RDC: «Le vote de censure est la preuve de l’inversion des forces entre Tshisekedi et Kabila»

RFI

Félix Tshisekedi (à gauche) et Joseph Kabila côte à côte lors de la cérémonie d'investiture du nouveau président congolais, à Kinshasa le 24 janvier 2019.
Félix Tshisekedi (à gauche) et Joseph Kabila côte à côte lors de la cérémonie d’investiture du nouveau président congolais, à Kinshasa le 24 janvier 2019. REUTERS/ Olivia Acland

367 voix sur 500, au Congo Kinshasa, c’est une très large majorité de députés qui a voté hier la censure contre le Premier ministre Sylvestre Ilunga. En deux ans, plus de 200 députés sont donc passés du camp Kabila au camp Tshisekedi. Quelles sont les raisons de ce basculement ? Quelles en sont les conséquences ? Et qui pourrait succéder au Premier ministre sortant ? Trésor Kibangula est analyste au Groupe d’études sur le Congo (GEC), il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Il y a deux ans, l’Assemblée nationale comptait 500 députés dont 336 pro-Kabila, comment expliquez-vous que plus de 200 députés aient changé de camp ?

Trésor Kibangula C’est à la fois parce qu’il y avait une menace de dissolution de l’Assemblée nationale qui était brandie par le président Félix Tshisekedi. Et comme beaucoup de ces députés n’avaient pas de garanties qu’ils pourraient être réélus s’il y avait des élections anticipées, alors ils ont décidé de changer de camp. Mais il y a aussi cette volonté de préserver certains intérêts personnels pour certains.

On disait l’ancien président Joseph Kabila suffisamment riche pour pouvoir conserver le soutien de ces quelque 336 députés. N’est-il pas si riche que cela finalement ?

C’est vrai qu’on parle de beaucoup de dollars pour des députés qui auraient pu quitter ou changer de camp parce qu’ils auraient reçu de l’argent, mais il y a aussi –il faut le dire-, depuis quelque temps, le fait que Joseph Kabila n’a fait que perdre des batailles politiques. Il y a eu des batailles autour du contrôle de l’armée, Félix Tshisekedi a su faire des nominations au sein de l’armée et de la police, même au sein des services de sécurité, sans toujours l’accord de Joseph Kabila. Il y a eu des derniers épisodes en 2020, cette histoire de nomination des trois juges constitutionnels sans l’accord de Joseph Kabila. Et à un moment donné, les lieutenants de Joseph Kabila ont commencé à se dire que, peut-être, leur autorité morale [Joseph Kabila] n’avait plus assez d’influence pour les protéger. Alors ces gens-là ont décidé de tourner le dos à leur mentor.

 Dans une lettre au bureau provisoire de l’Assemblée nationale, le Premier ministre sortant Sylvestre Ilunga a dénoncé la motion de censure comme « une manœuvre politicienne sans fondement factuel et au mépris des exigences de l’État de droit », il va donc faire de la résistance. Qu’est-ce qu’il peut faire comme recours ?

En tout cas, s’il fait un recours auprès des hautes institutions judiciaires, il y a peu de chance que cela aboutisse, parce que l’influence du camp Kabila sur des institutions comme la Cour constitutionnelle ou le Conseil d’État est suffisamment réduite depuis quelque temps aussi. Donc, il y a peu de chance qu’un quelconque recours du Premier ministre aboutisse.

Quant à l’ancien président Joseph Kabila, qui est replié depuis le 11 décembre dans la province du Katanga et qui a reçu lundi dernier la visite du Premier ministre sortant, Sylvestre Ilunga, est-ce qu’il peut essayer de prendre sa revanche ?

En tout cas, il a constitué une cellule de crise qui est dirigée par l’ancien ministre Raymond Tshibanda. Certains caciques au sein même de l’entourage du président commencent déjà à envisager une vie d’opposants politiques, parce que les cartes pour rebondir ou contrecarrer l’avantage de Félix [Tshisekedi] sont vraiment très faibles.

Les opposants Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba ont hésité assez longtemps avant de rejoindre Félix Tshisekedi dans son combat contre Joseph Kabila, est-ce à dire qu’ils vont monnayer aujourd’hui leur soutien ?

C’est-à-dire qu’il fallait mettre du contenu dans ce qu’on a appelé « l’Union sacrée ». Quel est le programme d’action qu’il faut mener ? Comment il faut se répartir les responsabilités ? Tout ceci n’est pas clair, c’est pourquoi il y a eu un peu de résistance et d’hésitation de la part de ces deux leaders. Mais finalement, ils ont accepté d’y aller, parce qu’à la fin, ils se sont dit qu’il ne fallait pas donner des béquilles à Joseph Kabila pour qu’il préserve encore son Premier ministre. Mais l’enjeu restera, les défis resteront maintenant de définir ce qu’est l’Union sacrée. Est-ce un programme commun de gouvernance du pays ? Est-ce un agenda politique du seul président Félix Tshisekedi qui va s’imposer à ces deux leaders ?

Et peut-être y aura-t-il aussi un rapport de force à venir entre messieurs Félix Tshisekedi, Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi pour le contrôle de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) ?

Oui. Il y a les échéances électorales de 2023 qui arrivent et chacun de ces leaders voudraient avoir au moins un droit de regard sur les réformes électorales qui sont annoncées.

Officiellement, c’est l’informateur Modeste Bahati Lukwebo quoi doit identifier la nouvelle majorité. Est-ce qu’on connaît déjà le profil du futur Premier ministre ?

Ce sont des derniers réglages qui sont en cours, parce qu’on sait qu’il n’y a pas encore eu des garanties sur des répartitions et sur qui va occuper quel poste. Les transfuges du FCC [de Joseph Kabila], qui sont venus en nombre pour rejoindre l’Union sacrée, voudraient s’y retrouver, alors que les nouveaux alliés du président Félix Tshisekedi, Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, ne verraient pas d’un bon œil que, demain, l’Assemblée nationale soit encore une fois dirigée par quelqu’un qui est étiqueté FCC.

Peut-on imaginer que Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba se partagent les postes de Premier ministre et de président de l’Assemblée nationale ?

Dans l’entourage du président, il se dit qu’il ne faudrait pas un Premier ministre qui fasse de l’ombre au président Tshisekedi, parce que ce serait délicat de rentrer encore dans une coalition compliquée avec un Premier ministre qui ferait de l’ombre. Et la question aussi, c’est : est-ce que ces deux leaders, Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, voudraient partager le bilan de Félix Tshisekedi en 2023 ? Parce que ce sont de potentiels concurrents de Félix Tshisekedi en 2023. Donc, les arbitrages sont en cours, ce sont des questions qui se discutent en ce moment.

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