Devoir de mémoire: 31 juillet 2014 – 31 juillet 2016: Prof André Mbata au Président Barack Obama : une lettre qui contribua à changer la politique africaine des Etats-Unis

La Rédaction

En raison de son poids géostratégique, la RD Congo a toujours été au centre de la politique africaine et même mondiale des Etats-Unis, comme s’ils ne pouvaient pas demeurer la super puissance planétaire sans avoir de l’influence sur ce pays. En dépit des contacts avec la Chine, cette position n’a guère changé. Pendant plusieurs décennies suivant l’indépendance, la politique congolaise des Etats-Unis avait été dominée par le principe : Mobutu or the Chaos (Mobutu ou le chaos). Au cœur de la guerre froide, les Etats-Unis soutenaient les « hommes forts » ou des bouffons comme Chefs d’Etats en Afrique à condition qu’ils ne fussent pas les alliés de Moscou ou de Pékin. Cette position a par contre changé depuis l’avènement de Barack Obama avec toutes les chances de se radicaliser avec l’élection de Mme Clinton comme première femme à la présidence des Etats-Unis si jamais l’alternance au pouvoir en RDC n’intervenait pas avant la prestation de serment du nouveau président américain le 20 janvier 2017 à 12h, heure de Washington, DC. Le pays de l’Oncle Sam a totalement tourné le dos aux « hommes forts » pour privilégier les institutions démocratiques en Afrique. Le discours et les faits peuvent être atténués pour d’autres pays, mais en tout cas pas pour la RDC qui n’est ni le Burundi, ni le Congo, ni le Rwanda, mais le cœur de l’Afrique.

Dans sa lettre du 31 juillet 2014 qui avait été publiée par RD Congo News  et  répercutée par Kasai Direct et d’autres médias sérieux,  Prof André Mbata Mangu, l’un de plus grands universitaires congolais et sans doute le plus brillant de nos constitutionnalistes, rappelait à Obama ses engagements dans son livre intitulé L’audace d’espérer tout en lui demandant de faire progresser la politique africaine des Etats-Unis dans le sens du changement en s’opposant à la « monarchisation du pouvoir présidentiel » par des Chefs d’Etat qui se croient être des hommes providentiels  et déploient toutes sortes des stratégies de corruption et de manipulation pour se donner une présidence à vie ou se maintenir indéfiniment au pouvoir.

Cette lettre aura contribué à sa manière à la radicalisation de la politique américaine contre les dictatures en Afrique, spécialement dans le pays que le peuple et les dirigeants avaient librement choisi d’appeler « République démocratique du Congo ». Barack Obama s’était adressé par la suite aux Chefs d’Etat africains au siège de l’Union africaine à  Addis-Abeba en Ethiopie où il reprenait à sa façon le discours bien connu du constitutionnaliste congolais : « Il y a une vie après la présidence. Il ne sert à rien de se cramponner au pouvoir. Il  faut savoir quitter le pouvoir avant qu’il ne vous quitte ». L’Administration américaine a aussi « sponsorisé » plusieurs résolutions sur la RDC au Conseil de Sécurité de l’ONU, spécialement la Résolution 2277, qui insistent sur l’impératif du respect de la Constitution et la tenue des élections présidentielles dans les délais constitutionnels. Les sanctions qui ont commencé et qui vont probablement s’intensifier ne sont que des « chicottes » pour ramener à la raison un pouvoir qui aurait perdu la boussole et aimerait ramener tout un peuple au temps de la dictature du parti unique de Mobutu avec la Majorité Présidentielle (MP) devenue une photocopie certifiée conforme (enlever seulement le « R » du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR et vous avez la MP !) et son autorité morale présentée par notre confrère Jeune-Afrique comme une « sosie » du Maréchal.

La considération accordée par le Président Barack Obama à la lettre du Prof André démontre que même s’ils restent parfois incompris dans leurs pays et haïs par les artisans du status quo et de l’«inanition » de leurs peuples, lorsqu’ils ne font pas comme eux la « politique du ventre » ou refusent de devenir des « porte-parole», des « garçons de course » ou des « thuriféraires » des Léviathans ou ces « monstres froids et hideux » qui nous gouvernent, les intellectuels africains peuvent se faire respecter en inspirant les politiques de leurs pays et celles de grandes nations comme les Etats-Unis.

Barack Obama, qui se retire cette année, sait bien qu’« il y a une vie après la présidence » et qu’il ne faut pas se laisser affoler par des sirènes et des cris de « WUMELA » (reste …indéfiniment au pouvoir) lancés hypocritement par des personnes soudoyées et manipulées à outrance à l’occasion des visites présidentielles qui s’apparentent en réalité à des visites d’adieu du « monarque présidentiel ».

Elle peut être longue mais compte tenu de son importance, par devoir de mémoire, Kasaï Direct reproduit ci-dessous cette lettre du Prof André Mbata (précédé d’un commentaire fait en son temps) qui avait été publiée le 31 juillet 2014.

 

31 juillet 2014

En marge du Sommet USA-Afrique Le Prof André Mbata s’adresse à Obama via une lettre ouverte

L’un de meilleurs constitutionnalistes et intellectuels africains résolument engagés à la cause de son peuple, Professeur des universités, auteur de plusieurs ouvrages dont deux sur Barack Obama et le plus récent sur Nelson Mandela, «Hommages à Nelson Mandela. Leçons de leadership pour les dirigeants africains et du monde présents et à venir», André Mbata n’en est pas à sa première lettre ouverte aux dirigeants du monde.

En 2009, quelques mois après le discours scandaleux prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar où il déniait l’historicité aux peuples d’Afrique, il l’accueillait à Kinshasa avec «Bienvenue à Kinshasa Monsieur Nicolas Sarkozy, Président de la République française, mais Kinshasa n’est pas Dakar».

Au mois de septembre 2013, trois mois après avoir descendu en feu et en flammes son collègue Evariste Boshab, Secrétaire général du PPRD et auteur de «Entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la Nation» qui était aussitôt entré dans la clandestinité scientifique avant de réapparaitre mardi 29 août 2014 dernier tout aussi dépourvu d’arguments qu’il y a une année, le prof André Mbata s’adressait à Joseph Kabila pour lui demander de ne pas écouter ses nombreux «tambourinaires» qui tels des flatteurs dans Le corbeau et le renard vivent au dépens de celui qui les écoute, de comprendre qu’il y a une vie après la présidence et de respecter scrupuleusement son serment en se retirant du pouvoir en 2016 conformément à l’article 220 de la Constitution. A moins d’une semaine de la tenue du sommet Etats-Unis d’Amérique–Afrique, alors qu’on le croyait abattu, l’universitaire congolais que le régime de Kinshasa tente d’intimider, d’arrêter et d’envoyer en exil revient à la charge avec cette nouvelle lettre ouverte au chef de l’Etat le plus puissant de la planète pour lui demander de ne pas sacrifier sur l’autel des intérêts nationaux et égoïstes américains les valeurs pour lesquelles il s’était battu et d’inviter les dirigeants africains à s’inscrire à l’école de la bonne gouvernance, du respect des droits humains, de l’Etat de droit et de la constitution au moment où certains d’entre-eux ont décidé de larguer plusieurs de leurs thuriféraires qui inventent des théories pour chercher à leur donner une «présidence à vie» et les aider à se cramponner au pouvoir en violation de la Constitution.

(Ci-dessous, in extenso, la version française de cette lettre rédigée en anglais et envoyée à Barack Obama sous couvert des Ambassadeurs américains respectivement accrédités à Kinshasa et à Pretoria).

Monsieur le Président,

Je voudrais d’abord vous saluer pour votre initiative d’inviter les dirigeants africains à un sommet qui intervient pratiquement six ans après votre élection à la présidence américaine en 2008. Même si nous ne nous sommes pas encore rencontrés personnellement, je me réjouis du fait que nous nous connaissons.
Chef de l’Etat le plus puissant et le mieux informé de la planète mis au courant même quand certains de nos dirigeants assassinent certains de leurs opposants et amassent des milliards de dollars qu’ils croient cacher dans les Iles vierges, je suis sans doute l’un des universitaires africains que vous connaissez le mieux parce que je suis le seul à vous avoir consacré un livre en français et un autre en anglais dont une copie doit vous avoir été transmise par votre Ambassadeur à Pretoria, en Afrique du Sud.

Monsieur le Président, à deux ans de la fin de votre second mandat, plusieurs peuples du monde qui avaient placé beaucoup d’espoir dans l’avènement d’un nouvel ordre international plus juste et plus équitable ont vite fait de déchanter. J’ai formulé de nombreuses critiques contre le «Washington consensus» et la politique étrangère et sur toute la politique africaine des Etats-Unis sous votre présidence. Ces critiques contenues dans un article publié récemment dans Afrique Développement, la plus respectable revue africaine des sciences sociales qui est publiée par le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique(CODESRIA) vous sont parvenues et je n’ai pas besoin de m’y étendre dans cette urgente lettre qui a plutôt un autre objet et se rapporte aux attentes des peuples d’Afrique qui avaient eu l’audace d’espérer en un changement de politique africaine des Etats-Unis sous votre Administration et se tournent cette semaine vers vous au moment où vous recevez leurs dirigeants dont le plus grand nombre gouvernent par défi et en toute illégitimité.

Monsieur le Président, même si vous avez refusé de donner des audiences individuelles, vous allez néanmoins serrer la main à certains des dirigeants les plus corrompus et les plus sanguinaires de la planète. Vous serez amené à sourire et à rire avec des dirigeants qui ne sourient jamais à leurs peuples. Vous donnerez à manger aux dirigeants qui en privent à la majorité de leurs peuples. Vous discuterez avec plusieurs dirigeants malhonnêtes qui ont fait main basse sur les richesses de leurs pays, ceux qui n’hésitent pas d’amasser des milliards et privatisent leurs pays. Vous échangerez amicalement avec des dirigeants qui privent leurs peuples de leurs droits, y compris le droit fondamental de circuler et de se chausser librement comme c’est présentement le cas dans la ville de Kinshasa en RDC.

Lors de vos hommages à Nelson Mandela au Stade de Soweto le 7 décembre 2013, vous déclariez à son sujet: «Il n’était pas un monument fait de marbre…Il y a beaucoup de leaders qui se disent solidaires de la lutte pour la liberté de Madiba mais ne tolèrent pas l’opposition de leurs propres peuples…Aujourd’hui, il est parti et nous avons perdu l’un des êtres humains les plus influents, les plus courageux et les plus profondément bons sur terre…Par son engagement à transférer le pouvoir et à se réconcilier avec ceux qui l’avaient jeté en prison, il avait montré l’exemple de ce à quoi l’humanité aspire que ce soit dans la vie des nations ou dans nos propres vies personnelles… Aussi longtemps que je vivrai, je continuerai d’apprendre de Nelson Mandela». Soyez assuré, Monsieur le Président, qu’en convoquant le sommet, vous allez rencontrer des dirigeants africains qui sont comme des «monuments faits de marbre». Certains n’ont aucun sens d’humour et apparaissent comme des
«robots» sans coeur.

Vous rencontrerez des dirigeants qui avaient fait comme vous le voyage de Johannesburg pour rendre hommage à Madiba et se montrer solidaires de sa lutte pour la liberté alors qu’ils ne tolèrent pas la moindre opposition dans leurs pays. A la place de Mandela, vous donnerez la main à certains des hommes les plus profondément mauvais sur terre. Vous vous ferez photographier avec des hommes qui s’accrochent au pouvoir et essaient de transformer leurs pays en «monarchies présidentielles» où ils s’éternisent au pouvoir. Si vous devez continuer d’apprendre de Nelson Mandela tant que vous vivrez comme vous l’aviez annoncé, environ deux semaines après la célébration de la Journée internationale Nelson Mandela, qu’allez-vous dire à ces dirigeants dont la plupart sont illégitimes, assoiffés de pouvoir, et corrompus ?

Monsieur le Président, à deux ans de la fin de votre mandat, vous avez l’occasion de vous réconcilier avec l’Histoire et les peuples d’Afrique en adoptant un langage franc et direct lorsque vous vous adressez aux dirigeants africains, spécialement à ceux dont le mandat arrive à son terme et qui s’adonnent déjà à toutes sortes de manœuvres diaboliques pour se maintenir au pouvoir ou retarder la tenue des élections libres et crédibles et démocratiques dans leurs pays en s’offrant parfois les services de certains juristes et constitutionnalistes décervelés qui comptent parmi les plus piètres de la planète malgré la détention des diplômes qui devraient leur être retirés pour incompétence notoire et vagabondage intellectuel.

Le message du Chef de l’Administration américaine lors du Sommet ne saurait être moins direct et moins dur que celui de ses envoyés spéciaux. Dans la région des Grands Lacs, plusieurs ont apprécié le discours de votre envoyé spécial, le Sénateur Russ Feingold et celui du Secrétaire d’Etat John Kerry qui lors de sa récente visite en RDC demandait à Mr Joseph Kabila de respecter la Constitution en se retirant du pouvoir en 2016 après ses 15 ans de règne tout en lui disant qu’il était encore jeune et pouvait encore servir son pays ailleurs qu’à la présidence.

Monsieur le Président, je suis heureux que la CIA et d’autres services compétents américains vous aient depuis longtemps informé de mon combat pour la consolidation du constitutionnalisme et de la démocratie sur le continent. Comme vous le savez bien, je n’ai donc pas attendu la visite de vos envoyés spéciaux pour donner un tel conseil au dirigeant congolais et à certains de ses collègues souffrant du même syndrome de déficience immunodémocratique acquis (SIDA) qui les pousse à rechercher une présidence à vie dans des régimes théoriquement républicains mais où des dirigeants se comportent comme des monarques.

Après avoir contribué à faire cesser l’agression de mon pays par le Rwanda voisin dont le régime avait été longtemps soutenu dans cette entreprise criminelle par l’Administration américaine et plusieurs multinationales occidentales, je me réjouis que vous ayez réalisé qu’il vous faut entrer dans l’Histoire comme le dirigeant américain qui aura fait quelque chose pour résoudre les problèmes de l’Afrique qui sont essentiellement ceux de manque de leadership, de sous- développement, de mauvaise gouvernance politique et économique, de la corruption des dirigeants, des violations régulières et massives des droits de l’homme, de l’institution des fraudes électorales ainsi que de l’irrespect de la Constitution et de l’Etat de droit.

Je voudrais vous entendre dire clairement aux dirigeants africains qu’ils doivent respecter les Constitutions de leurs pays comme vous le faites si bien aux USA. Ils doivent se retirer calmement du pouvoir à la fin de leur mandat car il y a une vie après la présidence. Ce message devra être adressé à tous les dirigeants africains. Etant donné que plusieurs dirigeants africains ont réussi à se doter des ministères de l’information et des télécommunications qui excellent dans la désinformation et le mensonge, votre message devra sonner clairement dans les oreilles de ceux qui ont délié comme des chiens enragés des «communicateurs» et autres thuriféraires.
Dans un pays comme la RDC, ces derniers qui sont parfois doublés de charlatans intellectuels n’ont pas hésité de menacer leurs peuples d’«inanition» ou de mort subite si jamais les constituions n’étaient pas révisées ou même balayées pour permettre à leurs chefs de continuer de régner ou même de régner pour toujours au motif qu’ils seraient nés pour le faire comme le prétendaient les conseillers de SAM dans les Termitières de la savane de Chinua Achebe que vous aviez lu pendant vos études de droit à l’Université de Harvard.

J’espère que la Maison blanche déploiera comme toujours ses meilleurs interprètes pour votre message qui devra sonner clairement dans les oreilles de vos hôtes, spécialement les Présidents Pierre Nkurunziza du Burundi, Blaise Compaoré du Burkina Faso, Denis Sassou Nguesso du Congo,Teodoro Obiang Nguemade Guinée équatoriale, Ellen Johnson Sirleaf du Libéria, Armando Guebuza de Mozambique, Joseph Kabila de la RDC, Paul Kagame du Rwanda, Jakaya Kikwete de Tanzanie et Yayi Boni du Bénin dont les mandats arrivent d’ici 2017et devraient logiquement quitter calmement le pouvoir au lieu de tenter de s’y maintenir en violation des Constitutions de leurs pays. A la veille de la fin des mandats de plusieurs présidents en exercice et de nouvelles élections, les textes constitutionnels souvent adoptés par référendum populaires ont banalisés ou balayés pour permettre aux dirigeants de rester au pouvoir.

Plusieurs de ces dirigeants qui se présenteront la semaine prochaine à Washington comme des agneaux mais qui sont en réalité des loups dans leurs pays ont déjà mis leurs partis et tambourinaires en éveil pour se pérenniser au pouvoir. Heureusement pour l’Afrique, certains Présidents n’ont pas attendu le Sommet de Washington pour se prononcer et démontrer que le respect des dispositions constitutionnelles sur le nombre de mandats présidentiels n’est pas seulement une réalité américaine, elle est aussi africaine. C’est le cas du Président Yayi Boni qui vient d’annoncer qu’il respectera la constitution de son pays qui lui interdit un troisième mandat et prendra sa retraite en 2016 après avoir adressé un message de remerciements au peuple béninois. C’est aussi le cas du Président Guebuza de Mozambique qui se retirera parce que le FRELIMO a déjà désigné Mr Felipe Nyussi comme son candidat à l’élection présidentielle du 15 octobre 2014.

Il ne saurait en être autrement dans ces pays qui ont déjà institué une tradition du respect du nombre de mandats présidentiels et où les anciens présidents Mathieu Kerekou, Nicéphore Soglo (Bénin) et Joaquim Chissano (Mozambique) mènent une vie honorable après la présidence. Il n’y a pas non plus de doute que les Présidents Jakaya Kikwete (Tanzanie) et Hifikepunye Lucas Pohamba (Namibie) suivront la voie tracée par leurs prédécesseurs (Ali Hassan Mwinyi et Benjamin Mkapa en Tanzanie et Sam Nujoma en Namibie) ou des anciens présidents des pays comme l’Afrique du Sud (FW de Klerk, Nelson Mandela, Thabo Mbeki), le Ghana (Jerry Rawlings, John Kufuor), le Botswana (Quett Masire et Festus Mogae), le Kenya (Arap Moi et Mwai Kibaki), le Mali (Oumar Konaré), le Nigeria (Olesegun Obasanjo, Abubakar), le Sénégal (Abdou Diouf et Abdoulaye Wade) et la Zambie (Kenneth Kaunda et Rupiah Banda). Le problème reste cependant entier avec des dirigeants parvenus au pouvoir par putsch ou coup d’Etat militaire comme Paul Kagamé du Rwanda, Teodoro Obiang Nguema de Guinée équatoriale, Blaise Compaoré du Burkina Faso et Joseph Kabila de la RDC qui était au centre de votre dernier message au Congrès et qui devra retenir une fois de plus votre attention lors du sommet de la semaine prochaine.

Monsieur le Président, au moment où vous conseillez le respect de la Constitution, les masques de ceux qui ont érigé le mensonge, la corruption et l’obscurantisme en système de gouvernement au nom de la «modernité» et de la «nouvelle citoyenneté» sont finalement tombés. Alors qu’ils avaient juré lors de l’une de leurs réunions secrètes qu’ils ne comploteraient jamais contre la Constitution et que les membres éminents de cette nouvelle «Prima Curia» se gargarisaient à déclarer sous tous les toits que le président se retirerait du pouvoir de manière «civilisée» en procédant à la remise et reprise avec son successeur au terme des élections à organiser en 2016, plusieurs «fous du Roi» viennent d’annoncer au monde à moins d’une semaine du Sommet de Washington qu’il n’en était plus rien parce qu’ils allaient tout faire pour conserver le pouvoir comme ils l’avaient déjà fait en 2006 et en 2011, c’est-à-dire par le biais du tripatouillage constitutionnel et des fraudes électorales massives. L’on ne pouvait en douter. Le message est venu du Secrétaire général du parti présidentiel, celui-là même qui avait placé le peuple devant le choix existentiel entre la révision constitutionnelle et l’inanition de la nation. L’impression qui se dégage malheureusement pour l’université congolaise et ses étudiants, particulièrement ceux des Facultés de droit, est que le «savant» professeur semble avoir définitivement tourné le dos à la science du droit qu’il s’amuse à tourner en dérision en fonction d’un choix qu’il aurait délibérément fait de sacrifier les valeurs du constitutionnalisme et de la démocratie véritable sur l’autel pourtant enflammé et puant des ambitions égoïstes de pouvoir et d’argent. L’évènement a eu lieu en présence du Président de l’Assemblée nationale, des députés, des sénateurs et des ministres de son parti qui semble tout vouloir sauf la démocratie et le progrès de la nation.

Je vous avais communiqué en son temps les arguments invoqués pour la «révision» ou pour le changement de la Constitution à l’approche de nouvelles élections que la Majorité au pouvoir devra gagner à tout prix suivant l’homélie de la messe déjà dite par le prélat catholique placé à la tête d’une Commission électorale nationale indépendante qui ne l’est nullement. Ces arguments hérétiques relevant de la défaite totale de la pensée des tambourinaires du pouvoir en place ont certainement fait rire le constitutionnaliste que vous êtes. Ces arguments rappellent étrangement ceux que l’on avait naguère entendus sous la dictature du Président Mobutu présenté à l’époque comme le bâtisseur, le pacificateur et un immortel «devant régner jusqu’au retour du Seigneur».

Le discours ridicule tendant à justifier la «monarchisation de la République» pour préserver la «stabilité» et avancer sur la voie de la «modernité» n’est en rien différent de celui que l’on avait jadis entendu des danseurs et des chantres du parti unique. Le comble est que les arguments de banalisation de la Constitution comme une Constitution étrangère et impropre à notre peuple viennent des partisans de l’inanition de la nation alors que le porte-étendard était lui-même l’un des experts de cette même Constitution qui comprenait d’autres experts congolais comme les professeurs Augustin Mampuya, Célestin Kabuya et Jean-Louis Esambo ainsi que Messieurs J.P. Mbwebwa, F. Kapanga et Malumba Mbangula. Le président Joseph Kabila aurait pu intervenir pour arrêter des troupes affolées par le souci de se maintenir au pouvoir qui courent vers leur propre «inanition».

Même si on lui reproche d’avoir peu réalisé durant ses 15 ans de règne, on doit cependant lui reconnaître des circonstances atténuantes, la plus jolie fille au monde ne pouvant donner que ce qu’elle a. Aussi, comment ne pas compatir avec lui lorsqu’il regrettait il y a quelques années que malgré tous les bruits faits par ses collaborateurs, il ne pouvait même pas compter une dizaine de personnes dans les rangs de sa Majorité qui pouvaient l’aider à gouverner le pays ! Il avait sans doute raison car contrairement au FRELIMO (Mozambique),à l’ANC (Afrique du Sud), et au Chama cha ma pinduzi (Tanzanie) avec lesquels il entretient pourtant des relations et qui avaient pu trouver facilement des successeurs aux Présidents Chissano, Mandela, Mbeki et Nyerere, qui ne pouvaient pas concourir pour un troisième mandat, le PPRD et l’ensemble de la Majorité présidentielle viennent de démontrer qu’ils ne comptent pas en leur sein un seul de leurs membres qui soit compétent et capable de faire ce que Monsieur Joseph Kabila a fait. Je lui donnais raison lui qui disait ne pas avoir de dauphin. Or une monarchie sans dauphin est condamnée à disparaitre misérablement. Le pire dans le cas du Congo c’est aussi le silence de Monsieur Joseph Kabila alors qu’il avait prêté serment non pas seulement d’observer mais aussi de défendre la Constitution adoptée par plus de 89% du peuple congolais par référendum du mois de décembre 2005 et promulguée par le président lui-même le 18 février 2005. Pourtant, en banalisant cette Constitution, ses partisans manifestent leur mépris vis-à-vis du peuple et coupent l’arbre de légalité sur lequel le Président était élu tout en effritant davantage le peu de légitimité dont il pouvait encore se prévaloir lui qui s’était fait élire sur base de cette Constitution qu’il avait juré d’observer et de défendre.

Monsieur le Président, le climat ainsi créé et entretenu est particulièrement grave compte tenu de la situation géostratégique de la RDC en Afrique et dans le monde. Cette situation est de nature à remettre en cause tous les efforts menés par notre peuple et la Communauté internationale qui y a envoyé le plus grand contingent des Casques-bleus depuis la création de l’ONU pour restaurer la paix, contribuer à la réunification du pays et mettre un terme aux pires violations des droits de l’homme que le pays a connu après des décennies de conflits armés et d’agression étrangère. En outre, au Congo comme dans le reste de l’Afrique et du monde, la démocratie avec la possibilité d’alternance politique qu’elle offre constitue une condition cardinale de la paix.

Monsieur le Président, Frantz Fanon disait que l’Afrique avait la forme d’un revolver dont la gâchette était placée au Congo et c’est avec raison que vous ayez réservé une bonne partie de votre discours au Congrès à ce pays. Le refus de respecter la Constitution, spécialement le nombre de mandats présidentiels, tout en rejetant toute possibilité d’alternance politique dans ce pays immensément riche aussi grand que l’Europe occidentale et borné par neuf pays dont la République centrafricaine et le Sud Soudan sont en ébullition alors que l’Ouganda, le Burundi et le Rwanda ne connaissent qu’une paix éphémère constitue une terrible menace à la paix et à la sécurité à la fois internes et internationales qui nuirait à tous les efforts de développement dans le pays, dans la Région des Grands-Lacs et sur l’ensemble du continent africain. Une telle situation devrait interpeller l’ensemble du peuple congolais et africain, les Etats-Unis, les Nations-Unies et la Communauté internationale.

Au regard de ce qui précède, Monsieur le Président, je vous prie de profiter du Sommet de Washington pour réaffirmer avec force votre message à travers le Sénateur Russ Feingold et le Secrétaire d’Etat John Kerry et ceux des Représentants spéciaux du Secrétaire général Ban-ki-Moon, de l’Union européenne et de l’Union-africaine qui demandent au président de la RDC et à ses homologues africains arrivés fin mandat de ne pas modifier les Constitutions de leurs pays pour se pérenniser au pouvoir et de refuser d’écouter la musique des tambourinaires pour prendre leurs retraites afin de consolider la paix, le développement, la réconciliation nationale, la démocratie et l’Etat de droit en suivant l’exemple de Nelson Mandela et d’autres leaders africains qui avaient su démontrer qu’il y avait une vie honorable après la présidence.

Monsieur le Président, si vous pouvez réussir à convaincre ces dirigeants qui écoutent rarement les voix rationnelles des intellectuels organiques de leurs peuples et préfèrent se fier aux thuriféraires et flatteurs qui n’hésitent pourtant pas de les abandonner aussitôt que le pouvoir les quitte ou qui se soumettent plus facilement à la raison des armes qu’aux armes de la raison, vous aurez réussi à vous dédouaner tant soit peu auprès des peuples du continent sur lequel votre père était né et qui avaient nourri tant d’espoirs lors de votre avènement à la présidence des Etats-Unis.
Il est entendu qu’il ne saurait y avoir ni paix ni développement durables en Afrique sans la promotion du constitutionnalisme et de l’Etat de droit démocratique qui valent aussi bien pour les Africains que pour le peuple américain et sans lesquels aucun business ne saurait prospérer.

André Mbata Mangu

Professeur des Universités

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