depuis l’assassinat de Lumumba en une débâcle. Certains mots et certaines expressions que nous utilisons dans les rues de Kinshasa sont vides de sens.

Nous disons par exemple que certains d’entre nous ont le pouvoir sans en définir collectivement le contenu. Que signifie le mot  »pouvoir » ? Qui peut dire qu’il a  »le pouvoir » ?

Le pouvoir me semble être un ensemble de capacités propres (souveraines) rendant possible l’action transformatrice de soi, de son milieu, de sa terre, etc. Il s’agit des capacités morales, éthiques, politiques, sociales, matérielles (économico-financières), spirituelles, culturelles, judiciaro-juridiques, militaires, etc. Les moyens du même ordre capacitent et confèrent  »le pouvoir ».

Depuis la traite négrière, toutes ces capacités et les moyens y afférents ont été  »esclavagisés » et  »colonisées » par les forces dominantes du capital. Le fait capitaliste a  »esclavagisé » et  »colonisé » le fait politique dans nos contrées. Les résistances de nos Mères et Pères de l’indépendance et de leurs alliés ont pu rendre possible la date du 30 juin 1960.

Au Congo-Kinshasa, les efforts déployés pour la mise en place d’un Etat souverain par le premier gouvernement issu des élections de mai 1960 ont été annihilés par l’assassinat de Lumumba et l’imposition de la dictature de Mobutu à partir de 1961 et de 1965 par les forces dominantes du capital. Depuis cet assassinat, le Congo-Kinshasa en particulier et les Grands Lacs africains en général connaissent une désorientation existentielle qui ne dit pas son nom.

Nous sommes en fait en plein dans cette désorientation existentielle. Notre zombification est un signe. Elle dit le vide du pouvoir dans lequel le pays est plongé et le désir de nous voir devenir souverains, maîtres chez nous, en étant pris en charge par un leadership collectif ayant de la voyance.

Alors, regardons-nous dans le miroir, acceptons de rompre avec le mensonge et la tricherie dans lesquels le pays est plongé depuis  »la guerre de l’AFDL » et les élections-pièges-à-cons organisées depuis 2006. Regardons-nous en face et disons-nous la vérité.

Nous ne le dirons jamais assez. Un pays produit comme un  »Etat raté », c’est-à-dire un territoire qui, après une guerre perpétuelle, est rendu incapable d’assumer réellement son pouvoir économique, social, spirituel, culturel, judiciaire, militaire, etc. au cœur d’un Etat souverain capable de répondre aux attentes de son peuple, ce pays-là a besoin de se rebâtir sur fond d’une Ethique reconstructive. Celle-ci est à la fois une éthique de responsabilité et de réconciliation.

La mise en place d’une Commission Justice, Vérité et Réconciliation serait un début à encourager.

(Qui dit réparation dit pardon et réparation).

Nous pourrions faire d’une pierre deux coups au moment où notre ex-métropole est en train de mettre en place sa propre Commission Vérité et Réconciliation. Sur ce point, Maxime Dussart fait une proposition intéressante. Il dit ceci : « La Belgique doit reconnaître les travaux des historiens et en tirer les conséquences, prononcer des excuses,  mettre en œuvre des réparations et aussi  se remettre en question à propos de l’ingérence belge dans l’économie et la politique congolaise jusqu’à aujourd’hui. La question et les conséquences de la colonisation par l’Occident du reste du monde devraient également être traitées. » (3 questions à Maxime Dussart sur Léopold II )

 
 
Il y a dans cette proposition une question à approfondir, celle des  »conséquences de la colonisation par l’Occident du reste du monde ». La désorientation existentielle susmentionnée en est une. Une thérapie collective qui ne l’examinerait pas pourrait se révéler inefficace .

En effet, si tout le monde marche et dit qu’il est pour la majorité populaire, pour le peuple, pourquoi l’UDPS, l’UNC, le LAMUKA, le CACH, les FCC et les associations de la société civile ne se mettraient pas ensemble pour créer ce que notre compatriote Marie-Jeanne Meta nommait dans l’un de ses articles  »Congo Uni » ? Pourquoi faut-il continuer à entretenir l’esprit partisan malsain qui sert la politique du  »diviser pour régner » et qui vide les institutions du pays de tout pouvoir ?

N’est-il pas venu le temps de relire et de mettre en pratique ces conseils de Lumumba  contre  »les divisions » et  »l’opposition » ? Voici ce qu’il disait :

« Ces divisions, sur lesquelles se sont toujours appuyés les puissances coloniales pour mieux asseoir leur domination, ont largement contribué- et elles contribuent encore- au suicide de l’Afrique. » Et il ajoute cette question : « Comment sortir de cette impasse ? »  Il y répond : « Pour moi, il n’y a qu’une voie. Cette voie, c’est le rassemblement de tous les Africains au sein des mouvements populaires ou des partis unifiés. » En fait, Lumumba était convaincu que « plus nous serons unis, mieux nous résisterons à l’oppression, à la corruption et aux manœuvres de divisions auxquelles se livrent les spécialistes de la politique du  »diviser pour régner ». »

La proposition de sa  »voie » se nourrissait de l’expérience des partis de l’opposition sur le territoire africain. Il savait et à raison que « l’expérience démontre que dans nos territoires africains, l’opposition que certains éléments créent au nom de la démocratie n’est pas souvent inspirée par le souci du bien général ; la recherche de la gloriole et des intérêts personnels en est le principal, si pas l’unique mobile. »

Maintenant que toutes ces marches organisées au pays prouvent que les prétendus gouvernants n’ont pas de pouvoir réel, il me semble que le renversement des rapports de force pourrait passer par  »un grand mouvement populaire » débarrassé du statu quo dont tous les partis politiques congolais ont fait montre depuis plusieurs années. Un  »Congo Uni » pourrait, en s’appuyant réellement sur la majorité populaire, redonner au fait politique son pouvoir sur le fait économique et transformer la néocolonie congolaise actuelle en un Etat souverain. L’enjeu est là. Le courage et l’audace de se parler pourraient manquer. Tout comme la force de rompre avec le pouvoir esclavagiste des huissiers du capital et son  »Etat profond ».

Celui-ci ne dort ni ne sommeille. Il ne renonce pas à sa nocivité. Il ne pourra reculer que face aux rapports de force qui lui sont défavorables.

Actuellement, il est en train de fourbir ses armes pour pouvoir amplifier chez nous  »la guerre économique » qu’elle est en train de gagner contre la France en feignant de nous aider à lutter contre la corruption. Les souverainistes congolais de tous les bords doivent s’unir avant que cette  »guerre économique » ne devienne davantage destructrice.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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