Le Prof André Mbata Mangu parle du respect de la Constitution, de l’élection présidentielle, de la Cour constitutionnelle et de l’article 64, le jeudi 28 avril 2016 à New York

Décidément, New York a son influence sur ce qui se passe au Congo. Le Président Joseph Kabila, le futur premier Sénateur à vie de la RD. Congo y était en début de semaine pour signer l’accord COPE 21. Hasard ou coïncidence de calendriers, le Prof André Mbata Mangu se trouvait aussi à New York dans le cadre d’un séjour scientifique organisé par le Social Science Research Council, mais il devait aussi répondre à des demandes de consultation des responsables américainsqui cherchaient à avoir le point de vue du constitutionaliste congolais sur la crise politique et constitutionnelle qui couve dans son pays. Grâce aux médias tels que C- News et 7 sur 7 CD, le Professeur des Universités qui compte de nombreux sympathisants aux Etats-Unis a été retrouvé dans un hôtel de Brooklyn, non loin du Manhattan, où il a pu échanger avec eux. Un correspondant occasionnel de votre journal nous a fait parvenir le résumé de sa communication que nous reproduisons ci-dessous.
Au cours de son entretien avec des membres de la Diaspora congolaise venus à sa rencontre, le Prof André Mbata Mangu a dit se trouver à New York dans le cadre des activités du Social Science Research Council(Conseil de la recherche ensciences sociales. Les discussions se sont tenues autour du développement des sciences sociales en Afrique. L’un des enseignements majeurs est que l’on ne peut pas se dire des sciences sociales ou tout simplement intellectuel si on ne se préoccupe pas de l’amélioration des conditions de vie de son peuple et si on ne communie pas avec lui. Le chercheur en sciences sociales ou l’intellectuel ne saurait être neutre ou « indépendant » dans le sens que cet adjectif revêt dans le langage politique congolais. Il est par contre un homme (ou une femme) engagé à la cause de son peuple, à son combat ou à ses luttes. Il doit partager ses joies, ses peines et ses espoirs et ne saurait donc pas pactiser ou se mettre au service des bourreaux de son peuple et des personnes qui cherchent son « inanition ».
Après avoir fait observer une minute de silence en mémoire de Papa Wemba qui avait fait l’honneur du pays dans le domaine musical, l’universitaire congolais a révélé à ses compatriotes les différents contacts qu’il a eus avec certains membres de l’Administration américaine qui l’avaient consulté pour avoir le point de vue du constitutionnaliste sur la crise politique et constitutionnelle qui couve en RDC et ses implications pour l’avenir du pays, sur les requêtes récemment déposées auprès de la Cour constitutionnelle en vue de l’interprétation de l’article 70 de la Constitution, sur la cour elle-même, l’élection présidentielle, et le sens des articles 64 et 220 de la Constitution.
Son premier devoir, a-t-il précisé, aura été de réitérer ses félicitations et ses remerciements au Conseil de Sécurité pour sa Résolution 2277, une résolution« historique » pour ceux qui connaissent le droit international et qui va dans l’intérêt du peuple congolais en insistant sur le respect de la Constitution qu’il avait lui-lui-même souverainement adoptée et sur le respect des délais qu’elle a prescrits en vue de l’organisation de l’élection présidentielle. Aussi, contrairementà ce qu’en ont pensé certaines personnes « irresponsables » dans les rangs du gouvernement et de la majorité présidentielle (MP), cette Résolution adoptée sous le Chapitre VII n’est pas une déclaration d’intention ni une simple recommandation, mais une décision qui s’impose à la RDC conformément à l’article 24 de la Charte de l’ONU.
Mr Kabila qui était à New York a confirmé que la RDC reste membre de l’ONU et que son gouvernement doit se soumettre aux décisions du Conseil de Sécurité.
Prof André Mbata a expliqué la crise actuelle en RDC comme « une crise artificiellement créée »  par la MP  qui n’a jamais voulu respecter la Constitution ou organiser de élections qui ouvriraient la voie à l’alternance démocratique. Voilà, a-t-il dit, un groupe d’individus ou une « coterie » de personnes qui budgétisent mais détournent l’argent prévu depuis quatre ans pour l’organisation des élections, refusent de donner les moyens conséquents à la CENI, placent la communauté internationale et nationale devant le fait accompli et clament que les élections sont impossibles dans les délais constitutionnels et qu’il faut par conséquent dialoguer pour « sauver le pays » en instituant une transition consensuelle avec une prorogation du mandat présidentiel pourtant interdit par les articles 70 et 220 de la  Constitution. Selon lui, il s’agit d’un schéma diabolique au terme duquel des pyromanes se transforment en sapeurs-pompiers et invitent les autres à s’associer à eux pour éteindre le feu qu’ils avaient eux-mêmes allumé. Ils font penser à un violeur en série qui viole à la fois sa mère et sa grand-mère (la Constitution) et appelle ensuite les autres à leur secours.
Pour André Mbata, toutes les idées « ingénieuses » pour perpétuer le « viol des textes » en vue de l’établissement d’une nouvelle monarchie présidentielle en RDC sont le fruit du même laboratoire de la MP. C’est ce laboratoire animé par des professeurs et quelques soi-disant intellectuels danseurs au rythme de « OWUMELA » qui avait fabriqué plus de 300 partis politiques la veille des élections du 28 novembre 2011 pour permettre à la MP de se constituer une majorité parlementaire avant de disparaître. C’est de ce labo qu’était sorti le fameux livre intitulé « Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la Nation ». C’est le labo qui avait ingénié l’Office national de recensement et préparé la proposition de loi électorale soumettant les élections à l’exigence d’un recensement de la population qui pouvait prendre entre 5 et 20 ans pendant lesquels l’Autorité Morale de la MP devait rester à la tête de l’Etat. C’est le labo qui a pris la Cour constitutionnelle en otage et avait préparé l’arrêt qui avait permis la nomination des Commissaires spéciaux en abusant de la Cour constitutionnelle. C’est le labo qui avait dicté à Corneille Nangaa, le Président de la CENI, son plan de 18 mois pour organiser les élections. C’est aussi le même labo qui a initié le fameux Dialogue avec ses recommandations et tout cela dans le seul et unique but de permettre à Mr Kabila de rester indéfiniment au pouvoir, en violation de la Constitution. C’est le labo qui arrête les stratégies d’achat de conscience de certains leaders de l’opposition, des intellectuels, des artistes, des professeurs d’universités, des journalistes, et des chefs de confessions religieuses. C’est le labo qui encadre les Députés et Sénateurs lors des votes au Parlement pour ne pas laisser tomber le gouvernement et s’occupe de l’« encadrement » des juges de la Cour constitutionnelle et d’autres hauts magistrats. C’est finalement le même labo qui a préparé la requête en interprétation de certaines dispositions de la Constitution qui vient d’être introduite auprès de la Cour constitutionnelle. Pour le Prof Mbata, si les Congolais pouvaient aimer leur peuple et leur pays plus que le pouvoir et l’argent et faire montre d’un tel « génie » dans d’autres domaines, la RDC serait développée depuis longtemps.
Faisant une restitution de ses contacts, le Prof André Mbata a dit aux responsables de l’Administration Obama qui l’ont rencontré que leur insistance pour le respect de la Constitution et l’alternance démocratique en RDC en 2016 va dans le sens du respect du peuple congolais qui avait souverainement fixé à cinq ans la duréeet à deux fois le nombre de mandats présidentes (Articles 70 et 220).
Commentant les mauvaises interprétations par certains médias congolais des propos du Secrétaire d’Etat américain John Kerry à la suite de son entretien avec Joseph Kabila à New York, le Prof André Mbata a dû les attribuer au manque de maîtrise de l’anglais qui n’est pas notre langue. L’Administration Obama a félicité le Président Kabila pour ce qu’il a fait pendant 15 ans dans le pays tout en lui rappelant la nécessité et l’urgence d’un transfert pacifique de pouvoir à la fin de son second et dernier mandat afin de préserver les acquis et entrer par la grande porte dans l’histoire de son pays. Le conseil est resté le même que celui que le Professeur n’a pas cessé de prodiguer aux dirigeants africains, particulièrement ceux de l’Afrique centrale et des Grands Lacs : il y a une vie après la présidence. IL faut savoir quitter le pouvoir avant qu’il ne vous quitte !
Revenant au débat sur l’interprétation de certains articles de la Constitution il a expliqué que lorsqu’ils constituent au moins un dixième de l’Assemblée nationale (50) ou du Sénat (12), les Députés nationaux ou les Sénateurs ont bel et bien qualité pour introduire une telle requête en vertu de l’article 161 de la Constitution. Le problème est qu’une disposition comme l’article 70 n’est sujette à interprétation que quand elle est floue, ce qui n’est pas le cas de l’article 70 qui doit nécessairement être lu en conjonction avec d’autres articles tels que les articles 73 et 220 qui sont d’une extrême clarté et précision, spécialement en ce qui concerne le mandat du président de la République qui ne peut connaitre aucune prorogation. Le problème de la requête, c’est aussi et surtout parce que le mobile des Députés nationaux est égoïste et « criminel » du point de vue du droit constitutionnel. Il vise à permettre au Président de la République de rester au pouvoir au-delà de son second et dernier mandat, et donc en violation de la Constitution. Dans la foulée, les Députés nationaux ne se préoccupent que de leurs propres ventres car ils veulent aussi obtenir une rallonge (glissement) et continuer à toucher d’énormes salaires que rien ne justifie alors que le peuple broie dans la misère et qui s’apparentent à un enrichissement sans cause compte tenu de leur piètre prestation.
Comme la Constitution lui interdit formellement de rester en fonction un jour, une heure, une minute ou une seconde supplémentaire à la fin de son second et dernier mandat, l’arrivée de ce terme le 19 décembre 2016 constitue bien autre forme d’empêchement définitif qui ouvre la voie à l’intérim par le Président du Sénat (Articles 75 & 76) comme ce serait aussi le cas si un nouveau président américain n’était pas élu avant le 20 janvier 2017, si les primaires n’étaient pas organisées, si les candidats présidents et vice-président mourraient tous ou démissionnaient avant l’élection par le Collège de Grands électeurs ou encore si le président et le vice-président élus mourraient ou démissionnaient tous les deux avant cette date. On ne peut pas parler de vide à la tête de l’Etat ni invoquer le principe de droit administratif de continuité de services publics parce qu’ un président intérimaire est connu, c’est le Président du Sénat  et sa mission également : veiller à l’organisation de l’élection présidentielle par la CENI dans un délai pouvant aller de 60 à 90 jours ( 2 à 3 mois), une durée n’ayant rien à avoir avec les 18 mois de Mr Nangaa. C’est la logique constitutionnelle qu’il faudra poursuivre jusqu’au bout, que l’on aime ou pas le Président du Sénat. On ne peut pas vouloir défendre la Constitution et s’opposer à l’application de cet article en invoquant le glissement ou l’illégitimité dont le Sénat n’est pas lui-même responsable. Il est constitutionnel et légal et c’est ce qui importe le plus dans ce cas.
Au sujet de de la Cour constitutionnelle, le Prof André Mbata a dit qu’elle devrait cesser de jouer la carte du glissement et s’affranchir de la tutelle de la MP en exerçant un « devoir d’ingérence ». Ce n’est pas parce que les juges de la Cour suprême sont nommés par le Président des Etats-Unis qu’ils doivent aliéner leur indépendance comme les juges de la Cour constitutionnelle de la RDC l’ont fait à l’occasion de l’arrêt ayant permis la nomination des Commissaires spéciaux et que le constitutionnaliste a qualifié d’« d’arrêt de la honte ».,Avec la saisine de la CENI qui n’était pas compétente pour le faire, l’invocation de la « force majeure » ou l’affirmation de la compétence de la Cour constitutionnelle comme le «régulateur des pouvoirs publics» qu’on retrouve dans une constitution comme celle du Benin – et non pas dans la nôtre – cet arrêt avait étalé au grand jour l’incompétence de la Cour et fait la honte de celle-ci. Les requêtes en interprétation qui viennent d’être introduites auprès de la Cour constitutionnelle devraient lui permettre de se racheter et de prouver au peuple et au monde entier que les juges constitutionnels sont indépendants et jouissent des compétences réelles et sérieuses en droit constitutionnel car les doutes persistent.
Les juges constitutionnels ont du reste plus d’une raison de s’assumer. Premièrement, même s’ils ont été proposés par la MP et nommés par le Président, ce dernier a perdu le pouvoir de les révoquer. Ensuite, la justice est rendue au nom du peuple (Article 149) et non pas au nom et pour le compte de la MP et de son Autorité Morale. Enfin, leur mandat est plus long que celui du Président de la République et des parlementaires qui s’en vont et ils doivent se préoccuper de leur propre avenir. Pour le Prof Mbata, c’est la crédibilité de la Cour qui est en jeu. Au-delà, ce que beaucoup de gens ne savent pas, c’est la crédibilité des universitaires congolais, celle de l’Université de Kinshasa et surtout celle de sa Faculté de Droit qui est concernée. Sur les 9 membres de la Cour constitutionnelle, 4 proviennentde l’UNIKIN et 3 de sa Faculté de Droit. Ils doivent s’assumer sauf à confirmer qu’ils sont dans la logique de l’« inanition de la nation ».
Evoquant l’article 64 qui consacre un « droit à la révolution ou à la rébellion » contre toute forme de dictature, Prof André Mbata a précisé que cet article inspiré par la Conférence nationale souveraine et la  Constitution du Bénin est l’un de plus importants articles de la Constitution. Pour le Prof, contrairement à l’interprétation étriquée qui en est généralement donnée, cet article est de nature à s’appliquer au Président de la République, au gouvernement (national, provincial ou local), au parlement (national ou provincial), et à tout service public qui exerceraient le pouvoir en violation des dispositions de la Constitution. Selon lui, la Constitution n’a pas établi un « gouvernement des juges » même si les arrêts de la Cour ne sont  susceptibles d’aucun appel et sont immédiatement exécutoires. La Constitution a par contre établi un gouvernement du peuple, qui seul est souverain et exerce cette souveraineté par voie des élections libres, régulières et transparentes ou par voie de référendum (Article 5).
Les 9 membres de la Cour constitutionnelle ne sont pas le peuple congolais tout comme ils ne devraient pas se croire au-dessus du peuple congolais et de sa Constitution. Le peuple peut aussi lui brandir l’article 64 si ses membres exerçaient leur pouvoir en violation de la Constitution en interprétant de manière tendancieuse les dispositions claires de la Constitution pour justifier le glissement et un troisième mandat de fait du Président de la Republique. Un tel arrêt serait un « coup d’état contre la Constitution » qui serait l’œuvre de la Cour et qui appellerait la même réponse que le peuple réserverait à tout coup d’Etat. La Cour constitutionnelle a aussi son juge qui est le peuple congolais.  Le peuple a aussi le devoir de s’opposer à une Cour constitutionnelle qui se réduirait à un groupe d’individus ou de putschistes contre la Constitution. Ce serait le cas, par exemple, dans nos pays où toutes les folies sont possibles au nom du pouvoir et de l’argent, si la Cour constitutionnelle décidait de transformer les hommes en femmes ou le contraire en se fondant sur le fait que ses arrêts sont sans recours ! Personne n’obéirait à un tel arrêt.
Pour conclure, s’exprimant non loin du siège de l’ONU, le Prof Mbata a rappelé l’article 215 de la Constitution qui stipule que les traités et accords internationaux sont des lois et ont une force supérieure aux lois dans notre pays. Par conséquent, même en interprétant la Constitution, la Cour constitutionnelle ne peut se permettre d’ignorer la Résolution 2277 adoptée par le Conseil de Sécurité sur base de la Charte de l’ONU qui lie notre pays.
Propos recueillis par John Kambale

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