Élections – RD Congo – Vital Kamerhe : »Nous allons bousculer le pouvoir de Kabila »

Le Point

INTERVIEW. Leader de l’opposition, Vital Kamerhe s’exprime sur le climat politique actuel, mais aussi sur la pression que l’opposition entend mettre sur les autorités.

Pas question, pour Vital Kamerhe, de déclarer sa candidature à la prochaine élection présidentielle. Du moins pour l’instant. Mais à quelques mois de cette échéance attendue tant à l’intérieur du pays que par la communauté internationale, la crise politique semble avoir atteint son paroxysme. D’un côté, un pouvoir central qui s’isole et s’enferme dans une volonté de dialogue mais où la répression contre les leaders de la société civile est tout de même de mise. De l’autre côté, l’opposition un temps en désordre a obtenu quelques garanties. En 2015 d’abord, lorsqu’elle a fait reculer le gouvernement sur le projet de modification de la loi électorale, grâce à des manifestations monstres. Il était prévu que la tenue des prochaines élections soit liée à l’organisation d’un recensement de la population. Opération qui pouvait prendre de longues années, et donc induire sur la date fixée par la Constitution. Désormais, les opposants congolais constitués dans le Mouvement citoyen 2016 et rejoints par le puissant et influent ancien gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, veulent maintenir ce niveau de pression. Vital Kamerhe, ex-collaborateur de Joseph Kabila, ancien président de l’Assemblée nationale, est devenu en 2010 un farouche opposant à un système qu’il juge despotique. À son crédit, une candidature à l’élection présidentielle en 2011 où il est arrivé en troisième position (7,74 %), un parti politique, L’Union pour la nation congolaise (UNC), bien installé dans le paysage politique. Aujourd’hui sans être candidat, il s’est confié au Point Afrique sur le climat politique, les relations de l’opposition, et son rêve de voir la RD Congo jouer un rôle de leadership dans le développement du continent africain.

Le Point Afrique : Le G7 (alliance de sept partis politiques d’opposition) a choisi Moïse Katumbi comme candidat pour 2016, comment réagissez-vous ?

Vital Kamerhe : Je respecte leur choix, c’est un groupement politique auquel je n’appartiens pas. Ils ont choisi leur candidat, mais je considère qu’ils l’ont fait trop tôt. Ce n’est pas ce dont nous avions convenu. On s’était mis d’accord pour unir toutes nos forces pour bousculer celui qui est au pouvoir (Joseph Kabila, NDLR) parce que nous connaissons ses intentions. Nous devons dans un premier temps obtenir des garanties sur le déblocage du processus électoral, connaître le calendrier, et surtout être certains qu’il y aura des élections à la date prévue par la Constitution. C’est seulement après cette étape que nous devions trouver des critères internes au Front citoyen pour proposer une candidature unique. Parce qu’il faut une candidature unique, c’est une élection à un seul tour.

C’est une trahison de votre accord ?

Non. Je considère que c’est leur droit. Et l’intéressé a répondu attendre le bon moment. Nous avons, Moïse et moi, de très bonnes relations, et je l’ai conseillé d’attendre avant de déclarer sa candidature, et je trouve qu’il a été responsable en respectant notre entente.

Aujourd’hui, le climat politique est très tendu à Kinshasa…

Nous sommes à huit mois de la fin du deuxième mandat du président Kabila. C’est aussi l’année d’un grand défi pour le peuple congolais qui voudrait voter pour l’alternance pacifique du pouvoir le 25 novembre 2016. Nous sommes dans une zone de turbulence où les jeunes, les femmes, l’opposition politique et toute la population sont debout pour arracher la démocratie à travers l’organisation des élections libres et transparentes sans répression.

Mais le président Kabila n’a jamais dit qu’il n’y aurait pas d’élection, et il ne s’est pas déclaré candidat non plus, qu’est-ce qui justifie vos craintes ?

Vous savez, il y a des actes qui dépassent la parole. Quand le président bloque la Commission électorale nationale, en ne lui octroyant pas les moyens financiers pour préparer les différentes étapes de l’élection présidentielle, c’est une manière de dire qu’il ne veut pas qu’il y ait d’élection. Quand le porte-parole du gouvernement affirme que le ciel ne tombera pas sur la RDC si des élections n’ont pas lieu, ça veut tout dire. Mais nous sommes là, nous, les membres de la dynamique de l’opposition, le Groupement du G7, la société civile, dans le Front citoyen que nous avons créé à Dakar sur l’île de Gorée, dans l’unité, nous allons bousculer le pouvoir et obtenir l’alternance à la tête du pays. D’une chose l’une, s’il n’y a pas d’argent pour organiser les élections, on le fait savoir à nos partenaires internationaux pour qu’ils nous accompagnent. Je rappelle que l’Union européenne, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni ont dit que si le processus est transparent, c’est-à-dire que le président Kabila ne touche pas à la Constitution, si le président Kabila ne pratique pas la répression aux opposants et contre la société civile, la communauté donnera cet argent. Conclusion : s’ils ne disent rien, c’est qu’ils ne veulent pas.

Quel est l’état du pays aujourd’hui ?

Il y a la croissance et les fruits de cette croissance. C’est un pays paradoxal où 99 % de la population vit avec moins d’un dollar par jour, mais où l’on trouve quelques milliardaires, ce qui veut dire que l’argent reste et circule entre les mains de certaines personnes, d’une certaine classe, voire de quelques dirigeants au sommet de l’État. On nous annonce une croissance de presque 6 %, soit autant que la Chine, et en même temps, on dit qu’il n’y a pas d’argent pour organiser les élections. Moi, j’en déduis qu’il y a eu de l’argent détourné, et il faut revoir les conditions dans lesquelles sont négociés nos contrats avec l’extérieur, qui tire bénéfice de tout cela. Mais dans tous les cas, les chiffres de la croissance n’ont aucune incidence sur le développement du pays.

Quelles solutions pour booster votre pays ?

La RDC est pour l’instant le trou noir de l’Afrique. Notre communauté n’avance pas. Nous avons neuf voisins avec lesquels nous formons une communauté de 280 millions d’habitants. Dans notre vision : nous imaginons l’axe Johannesburg-Kinshasa, Kinshasa-Lagos et, une fois connectée au Maghreb, l’Afrique pourra relever le défi de devenir la locomotive du monde. Sur le plan stratégique, on sait que Johannesburg a besoin d’électricité, nous avons Inga, ils ont aussi des technologies et une forte population, le Nigeria pas très loin est devenu la première puissance d’Afrique, j’en déduis donc que c’est la République démocratique du Congo qui freine cet ensemble. Créons des routes qui traversent le pays du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest avec l’océan Indien et l’océan Atlantique qui viennent se croiser à Cap Town. L’Afrique, c’est dix fois l’Europe, 4 fois les États-Unis, c’est 60 % des terres arables du monde capables de nourrir les 9 milliards de population à venir, nous sommes à la frontière de l’économie mondiale. Il faut multiplier les connexions avec toutes les communautés d’Afrique.

Le terrorisme et l’insécurité menacent à vos frontières, comment entrevoyez-vous ces défis ?

Nous devons considérer que ce sont des défis mondiaux, le terrorisme ne vient pas d’Afrique. Les bombardements en Irak, en Afghanistan ou en Libye ont créé des monstres transfrontaliers, agissant en Afrique, nous sommes en train de payer pour les autres, par conséquent nous devons aborder ces questions avec le monde entier. En ce qui concerne la RDC, il a été démontré que des rébellions soutenues par des pays voisins et par certaines grandes puissances étrangères agissent depuis plus de vingt ans pour détruire notre pays. Il y a les FDLR du Rwanda, les ADF venus d’Ouganda, ou encore le FNL du Burundi, sans compter les groupes armés propres au Congo. La solution est bien sûr le renforcement de la mission de la Monusco, la plus grande mission des Nations-Unies. La crainte est la somalisation de la RDC, c’est pourquoi nous voulons la prévention. Aujourd’hui, la RDC, à l’Est il y a les shebabs, qui frappent en Ouganda, à l’Ouest vous avez Boko Haram, imaginez-vous que ces groupes prennent possession de la forêt, personne ne pourra les poursuivre, même pas les drônes américains, donc il faut que la communauté internationale agisse maintenant. Aujourd’hui, les jeunes Africains prennent la mer pour la clandestinité, c’est parce qu’ils sont dans le désarroi après des siècles de colonisation où on a vu toutes les richesses de l’Afrique partir, ils n’ont plus d’espoir et se disent qu’ils seront heureux ailleurs, ils se sentent condamnés. Et vu que l’Afrique, c’est 54 pays qui vivent en vase clos, ils vont plus loin en Europe, etc. Il faut faire sauter les 166 frontières du continent africain, ou du moins que les grandes régions interagissent. Il ne serait pas incongru que la RDC adhère à la communauté de l’Afrique de l’Est par exemple.

Quelles seraient vos priorités de candidat à la présidentielle ?

Dix minerais du Congo valent vingt-quatre mille milliards de dollars, potentiellement plus riche que les États-Unis, que l’Arabie saoudite mais nous sommes les derniers de l’humanité. Tout est donc prioritaire. La refonte de l’armée, mettre fin aux exactions, au viol des femmes, l’insécurité, créer une police professionnelle, une justice équitable, une administration neutre et efficiente, une diplomatie gagnant-gagnant. Deux grands secteurs seront au coeur de mes préoccupations : l’agriculture et le développement durable. Avec trois cibles : les jeunes, les femmes et les paysans.

Toutes ces promesses alors que le pays n’attire plus les investisseurs…

Il faut réduire le temps de création d’entreprise, le ramener à 72 heures par exemple. Il faut supprimer toutes les taxes inutiles, il y en a plus d’une centaine. Il en faut une seule à travers un guichet unique, mais il faut aussi que la justice puisse protéger les investisseurs nationaux et étrangers. Les nationaux sont vraiment prioritaires, car il faut constituer une classe moyenne qui servirait de témoin pour le pays, si les nationaux prospèrent, nous voulons des Dangote chez nous, comme au Nigeria, les investisseurs étrangers viendront par la suite.

Propos recueillis par Viviane Forson

 

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