Au Congo, Didier Reynders veut profiter d’un “momentum”

Par Colette Braeckman

« Si rien n’est fait, on arrivera au 27 novembre (date de l’expiration du deuxième mandat du président Kabila) et alors il risque d’être trop tard… » Soucieux de prévenir la crise plutôt qu’en gérer les conséquences, le ministre Reynders, après un bref séjour en Angola consacré entre autres au volet régional (comprenant entre autres le Burundi) a passé à Kinshasa deux journées bien remplies : il a rencontré tous les acteurs concernés par la situation très particulière que traverse en ce moment le pays, depuis Henri Mova le secrétaire général du PPRD,le parti au pouvoir et Evariste Boshab le ministre de l’Intérieur, jusqu’aux diverses composantes de la palette politique, le « G7 » composé d’anciens dignitaires et la « Dynamique de l’opposition », composé de l’opposition traditionnelle, sans oublier la société civile et l’Eglise catholique en la personne du cardinal Monsengwo, sans oublier les Nations unies.
Cette visite du représentant du pays que le ministre congolais des Affaires étrangères Raymond Tshibanda appelle « notre principal partenaire » était très attendue, car, malgré les positions américaines très tranchées exigeant les élections dans les délais prévus et la résolution 2277 des Nations Unies en faveur du prescrit constitutionnel, c’est encore vers Bruxelles que se tournent les regards.
Alors que dimanche dernier une manifestation en faveur de Moïse Katumbi a été sérieusement réprimée à Lubumbashi (et cela alors qu’à Kinshasa des opposants ont pu défiler sans encombre), à l’heure où plusieurs voix dénoncent des restrictions à la liberté de la presse et un nombre croissant d’arrestations, le ministre belge a choisi d’insister sur « la nécessité de maintenir un espace public le plus ouvert possible », d’éviter l’arbitraire et d’impliquer les forces de sécurité dans la garantie des libertés publiques. Une manière courtoise, mais ferme et répétée à chaque occasion, de prier le pouvoir congolais de respecter les droits des citoyens et les libertés d’expression et de manifestation… Cela étant le ministre a aussi relevé qu’à Kinshasa, sans entrave aucune, il avait pu, en quelques heures faire le tour de l’éventail politique… Avec le Ministre de l’Intérieur, qui était entouré du chef de la police le général Bisengimana et du chef de l’agence nationale de renseignements, Kalev Mutomb, Reynders a aussi partagé une préoccupation commune : la radicalisation croissante de certains groupes de jeunes, à cause de la crise sociale mais aussi pour des raisons religieuses. Il y a déjà plusieurs mois que l’on sait que, dans les deux Kivu, des jeunes, recrutés par des inconnus de confession musulmane partent se former au loin et que des mosquées se multiplient, animées par des imams venus de pays connus pour être des foyers de fondamentalisme. Mais ce qui est nouveau, c’est l’information selon laquelle des phénomènes similaires ont été relevés dans certains quartiers de Kinshasa. D’où la décision des deux pays d’échanger des informations sur ces sujets extrêmement sensibles…
En ce qui concerne le calendrier électoral, Reynders n’a certes pas fait étalage de toutes les ressources de l’ingéniérie politique belge, mais il semble tout de même avoir convaincu ses interlocuteurs de tout bord de la nécessité d’avancer et de procéder par étapes. Il a constaté que le processus de révision du fichier électoral avait déjà commencé, afin de dénombrer les millions de jeunes arrivés à l’âge de la majorité et en droit de voter. Il a aussi encouragé l’idée d’un dialogue entre les forces politiques, afin de répondre à certaines questions de base : quelles élections, locales, législatives avancées (permettant le renouvellement du Sénat) et bien sûr présidentielles, à quel moment et avec quel financement…Soutenant l’intervention du facilitateur Edem Kodjo, en charge de la préparation du dialogue politique, le ministre belge estime que, de toutes façons, il est urgent de dépasser l’immobilisme actuel (le calendrier provisoire du dialogue n’a même pas encore été établi…)..
C’est pour cela que la date du voyage avait été soigneusement choisie : Reynders estime qu’il existe en ce moment un « momentum » une « fenêtre d’opportunité » qui risque, si elle n’est pas mise à profit, de se refermer dans les semaines qui viennent.
Ce qui est certain, c’est que, tant par ses propos et ses suggestions concrètes, Didier Reynders a voulu démontrer que l’intérêt de la Belgique pour le Congo demeurait aussi vif que jamais. Un intérêt désormais inscrit dans la brique : sur le Boulevard du 30 juin, le bâtiment qui abritera la future ambassade du Royaume, avec un étage qui sera loué aux Pays Bas, prend une allure imposante tandis que plusieurs immeubles destinés à accueillir du personnel diplomatique et consulaire ont été achetés avec le produit de la vente d’autres ambassades, à Brazzaville entre autres, et sont actuellement rénovés en tenant compte du style Art Nouveau qui régnait à la veille de l’indépendance…

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