Tribalisme kongolais ou régression culturelle ?

« Il (colonel US Ralph Peters) poursuivait en assurant qu’il faudrait recomposer les États selon des critères ethniques, donc séparer les peuples mélangés, et que cela ne pourrait se faire qu’avec des nettoyages ethniques et autres crimes contre l’Humanité. » T. MEYSSAN

Il y a des compatriotes Kongolais convaincus que le pays connaît un problème sérieux de tribalisme. Il est possible qu’ils détiennent des preuves à ce sujet.

Avant de parler de tribalisme, il serait peut-être souhaitable d’avoir une idée sur ce qu’est la tribu. « Selon sa définition première, la tribu est un collectif (parfois composé de plusieurs sous-ensembles, les clans ou les familles) qui assure la cohésion de ses membres au travers d’un sentiment d’appartenance renforcé par de nombreux liens de natures diverses (religion, traditions communautaires, langue, etc.). » (N. FAROUKI, Les Deux Occidents, Paris, Les arènes, 2004, p. 41) Il y a une différence entre la tribu et la famille. Si les liens unissant les membres d’une tribu sont de nature symbolique, ceux d’une même famille le sont par la parenté. Des tribus pratiquant les mariages endogamiques peuvent confondre les deux sortes de liens.

La peur et la haine de l’autre peuvent, tout en renforçant la cohésion interne d’une tribu, l’inciter ou certains de ses membres à verser dans le tribalisme, au rejet de l’altérité. Par ailleurs la honte et la fierté peuvent être, pour une tribu, des affects centripètes.

Néanmoins, le rejet de l’altérité n’est pas une particularité tribaliste. Le militarisme, le matérialisme et le racisme porteurs du mépris des gens, de la volonté de domination et de la cupidité rejettent aussi l’altérité. Leurs artisans et leurs partisans peuvent manipuler les tribus pour atteindre leurs objectifs. Surtout celui de la production du  »chaos organisateur » de la déstructuration et de la régression culturelles ainsi que de la mort des Etats plurinationaux. Dès que cela est perdu de vue, le tribalisme peut devenir un mot-fourre-tout. Surtout au Kongo-Kinshasa où la guerre perpétuelle est un lot quotidien.

Il est aussi un fait que la nature symbolique des liens tribaux peut être un atout dans la mesure où elle permet d’intégrer dans sa tribu des personnes avec lesquelles on a noué des relations affectives, amicales, fraternelles, sororales, estudiantines ou professionnelles très profondes. Donc, débarrassée des affects négatifs, la tribu en tant que collectif ne pose pas énormément de problèmes. N’empêche que la complicité dans les crimes économiques, de guerre ou contre l’humanité peut aussi constituer un dénominateur comme pour créer  »une tribu » semblable à une mafia. La négritude de service peut réunir des marionnettes et des sous-fifres au sein d’une même  »tribu » de compradores. Les luttes patriotiques menées ensemble peuvent jouer le même rôle. Le Kongo-Kinshasa n’échappe pas à ces différents cas de figure.

Pourquoi, plusieurs compatriotes sont-ils de plus en plus convaincus que le Kongo-Kinshasa souffre prioritairement du tribalisme ? Pourquoi ? Ne seraient-ils pas tombés dans un réductionnisme tribaliste ? Bien que ne partageant pas cette  »thèse », j’essaie de la comprendre en le restituant dans le contexte où le problème se pose.

De manière générale, il est réaliste de reconnaître que les humains kongolais ne sont pas que de la race de  »l’homo sapiens ». Il leur arrive de partager certaines caractéristiques de  »l’homo demens », de  »l’homo ludens », etc. et de se trouver face à des contradictions indépassables. Il arrive aussi que cet  »homos demens » se retrouvant au sein de plusieurs de nos tribus ne soit pas le fruit d’une génération spontanée.

Il peut, pour avoir raté une bonne éducation et/ou une bonne formation humanisante, sombrer dans la socio ou la psychopathie. Il peut devenir un fanatique influençable par ses potes.

La culture et l’éthique semblent être des facteurs importants dans l’ouverture à la diversité et à la différence entre les humains. Corrompue par le fanatisme religieux, par la peur ou la haine de l’autre, elle peut être pire qu’une bombe.

Ici se pose sérieusement la question de la qualité de nos écoles kongolaises. Ont-elles réussi à organiser, au cours de six dernières décennies des  »humanités » ? Des formations à l’accueil de l’autre avec ses qualités et ses défauts, avec ses appartenances multiples et sa poly-identité ?

Il se pose aussi la sérieuse question de la sortie de chez soi. Ex-petit et grand séminariste, je sais que les séminaires interdiocésains ont été des magnifiques lieux de l’accueil de la diversité culturelle kongolaise. Il était possible, dans ces maisons de formation, d’aller à la rencontre des compatriotes venant de plusieurs coins du pays et de faire de plusieurs d’entre eux les membres de  »nos tribus ».

Ex-étudiant de l’Université Catholique de Kinshasa – d’une université ayant plusieurs facultés- j’ai eu la chance, à l’âge adulte, de m’ouvrir à la diversité et de bénéficier de sa richesse.

Dans un pays où  »l’inter-connexion » réelle des écoles, des instituts supérieurs et des universités est en train de devenir une denrée rare, le repli sur soi risque d’être un choix préféré pour plusieurs compatriotes. Tout comme  »l’inter-connexion » réelle par les routes reliant tout le pays peut aider des compatriotes à sortir de chez eux pour aller vers l’autre, le différent.

Même si, dans un contexte de déshumanité, il est possible d’aller vers l’autre uniquement avec son corps ; sans sa tête et son cœur  »mangés » par les affects négatifs.

L’adoption de la palabre comme mode de gestion des conflits pourrait être l’une des voies pouvant, en tant que procès ou trajet d’apprentissage mutuel, participer de leur saine gestion pour une bonne cohésion nationale.

Mais, cela devient assez compliqué dans un  »Etat-raté-plurinational » comme le Kongo-Kinshasa. Pourquoi ? Il brouille les multiples identités des  »tribus » susmentionnées et ne facilite pas la tâche aux masses populaires abêties de procéder à leur bonne identification. Il n’est pas en mesure de répondre, sur le moyen et long terme, aux attentes légitimes des populations kongolaises.

Sans justice sociale redistributive, sans services publics dignes de ce nom, sans promotion des collectifs citoyens renversant la pyramide hiérarchique, sans une large culture humanisante partagée, sans  »inter-connexion » des écoles, des universités et des routes, le contexte du précariat généralisé est un lieu propice à la recherche des boucs émissaires. La tribu risque toujours d’en être un. Pour cause.

 »Les spécialistes en opérations psychologiques et en guerre de tous contre tous » se servent de ce contexte. Après avoir longtemps critiqué la tribu comme avatar de la barbarie des sociétés fermées – contrairement à la société ouverte, chère à Karl Popper et à George Soros-, ils utilisent de plus en plus les minorités et les majorités tribales pour les opposer et avancer leur agenda mondialiste de la fin des Etats-nations.

Des compatriotes ayant du dégoût pour une sage et intelligente réappropriation de notre mémoire collective africaine, panafricaine et kongolaise sont en train de participer à ce jeu des lanceurs des billards.

Dieu merci ! Bien d’autres, à force de lire, d’étudier et de partager autour d’eux, contribuent à la déconstruction de cette supercherie. D’autres encore sont sur la bonne voie dans la mesure où ils ont compris que le devenir collectif en Afrique et au Kongo-Kinshasa passe par l’amour de la diversité dans des Etats-nations souverains et panafricains. D’autres enfin voudraient avoir suffisamment de documentation pour aller plus loin. Plusieurs écrits de leurs compatriotes y sont consacrés. Ils peuvent les lire.

Cet article de Thierry Meyssan aborde la question de l’instrumentation des ethnies sans ambages : La défaite en Afghanistan vise-t-elle à gêner la Russie et la Chine ?, par Thierry Meyssan (voltairenet.org) . Même si cela a commencé longtemps avant 2001.

Donc, lorsque des compatriotes parlent du tribalisme, ils feraient mieux d’analyser le contexte historique, culturel, socio-politique et spirituel du pays afin de voir s’ils ne font pas de ce mot un fourre-tout pour qu’ils participent, par action ou par omission, consciemment et/ou inconsciemment à  »la stratégie du chaos » anglo-américaine.

Dans le contexte de la guerre perpétuelle où se trouve le pays, étudier en profondeur la question de la régression culturelle et du débat  »non meurtrier » pourrait participer de la quête collective d’une possible issue en échappant à la politique du  »diviser pour régner ». La plurinationalité kongolaise est une richesse énorme si ses filles et filles arrivent à s’accepter différents et complémentaires dans leur lutte commune pour refonder un Etat réellement souverain débarrassé de ses compradores et ouvert au panafricanisme des peuples.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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