Le 16 février 1992, une marche fut réprimée dans le sang à Kinshasa ! Et si la Conférence Nationale Souveraine était à refaire ?

 »Qui ne sait ouvrir les yeux sur son passé ne peut prétendre faire mieux avec son avenir. » H. HORSIA

Demain, le 16 février 2021, Vingt-neuf (29) ans après la répression de la marche des chrétiens à Kinshasa par la soldatesque de Mobutu, le Comité Laïc de Coordination organise un culte pour célébrer les martyrs de cette journée mémorable.

Pour rappel, cette marche fut organisée par les hommes, les femmes de bonne volonté et les chrétiens pour demander la réouverture de la Conférence Nationale Souveraine.

Le rôle joué par plusieurs jeunes prêtres de Kinshasa dans l’organisation de cette marché mérite d’être soulignée. Certains parmi eux, avec leurs amis laïcs, avaient pris le temps d’éveiller les consciences de leurs compatriotes en procédant, entre autres, à l’analyse socio-politique de la société et étaient disposés à lutter pour un peu plus de justice sociale. L’apport du groupe Amos au sein duquel oeuvraient l’abbé José Mpundu et le professeur Thierry Nlandu ainsi que bien d’autres compatriotes fut remarquable.

Lire ensemble Amos, ce prophète de la justice sociale, partager cette lecture au sein des Communautés ecclésiales vivantes de base, avait permis aux chrétiens et aux autres compatriotes de se mettre debout et de marcher pacifiquement avec des bibles, des chapelets et des rameaux en mains dans l’espoir que la réouverture et la fin des travaux de la Conférence Nationale Souveraine pourraient aider à la mise en pratique des recommandations pouvant changer le quotidien des Kongolais pris en otage par les dinosaures mobutistes (et leurs parrains).

Cette attente sera déçue et pour longtemps. Pourquoi ? Je vais esquisser quelques hypothèses.

Aujourd’hui, vingt-neuf ans après, avec un peu de recul, il y a lieu de dire que les consultations ayant précédé cette Conférence et les débats qu’elles ont suscités n’avaient pas pu être considérés comme pouvant aboutir à un projet collectif kongolais. L’attrait exercé sur les conférenciers par  »la démocratie des autres  » facilitatrice de l’aide (fatale) promise par certains pays de  »la communauté (dite) internationale » les a conduits à mettre un peu plus d’accent sur le pluralisme politique et plus tard, sur le multipartisme intégral, consacrant ainsi  »la politique du diviser pour régner » et l’avènement des  »Mobutu ligth » à la tête de plusieurs partis politiques.

Ce faux pas a participé de l’affaiblissement interne du pays. La versatilité de ces  »Mobutu ligth », leur corruptibilité, le clientélisme et le patrimonialisme mobutistes ont freiné un bon redémarrage du pays. Malgré la noblesse de plusieurs recommandations issues de ce forum. D’ailleurs, elles ne seront presque pas mises en pratique. Les acquéreurs de biens mal acquis, par exemple, ne seront pas suffisamment inquiétés ni jugés. Il en ira de même de ceux qui avaient ordonné les massacres des chrétiens, des hommes et des femmes de bonne volonté ayant pris leur courage à deux mains pour cette  » marche de l’espoir » du 16 février. Il n’est jamais trop tard pour mieux faire…

Bref, un bon forum organisé après des consultations populaires ayant impliqué une bonne majorité de Kongolais -Zaïrois à l’époque- n’ a pas réussi à se transformer en un projet collectif pouvant, sur fond d’une  »Ethique reconstructive », redonner de l’espoir au pays de Lumumba.

Il me semble juste d’ajouter au déficit de l’organisation interne le contexte géopolitique, géostratégique et géoéconomique de cette époque.

En 1989, le mur de Berlin tombe ; la Banque mondiale initie le Consensus de Washington . Il va être mis en œuvre par Ronald Reagan et Margaret Thatcher (affirmant qu’il n’y a pas d’alternative l’expansion du néolibéralisme. C’est le fameux  »TINA ».)

Du point de vue de la philosophie politique (ou de l’histoire ?) , Francis Fukuyama publie un livre intitulé  »la fin de l’histoire ». Donc, à ses yeux et à ceux des  »maîtres du monde », la chute du mur de Berlin signait la fin de l’histoire de la guerre (froide) entre les blocs communiste et capitaliste au profit de ce dernier et de son hégémonie mondiale. Elle inaugurait  »l’exportation de la démocratie du marché ».

Encore quelques dates. Le mur de Berlin est tombé après l’imposition de la politique d’austérité au Zaïre de Mobutu par les Institutions Financières de Bretton Woods en 1986. Kengo est chargé de l’appliquer en tant que Premier ministre.

Au cours de la même année, les Grands Lacs Africains sont entrés  »officiellement » en guerre. Ils sont attaqués par les anglo-saxons à partir de l’Ouganda. Museveni, leur proxy, va faire un coup d’Etat à Milton Obote. Cette guerre raciste de basse intensité se poursuivra plus tard au Rwanda et au Kongo-Kinshasa.

Ce contexte historique ne devrait pas être négligé ou oublié. Mobutu a commencé les consultations nationales après que les la Banque mondiale et le Fonds monétaires aient intensifié  »leur coup d’Etat permanent » en imposant Kengo comme Premier ministre afin qu’il applique, au Zaïre, les programmes d’ajustement structurel. La mise en pratique de cette politique économique d’austérité a alimenté les analyses socio-économiques et politiques des compatriotes dénonçant les injustices sociales, l’oppression, la répression et la dictature.

En effet, celles-ci n’ont pas été que les fruits du mobutisme. Non. Mais plutôt de la politique économique et sociale austéritaire appliquée imposée aux dinosaures mobutistes par et en complicité avec les institutions de Bretton Woods, huissiers du capital. Elles sont la face visible de  »la guerre de tous contre tous » dont raffole le capital.

Cette opération en réseau transnational devrait être connue et maîtrisée au niveau des collectifs citoyens à la base. Si elle ne l’ est pas, les analyses socio-économiques et politiques risquent d’être biaisées, partielles ou partiales ; et elles pourraient perdre un peu de leur efficacité dans la mobilisation citoyenne à la base.

En fait, décrier ce mode opératoire n’est pas synonyme de passer sous silence les responsabilités des compatriotes ou des ennemis internes du pays. Non. C’est souligner la complicité de ces compradores avec les ennemis externes afin d’éviter l’autoflagellation constante.

Donc, si la Conférence Nationale Souveraine était à refaire, elle reviendrait sur ce mode opératoire pour un peu plus de justice et d’objectivité.

Les dernières consultations ne semblent pas avoir retenu cette leçon. Elles ont été menées comme si  »la fin de l’histoire » n’appartenait pas à l’histoire d’un monde multipolaire en marche sur fond de la remise en question profonde de  »la démocratie (du marché) des autres ». Les consulteurs, sous l’oeil vigilant des  »décideurs », se sont comportés comme si le monde été encore unipolaire, comme si le précariat produit par les Institutions des Bretton Woods n’était pas venu démentir le  »TINA » de Margaret Thatcher et décrier  »le messianisme » anglo-saxon.

Dans ce contexte, il est probable que, encore une fois,  »le coup d’Etat permanent » de la Banque mondiale et du Fonds monétaire internationale s’intensifie dans un Kongo-Kinshasa où  »le terrorisme intellectuel » criminalise la pensée, l’écriture et le débat promouvant le pluralisme d’idées et l’ouverture à la multipolarité ainsi que la possibilité de la mise sur pied d’un grand mouvement populaire solidariste, porteur d’un projet collectif, porté par les masses et un leadership collectif et ayant  »le looso », les  »masambakanyi » et  »le kinzonzi » comme culture philosophico-politique facilitant un tant soit peu de maîtrise du conflit, un consensus provisoire et une bonne cohésion nationale.

Au pays de Lumumba, plusieurs cœurs et esprits mangés par  »la démocratie (du marché) des autres » ont complètement oublié (et/ou n’ont pas appris) que  »la liberté n’est pas une invention occidentale » (Lire A. SEN, La démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident, Paris, Payot, 2003). Ils éprouvent beaucoup de mal à rompre avec  »la guerre de tous contre tous » et  »la politique du diviser pour régner » entretenues par le néocolonialisme, le néo et l’ultralibéralisme du moment qu’ils peuvent, tout en étant des compradores décérébrés, fabriquer des masses serviles, abêties, abruties et assujetties de fanatiques, de thuriféraires et de tambourinaires.
Les minorités éveillées et agissantes ont du pain sur la planche. Dieu merci ! Elles ne dorment ni ne sommeillent. Elles sont au boulot. La multiplication des webinaires et des actions patriotes et de résistance au pays et dans la diaspora en témoignent. L’espoir est encore permis et la lutte continue.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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