Liberté de la presse : bilan macabre pour 2015

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Près de 110 journalistes ont été tués cette année à travers le monde, selon Reporters Sans Frontières

Reporters Sans Frontières, organisation internationale de défense de la liberté de la presse à travers le monde, a publié son rapport annuel sur les atteintes à la liberté de presse au niveau mondial. Dans ce rapport, l’Ong révèle que près de 110 journalistes ont été tués à travers le monde en 2015.

Le nombre très élevé de reporters tués au cours de l’année, qui porte à 787 le total des journalistes tués dans l’exercice ou en raison de leurs fonctions depuis 2005, est imputable à une violence de plus en plus délibérée contre les journalistes.

Il révèle aussi un échec des initiatives en faveur de la protection des journalistes. Le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon affirmait dans son rapport annuel sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité le 6 août 2015 son inquiétude face à l’incapacité de réduire la fréquence et l’ampleur des violences ciblées auxquelles sont confrontées les journalistes et l’impunité presque absolue pour de tels crimes. »

Des groupes non-étatiques perpètrent des exactions ciblées tandis que plusieurs Etats ne se conforment pas aux obligations assignées par le droit international.

Le 27 mai 2015, devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire, appelait à la création d’un mécanisme d’application concret du droit international sur la protection des journalistes. Sans quoi il est à craindre que la résolution 2222, comme les 1738 adoptées en 2006, soit simplement… une bonne résolution.

En 2014, deux tiers des reporters tués dans le monde l’avaient été en zones de conflits. En 2015, la proportion s’est complètement inversée : deux tiers des journalistes tués l’ont été « en temps de paix ».

Même dans les capitales éloignées des conflits armés, les journalistes peuvent être frappés, comme ce fut le cas le
7 janvier avec l’attaque de Charlie Hebdo à Paris.

Le 8 octobre, le directeur de Charlie Hebdo, Riss, déclarait :

« Nous n’avons quasiment jamais envoyé de journalistes en zone de guerre (…). Le 7 janvier, c’est la guerre
qui est venue à nous ».

Homicides liés ou non à leur profession ? Les motifs de la mort de 43 reporters au cours de l’année demeurent indéterminés, en raison du manque d’enquêtes officielles impartiales et approfondies, du fait de la mauvaise volonté des États ou de la difficulté dans des régions instables ou de non droit.

Ces  » motifs indéterminés  » reflètent le problème de l’impunité des crimes commis contre les journalistes dans de nombreuses régions du monde (Amérique latine, Asie-Pacifique, Moyen-Orient et Afrique sub-saharienne).

Syrie, calvaire pour les journalistes

Entre les forces syriennes de Bachar al-Assad, les groupes radicaux ou kurdes, et les bombardements de la coalition, la ville d’Alep fait office de champ de mines pour les journalistes professionnels et les journalistes-citoyens en Syrie.

Pris en étau entre les différentes parties du conflit depuis 2011, ces derniers risquent de finir en victimes collatérales du conflit, d’être pris en otages par un groupe non-étatique (Daesh, Front Al- Nosra, Armée syrienne libre) ou encore de se faire arrêter par le régime.

Mossoul : ville sous la coupe de Daesh

Sous le contrôle du groupe djihadiste depuis juin 2014, la ville irakienne de Mossoul est un « trou noir de l’information ».

Dans cette seule ville, Daesh est responsable de 48 enlèvements et 13 exécutions de journalistes et journalistes-citoyens en 18 mois.

Près de 60 journalistes (professionnels ou non) et collaborateurs des médias ont fui la ville, et ceux qui sont restés ne pratiquent plus leur métier par peur des représailles.

Dans ce climat, la désinformation règne : les échanges avec l’extérieur de la ville sont proscrits ou limités par le groupe qui contrôle les communications et internet.

5 zones les plus meurtrières

L’attaque contre Charlie Hebdo fait de la France le troisième pays le plus meurtrier pour les journalistes dans l’exercice de leurs fonctions en 2015.

Une tragédie inédite : jamais un pays occidental n’avait connu une telle hécatombe. Depuis le mois de janvier, les journalistes ou collaborateurs de Charlie-Hebdo vivent sous haute protection. Certains se voient encore aujourd’hui contraints de changer régulièrement de logement.
La journaliste chargée des questions de religion et d’islamisme expliquait en mai dernier qu’elle vivait tantôt à l’hôtel tantôt chez des proches. Elle insistait sur la difficulté d’exercer son métier avec de telles menaces, et notamment sur l’impossibilité de faire des reportages sous escorte policière.

Yémen : les milices houthies sèment la terreur dans la capitale

Les milices houthies ont pris le contrôle de la capitale yéménite Sanaa en septembre 2014 après une avancée fulgurante dans le nord-est du pays.

Attaques de médias à l’arme lourde, enlèvements de journalistes affiliés au parti Al-Islah (clan rival des Houthis)… Plus d’un an après la prise de la capitale, les seuls journalistes exerçant encore à Sanaa sont ceux en faveur des milices rebelles.

En 2015, six journalistes et trois collaborateurs des médias ont été assassinés ou tués dans l’exercice de leurs fonctions au Yémen.

Au moins 15 journalistes professionnels, journalistes-citoyens et collaborateurs des médias seraient aujourd’hui aux mains des Houthis, qui continuent leur progression vers le sud du pays.

Ceux qui échappent aux milices chiites zaydites craignent les bombardements de la coalition menée par l’Arabie saoudite pour stopper l’avancée de ces derniers.

L’Inde : Neuf journalistes assassinés en un an

Depuis le début de l’année, les journalistes indiens sont confrontés à une hausse de la violence d’origine (notamment) mafieuse à l’encontre de ceux qui osent enquêter sur le crime organisé et ses relations avec le pouvoir politique.

Neuf journalistes ont été assassinés en un an, dont quatre pour des motifs encore indéterminés, ce qui conforte l’Inde au titre de pays le plus meurtrier d’Asie pour la profession, devant le Pakistan et l’Afghanistan.

Parmi eux, RSF répertorie deux assassinats liés à des enquêtes sur le thème de l’exploitation minière illégale – un sujet environnemental sensible en Inde. Les autorités indiennes réagissent trop faiblement, renforçant un climat d’impunité des exactions contre les journalistes.

Après l’assassinat de Sandeep Kothari (huitième journaliste tué pour motif professionnel en deux ans), RSF a appelé le gouvernement indien à mettre en place un plan national de protection des journalistes. Il est vital aujourd’hui qu’il prodigue une réponse à la mesure des menaces qui pèsent sur la profession.

Au Mexique : huit journalistes tués en 2015

Avec huit journalistes tués en 2015, dont cinq pour des motifs encore indéterminés, le Mexique demeure le pays le plus meurtrier d’Amérique latine pour la profession.

Les Etats de Veracruz et Oaxaca dans le sud du pays sont les plus dangereux pour les reporters, ciblés par des mafias et des personnalités politiques locales dès lors qu’ils dénoncent des faits de corruption.

Auparavant, certains pouvaient fuir ces Etats pour se mettre à l’abri dans des régions plus « calmes », mais l’assassinat de Rubén Espinosa dans la capitale, le 31 juillet 2015, a démontré qu’il n’existe aujourd’hui au Mexique plus aucun refuge pour les journalistes menacés.

5 exactions qui ont marqué l’année 2015

1. L’attentat contre Charlie Hebdo (France)
Le 7 janvier, deux hommes cagoulés, Saïd et Chérif Kouachi, pénètrent lourdement armés dans les locaux de Charlie Hebdo à Paris.

Douze personnes sont abattues, dont huit journalistes : les dessinateurs de presse Charb, Cabu, Tignous, Wolinski et Honoré, les journalistes Elsa Cayat, Mustapha Ourad et Bernard Maris.
Quelques jours plus tard, la branche d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) revendique l’attaque prétendument

menée pour « venger » Mahomet après les régulières publications de caricatures du prophète de l’Islam par le journal satirique. Ces attentats commandités par une idéologie extrémiste, qui ne tolère pas le blasphème, confirment la bataille essentielle à mener contre la notion de « diffamation des religions ».

2. L’assassinat mis en scène de Kenji Goto (Syrie)

Le 31 janvier, Daesh publiait la vidéo de l’exécution du journaliste japonais Kenji Goto. Ce reporter freelance avait été capturé fin octobre 2014 alors qu’il tentait de couvrir le conflit armé en Syrie et de retrouver son confrère Haruna Yukawa (exécuté une semaine avant lui).

Dans une mise en scène macabre similaire aux précédentes exécutions de journalistes étrangers, un bourreau s’adressait directement au Premier ministre japonais et affirmait que l’exécution de Kenji Goto se faisait en représailles de la participation du Japon dans la Coalition internationale en guerre contre Daesh. Dix journalistes étrangers aux pays où ils ont été capturés sont toujours aux mains de groupes non-étatiques à ce jour.
2015

3. Odieux massacres de blogueurs (Bangladesh)
En un an, quatre blogueurs ont été sauvagement assassinés au Bangladesh. Avijit Roy
(le 26 février), Ananta Bijoy Das (le 30 mars), Washiqur Rahman (le 12 mai) et Niloy Chakrabarti (le 7 août) étaient des blogueurs laïcs, porteurs de valeurs de tolérance, de liberté d’expression et de penser.
Leurs homicides ont été revendiqués par la branche d’Al-Qaïda sur le continent indien Ansar al-Islam et par le groupe radical Ansarullah Bangla Team.

Face à ce bain de sang, la passivité des autorités bangladaises a favorisé un climat d’impunité dangereux pour les journalistes-citoyens.

A ce jour, le travail de la police et de la justice n’a pas abouti à l’arrestation et à la condamnation de tous les auteurs et commanditaires de ces crimes odieux.

Ruben Espinosa, l’assassinat de trop (Mexique)

Le 31 juillet 2015, le photo-journaliste Rubén Espinosa est retrouvé mort, avec des traces de tortures apparentes, au côté de quatre femmes dans un appartement de la capitale Mexico.

Il avait fui l’Etat du Veracruz (sud) après avoir reçu des menaces de mort et s’était réfugié à Mexico pour sa sécurité. Son assassinat a entraîné une vague d’indignation et une prise de conscience sur le manque criant de protection pour les journalistes au Mexique.

La loi de protection des journalistes entrée en vigueur quelques jours plus tard (le 10 août) dans le district de Mexico, fruit de plusieurs années de concertation avec la société civile, ne saurait être efficace que si elle est étendue aux autres États et reçoit les moyens effectifs à sa mise en application.

Hindia Mohamed, nouvelle victime des attentats contre les journalistes (Somalie) Hindia Mohamed est l’une des deux femmes à avoir été assassinées cette année dans le monde en raison de leur activité journalistique. Journaliste à la télévision et à la radio nationales, elle a succombé aux blessures infligées par un attentat à la voiture piégée qui porte la signature de la milice islamiste des Shebab le 3 décembre 2015 à Mogadiscio.

Son époux et journaliste Liban Ali Nur avait lui aussi été victime d’un attentat revendiqué par le groupe radical en septembre 2012. En Somalie, l’impunité règne pour les crimes commis contre les journalistes, ce qui encourage ces odieux assassinats. A de nombreuses reprises, RSF a appelé les autorités somaliennes à agir pour que des enquêtes indépendantes et approfondies soient menées afin de traduire en justice les responsables de telles attaques – mais la sécurité des journalistes n’est toujours pas, à ce jour, la priorité du gouvernement.

Bilan des journalistes tués dans le monde

Pour mieux protéger les journalistes afin d’améliorer les outils pour leur protection dans le monde, RSF a adressé plusieurs recommandations au secrétaire général, au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale des Nations Unies :
La création d’un poste de représentant spécial sur la protection des journalistes auprès du secrétaire général de l’ONU. Il aurait pour tâche principale de contrôler que les États membres des Nations Unies respectent leurs obligations en matière de droit international, et disposerait du poids politique et de la capacité d’alerte nécessaires pour défendre efficacement les journalistes.

Afin d’obtenir rapidement une résolution pour créer ce poste, RSF mène depuis plusieurs mois une campagne internationale active pour collecter des soutiens au sein du système onusien et auprès d’États membres.

La saisie de la Cour pénale internationale (CPI) par le Conseil de sécurité quand des crimes de guerre sont commis contre des journalistes. Le 27 avril 2015, RSF réclamait au Conseil de sécurité de tout faire pour obtenir le déferrement de la situation des journalistes en Syrie et en Irak à la procureure de la Cour pénale internationale.

Seul le Conseil de sécurité peut, au titre du maintien de la paix et de la sécurité internationales, obtenir de la CPI qu’elle enquête et poursuive les responsables des crimes de guerre contre les journalistes dans les pays qui ne sont pas partie au Statut de la Cour.

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