« L’aspiration de tous » : le message codé de la Cénco

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Le dernier communiqué de la Cénco (Conférence épiscopale nationale du Congo) signé par son président, Mgr Nicolas Djomo, est diversement interprété dans l’opinion. La Majorité a jubilé, estimant avoir obtenu le soutien des évêques catholiques à la tenue à son ‘’dialogue’’. Du côté de l’Opposition, c’est plutôt le grincement des dents. Pourtant, en lisant entre les lignes, les évêques sont restés fidèles à leur ligne, celle d’un dialogue prenant en compte les « aspirations du peuple ». Autrement dit, amener la classe politique à se plier aux prescrits de la Constitution.

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Quiconque décrypterait suivant ses propres préjugés le dernier communiqué de la Cénco, daté du 4 janvier 2016 et portant la signature de son président, Mgr Nicolas Djomo, se mordrait les doigts le moment venu. A ceux qui ont cru voir les évêques adhérer poings et mains liées au dialogue proposé par le chef de l’Etat, Joseph Kabila, devraient déchanter. En réalité, les évêques membres de la Céncone se sont pas cabrés. Ils n’ont pas évolué à contre-courant de toutes leurs déclarations antérieures. Bien au contraire. Pour la Cénco, tout doit se faire suivant « les aspirations de tous ».

Dans les milieux politiques, le dernier message des évêques de la Cénco a été diversement commenté. Chacun a cherché à tirer le drap de son côté. La Majorité présidentielle a jubilé alors que généralement elle se fait une veine lorsque les princes de l’Eglise catholique se signalent. La MP a vu, dans le message sibyllin de Mgr le président de la Cenco, un semblant rétropédalage des prélats. A l’opposition, on s’est mordu les doigts à l’exemple de cet internaute qui n’a pas caché son dépit : « Je suis interloqué par cette volte-face de la Cenco !!! »

Un autre internaute a préféré tempérer les ardeurs des uns et des autres en indiquant qu’il n’y avait pas lieu ni de paniquer ni de jubiler.

Il faut dire que les princes de l’église ne se sont pas dédits. A moins d’être frappé d’amnésie, l’église catholique s’est accrochée à ce qu’elle a toujours défendu, c’est-à-dire un dialogue dans le strict respect des règles de jeu consignées dans la Constitution. En effet, sans se contredire, l’église catholique a juste réitéré « aux uns et aux autres son appel pressant à un sursaut patriotique, afin qu’ils puissent prendre leurs responsabilités devant l’histoire en vue d’un dialogue répondant aux aspirations de tous pour l’intérêt supérieur du pays ».

En réitérant son appel, la Cénco a voulu autrement rappeler toutes ses prises de position antérieures. Malheureusement, pour les « non-dialoguistes », l’Eglise a trahi. Pour les adeptes du dialogue, généralement tous proches de la Majorité présidentielle, « l’Eglise a senti le vent tourner ». Certains sont allés plus loin en prétendant déjà que l’opposition était « esseulée ».

A dire vrai, tout le monde s’est trompé. Le message, écrit dans un français limpide, ne porte aucunement les traces d’une trahison. La Cénco n’a pas bifurqué. L’Eglise est demeurée sur sa ligne traditionnelle ; celle de la neutralité. En outre, sa position n’a pas bougé d’un seul iota quant au dialogue. Elle en a toujours affirmé le principe et la nécessité de même qu’elle trouve que tout le monde y gagnerait pour autant que ses conclusions soient conformes à la Constitution et respectent les délais prescrits pour la tenue des élections qu’elle veut libres, transparentes et démocratiques.

C’est ce qu’il sied de comprendre par l’expression « dialogue répondant aux aspirations de tous pour l’intérêt supérieur du pays », pour peu qu’on se donne le temps de bien se servir de son intellect.

« La Cénco innove quant à la forme d’expression délibérément voulue édulcorée et apaisante », déclare le député UNC Sam Bokolombe. « Son communiqué est à la fois diplomatique et euphémique », ajoute-t-il. Sur le fond, la Cénco a réitéré, en d’autres mots, sa constante position précédemment exprimée au sortir de l’audience que J. Kabila lui avait accordée dans le cadre des consultations organisées en son temps par ce dernier. Par ailleurs, y a-t-il une église digne de ce nom qui n’appellerait pas au dialogue entre protagonistes d’une crise ou d’un conflit?

L’appel du Saint-Père au dialogue dans les pays dont l’irresponsabilité institutionnelle est susceptible de troubler la paix des nations et mettre en péril des vies humaines rentre dans la tradition de l’église catholique. Il en va de même de toutes les initiatives et déclarations du clergé congolais sur la crise actuelle découlant de la volonté de Kinshasa de dépasser le terme constitutionnel de mandat en vue de se pérenniser au pouvoir.

MP et Opposition se trompent d’allié

Bref, il n’y a donc ni félonie, ni capitulation, ni rebuffade, ni rétropédalage, encore moins un ralliement des princes de l’Eglise qui restent loyaux à leur religion. Leur message est sans équivoque et n’appelle ni panique ni jubilation.

En reprenant dans l’autre sens le dernier message des évêques, l’on se rend bien compte que la rationalité a quitté la classe politique congolaise. Aucun effort de réflexion et de transcendance de ses propres rêves n’est fourni. En fait, la Majorité tout comme l’opposition ont cru, chacune à leur manière, s’être fait adosser un allié de taille. Grosse erreur ! Les évêques leur opposeront la rengaine de la justice et de l’équité, conformément à leur mission.

Des nouvelles en provenance du diocèse de Béni-Butembo prédisent des rapports tendus entre le clergé catholique et le pouvoir. De son diocèse meurtri du Nord-Kivu, qui a encore enregistré dans la nuit du mercredi au jeudi une dizaine de morts, Mgr Melchisédech Sikuli a marqué toute son opposition au dialogue.

Serait-on tenté de croire que l’Eglise s’alignera au mensonge, à la corruption, à des massacres des populations pour s’éterniser au pouvoir, ou encore servir de courte-échelle pour accéder au pouvoir ? Ce serait faire preuve de naïveté. Il faudrait apprendre à lire les signes de temps.

Les évêques sont d’avis que le peuple aspire ardemment, en cette année 2016, aux élections, d’où il espère enfin assister à la première alternance démocratique du sommet de l’Etat. Toute autre solution, pour contourner cette voie, ne ferait qu’attiser sa colère.

Bien plantée au milieu du village, l’église catholique n’est pas dans les dispositions de jouer le mauvais rôle. Ceux qui se hasarderaient à remettre les «aspirations de tous » – comme le rappelle si bien Mgr Nicolas Djomo, trouveront sûrement l’Eglise sur son chemin. Tout comme ceux qui tenteraient d’exercer ou d’embrigader le pouvoir d’Etat au-delà de la limite et des dispositions prévues et imposées par la loi se verront certainement appliquer l’article 64 de la Constitution.

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