Le fétichisme électoraliste et « colonialisme économique » au Kongo-Kinshasa (suite)

« Après le colonialisme politique, un « colonialisme économique » tout aussi asservissant s’est déchaîné. Ce pays, largement pillé, ne parvient donc pas à profiter suffisamment de ses immenses ressources: on en est arrivé au paradoxe que les fruits de sa terre le rendent « étranger » à ses habitants. Le poison de la cupidité a ensanglanté ses diamants. » Pape François

Mise en route

La première partie de cet article a soutenu, entre autres, que dans un pays où le fait économique dominant colonise le fait politique, les élections-pièges-à cons facilitent l’accès aux affaires de  »petites mains » du capital financier apatride. Ces larbins et compradores ne peuvent pas être au service de  »la démocratie souveraine ». Pour cause. Le « colonialisme économique », comme l’a si bien souligné le Pape François, est asservissant. Cet asservissement à la fois politique et économique a duré et dure toujours. Il a produit une (in)culture dominée par le poison de la cupidité et de la convoitise. Il a détruit dans plusieurs coeurs et plusieurs esprits kongolais  »la common decency », c’est-à-dire cet ensemble de dispositions à la bienveillance et à la droiture qui constitue (…) l’indispensable infrastructure morale de toute société juste.1 » Il y a détruit les marqueurs de l’humain que sont l’honneur, l’amitié, le devoir, la compassion, le dévouement à une oeuvre ou à une communauté, la solidarité, la civilité, etc. , c’est-à-dire « ce au nom de quoi un sujet peut décider, quand les circonstances l’exigent, de sacrifier en tout ou en partie ses intérêts, voire, dans certaines conditions, sa vie elle-même.2 »

Bâtir un pays plus beau qu’avant, comme y invite l’hymne national, kongolais devient, dans ce contexte d’asservissement politique et économique, une tâche politique fondamentale . Celle-ci devrait prendre appui sur l’infrastructure morale détruite et être privilégiée.

Fétichisme électoraliste , guerre et coup d’Etat

Localiser  »la démocratie » dans  »les élections dites libres, transparentes, démocratiques et inclusives », c’est tomber dans le fétichisme électoraliste et passer à côté de  »la démocratie (palabre) des autres3 ». C’est participer du processus de l’asservissement politique consistant à plébisciter  »les petites mains » du capital financier afin qu’elles puissent être, à tout jamais, les gestionnaires du  »pouvoir-os » à son unique profit en  »impuissantant » le souverain primaire. D’ailleurs, comme l’écrit si bien, Alain Badiou, « rien ne produit une plus grande satisfaction des oppresseurs que d’installer les élections partout, que de les imposer, au besoin par la guerre, à des gens qui ne les ont pas demandées. 4»

Il est possible que plusieurs compatriotes Kongolais aient oublié que la guerre et les élections marchent de pair au Kongo-Kinshasa. Et que le réel kongolais est dominé par la guerre depuis plus de trois décennies. Et que ce qui manque au pays, c’est d’ajouter aux marqueurs de l’humain kongolais la valeur de la liberté émancipatrice de l’ordre imposé par  »la démocratie du marché ».

En effet, la guerre raciste de prédation et de basse intensité imposée au Kongo-Kinshasa et dans la région des Grands Lacs africains date des années 1990. Au cours de ces années ont eu lieu dans plusieurs pays africains des  »arbres à palabres » dénommés  »Conférences nationales ». Au cours de cette période, le discours tenu par François Mitterrand à la Baule conditionne l’aide (fatale) à accorder aux pays africains par leur engagement dans la processus électoraliste dit  »démocratique ».

Des Kongolais ont estimé, à ce moment-là, que la meilleure voie à suivre passait par  »leur propre démocratie »,  »leur propre arbre à palabre »,  »la Conférence Nationale Souveraine ». Celle-ci, fut, malgré ses limites, un moment de jeter un regard critique sur passé du pays en vue de jeter les bases d’un avenir différent.

Lorsque son financement fit défaut et que des Kongolais(es) qui y tenaient ont voulu reprendre le relais en dépensant leur propre argent afin que cette conférence devenant réellement leur conférence puisse atteindre ses objectifs, Mobutu fut sommé d’y mettre fin.

L’abbé José Mpundu, l’un des compatriotes kongolais ayant pris une part active à cette conférence, en témoigne dans cette vidéo :encore les élections – YouTube . Donc, dans les années 1990, un coup d’Etat fut fait au souverain primaire voulant prendre son destin en main par le capital financier et cette voix pacifique fut oubliée au profit de la guerre et du fétichisme électoraliste. Donc, depuis les années 1990 jusqu’à ce ce jour, le Kongo-Kinshasa est en guerre. Et les choix électoralistes profitent au capital financier. Cette guerre signifie le refus du capital financier et de ses  »petites mains » compradores de voir le souverain primaire, ses résistants, ses dissidents, ses patriotes souverainistes et ses intellectuels organiques s’organiser en collectifs citoyens pour s’emparer du pouvoir réel en renversant la pyramide hiérarchique aux mains des larbins.

Les jeunes kongolais se prennent en charge

Identifiant ces  »petites mains » nationales, régionales et  »internationales », les jeunes kongolais, à travers tout le pays et un peu plus particulièrement à l’Est, sont d’avis qu’ils doivent se prendre en charge. A ce point nommé, il y a comme une lutte à mort pour la renaissance kongolaise et la récupération de l’initiative historique par la jeunesse kongolaise et plusieurs de ses aînés. Les propos de certains jeunes de Goma sont sans ambages à ce propos (RD Congo : au moins trois personnes tuées dans l’attaque d’un convoi de l’ONU • FRANCE 24 – YouTube )

Se prendre en charge pour bâtir un pays plus beau qu’avant ne passe pas nécessairement par le fétichisme électoraliste opposant, pour le besoin de la cause, les copains et les coquins, tous même du  »parti de l’argent », opposants circonstanciels au service du capital financier et ennemis de la cohésion nationale. Contrairement ces copains et coquins, la jeunesse kongolaise comprend de mieux en mieux que sa liberté doit être mise au service de l’émancipation politique du pays.

Avec elle, je pense que bâtir un pays plus beau qu’avant exigerait un regard rétrospectif responsable et collectif partant de la Conférence Nationale Souveraine jusqu’à ce jour. Reprendre le fil de l’histoire en sachant, en conscience, qu’unis par le sort et par l’effort pour l’indépendance, les Kongolais(es) souffrent terriblement du colonialisme politique et économique depuis l’assassinat de Lumumba.

Ils pourraient convertir leur hymne en un semble de principes à traduire en actions politiques collectives soumises au débat, à la participation et à la délibération citoyennes.

Des principes intangibles

« Bâtir un pays plus beau qu’avant » pourrait devenir un principe intangible auquel tout le monde devrait se soumettre. Cela ne serait pas réservé à quelques individus dénommés  »gouvernants ». Non. Cela relèverait de la responsabilité citoyenne à différents niveaux de l’organisation de la cité.

Chanter  »nous bâtirons un pays » et continuer à dire  »gouvernement talela biso likambo oyo ‘‘ (gouvernement règle pour nous ce problème) pourrait être considéré comme un appel incivique là où le principe de subsidiarité est de mise.

« Unis par le sort, unis dans l’effort » pourrait devenir un principe permettant de transcender les divisions tribalistes , ethnicistes et particratistes. L’effort déployé pour bâtir ensemble un pays plus beau l’emporterait sur les différences de nos identités et de nos appartenances enracinées. Ou plutôt, il transmuterait ces différences en une grande richesse pour produire une fraternité belle de sa polymorphie.

N’est-ce pas ce qu’enseigne cette sagesse luba,  »nkunde ya bangi, ibobele ne mate » (les haricots à préparer à plusieurs sont cuits grâce à leur salive) ?

Pour conclure : interrompre le moment électoraliste

Donc, interrompre le moment électoraliste, jeter collectivement un regard rétrospectif sur notre mémoire collective pour mieux la vivifier en vue de déformater et de reformater l’humain kongolais en l’éveillant collectivement à son  »bomoto » est, à mon avis, plus important que le fait de se cacher derrière notre petit doigt et d’éviter de prendre en charge le réel kongolais. Cela d’autant plus que les divisions entretenues par la particratie criminogène sont loin de s’estomper. Le pays compte déjà plus de 800 partis politiques. Allez-y comprendre…

Interrompre le moment électoraliste serait une façon d’échapper à la temporalité propre au capital financier et à ses  »petites mains » pour un créer une propre aux patriotes souverainistes, aux résistants au système marchand, aux dissidents et aux intellectuels organiques conscients du fait que  »les grands changements sont moléculaires, imperceptibles » . Ils exigent beaucoup de courage, de patience ainsi qu’une bonne connaissance de soi et de l’ennemi (réel). (à suivre)

1J.-C. MICHEA, L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes, Paris, Climats, 2006, p. 26.

2Ibidem.

3Lire A. SEN, La démocratie des autres. Pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident, Paris, Payot, 2003.

4A. BADIOU De quoi Sarkozy est-il le nom, Paris, Lignes, 2007, p. 43.

Leave a comment

Your email address will not be published.


*