Le deuil de Lumumba et un possible nouveau départ

« A mes enfants que je laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque Congolais, d’accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans dignité il n’y a pas de liberté, sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres. » P. LUMUMBA

Le début officialisé du deuil du héros national kongolais peut être un moment propice pour penser et repenser davantage et collectivement sa lutte ; pour méditer en profondeur sur ses  » péchés capitaux » ayant nécessité son assassinat. Cela d’autant plus que les enjeux géostratégiques et géopolitiques au sein desquels son pays s’est retrouvé dans les années 1960 ne semblent pas avoir sérieusement changé. Contrairement à ce que pourraient penser les fanatiques des questions dites d’actualité.

Que pourrait bien signifier un deuil national organisé par le Kongo-Kinshasa après la remise de la dent de Patrice-Emery Lumumba à sa famille et au pays par la Belgique1?

Répondre à cette question demanderait, entre autres, un minimum de connaissance des causes ayant conduit à son assassinat et ce que cet assassinat a provoqué dans l’imaginaire de l’Africain, du Kongolais, des amis mondiaux de la liberté en général et du politique kongolais en particulier. Mais aussi dans celui de ceux qui ont orchestré cette mort ignoble.

De quoi Lumumba fut-il accusé ? D’être  »communiste ». Que signifiait cette accusation ? Les jeunes politiciens africains des années des indépendances, patriotes et amoureux de leurs pays, de la dignité humaine, de la justice,de la fierté, de la liberté, de l’égalité2 et de la non-ingérence des Etats tiers dans les affaires intérieures de leurs propres Etats naissants étaient taxés par les pouvoirs impérialistes et colonialistes de  »communistes ». Leur remise en question de l’impérialisme et du colonialisme  »dé-civilisateurs » les classifiait, dans le chef des  »maîtres de l’humanité », dans la catégorie des  »insoumis3 » dont il fallait se débarrasser afin d’éviter que leur exemple ne se propage partout en Afrique et dans le monde.

D’ailleurs, répondant à la question de savoir s’il était  »communiste », Lumumba répond : « Non, je ne suis pas communiste. Je suis un nationaliste qui aime son pays. » Tel est l’un de ses péchés capitaux. Aimer son pays et croire qu’une véritable indépendance politique doit nécessairement s’accompagner d’une indépendance économique ; aimer son pays et prôner la nationalisation des entreprises kongolaises4 afin que le fait politique domine le fait économique pour un  »bonheur collectif » partagé ; tel est l’un des péchés capitaux de Lumumba.

Amoureux de son pays, Lumumba était aussi amoureux de l’Afrique. Il croyait fermement que ce continent, don béni de Dieu, appartenait aux Africains et ce sont eux qui devraient en être les seuls maîtres.

Tel est le deuxième péché capital commis à l’endroit des  »maîtres de l’humanité », contrôlant les terres et les océans. Une Afrique libre et indépendante. Une Afrique reliant tous ses pays et promouvant le panafricanismes des Etats souverains aurait été une épine dans les pieds des auto-proclamés  »maîtres de l’humanité ».

Les accointances de Lumumba avec les grands penseurs africains et sa reconnaissance des autres peuples et Etats en lutte contre l’impérialisme et le colonialisme comme partenaires ; mais aussi son rapprochement de ces peuples et ces Etats pour une  »tricontinentale re-civilisatrice » soutenant sa foi dans les luttes assumées ensemble, tel est son troisième péché capital. Oui, luttant aux côtés de ses compatriotes africains et kongolais, Lumumba disait : « Nous ne sommes pas seuls. »

Sa critique de l’impérialisme et du colonialisme a remis en question la légitimité morale des  »maîtres de l’humanité ». Tel est son troisième péché capital.

Son quatrième péché est de s’être trompé sur les objectifs poursuivis par les Nations Unies et de l’avoir confessé dans sa lettre à Pauline.

Son cinquième péché, c’est d’avoir cru en la continuation de sa lutte et d’avoir refusé de demander pardon à ses bourreaux.

Son sixième péché est d’avoir fait confiance à ses proches collaborateurs jusqu’ au point de sombrer dans la naïveté.

 »Ces péchés capitaux » et bien d’autres ont contribué à l’assassinat de Patrice-Emery Lumumba. Les connaître peut être d’un secours certain au sujet du sens à donner à son deuil. Peut-il être un moment d’un nouveau départ collectif fondé sur des connaissances en conscience des enjeux politiques, économiques, sociaux, culturels, spirituels d’hier et d’aujourd’hui face auxquels le pays de Lumumba est placé ? Surtout en ce moment où la guerre par procuration menée en Ukraine sert de prétexte aux  »maîtres de l’humanité » pour créer des lois pouvant sanctionner les pays africains tentés de coopérer avec l’un des pays ex-communistes ?

Pourtant, eux-mêmes avouent que leur guerre contre ce pays n’est pas du tout idéologique. Elle est le produit de leur hubris. Elle est fondamentalement géostratégique et géopolitique. L’un de leurs penseurs, George Friedman, l’explique de manière décomplexée en ces termes :  »« Les USA contrôlent tous les océans de la terre. Personne n’avait encore réussi à le faire. Par conséquent, nous pouvons nous ingérer partout sur la planète, mais personne ne peut nous attaquer. Le contrôle des océans et de l’espace est la base de notre pouvoir », a déclaré Friedman à Chicago.

Selon lui, « la priorité des USA est d’empêcher que le capital allemand et les technologies allemandes s’unissent avec les ressources naturelles et la main d’œuvre russes pour former une combinaison invincible ». Créer un « cordon sanitaire » autour de la Russie permettra à terme aux USA de tenir en laisse l’Allemagne et toute l’Union européenne. » » (Discours de George Friedman : « C’est cynique, immoral, mais ça marche » (newsnet.fr) )

La déstabilisation perpétuelle du Kongo-Kinshasa depuis les années 1990 est à situer dans ce contexte de guerre géostratégique et géopolitique perpétuelle contre les pays riches en matières premières stratégiques et fiers de leur génie.

Que pourrait bien signifier un deuil de Lumumba dans ce contexte d’une guerre (mondiale )géostratégique et géopolitique perpétuelle ? Il pourrait être un début d’une école lumumbiste dans un pays où la désorientation existentielle provoquée par l’assassinat de Lumumba a fini par convertir plusieurs politiciens en ennemis de la pensée lumumbiste et en défenseurs acharnés du néocolonialisme et du néolibéralisme mondialiste méprisant la vie, la fraternité et la solidarité et reconduisant perpétuellement la politique du  »diviser pour régner ».

Les collectifs citoyens kongolais pourrait se saisir du deuil de Lumumba pour créer, en dessous des manguiers, des  »’masambakanyi », des  »palabres perpétuelles » autour de la lutte pour une souveraineté intégrale et de la valeur de  »la voie » lumumbiste : la création d’un grand mouvement populaire ayant en son sein toutes les tendances politiques et appeler à oeuvrer pour la consolidation de l’unité du pays, d’un vivre ensemble harmonieux dans le respect de la diversité. ( à suivre)

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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