KINSHASA PLEURE SES MORTS

Écrit par Le Potentiel

 Comme en janvier 2015, beaucoup de Congolais sont tombés des suites de l’usage disproportionné de la force lors de violentes manifestations populaires qui ont secoué Kinshasa et  d’autres villes du pays les 19 et 20 septembre 2016. Des actes de pillage ont été perpétrés dans certains coins de la ville de Kinshasa – totalement en déphasage avec les revendications de la population. Ce qu’il faut condamner. A ce tableau lugubre s’ajoutent des menaces à l’endroit des leaders de l’Opposition afin de les condamner au silence.  Les 19 et 20 septembre 2016, Kinshasa a compté ses morts, dans un silence pesant et inacceptable des autorités. Les pillages qui s’en étaient suivis ont presque dénaturé les revendications initiales d’une population qui ne demande qu’une chose : le respect de la Constitution.

On le craignait dès le départ. Et le pire est finalement arrivé. Les manifestations populaires des 19 et 20 septembre se sont, une fois de plus, soldées par mort d’hommes. Des hommes et femmes, fauchés pour avoir juste réclamé une chose : le respect de la Constitution, assorti de l’alternance au sommet de l’Etat.

C’est dans la rue qu’ils avaient décidé d’exprimer leur ras-le-bol, convaincus que les autorités administratives et politiques, légalement établies, les protègeraient. Ils se sont trompés. Car, en face d’eux, c’est une armada de policiers et militaires lourdement armés qui leur ont barré la route.

La vague de protestations qui s’en est suivie s’est soldée malheureusement par mort d’hommes : 32, dont quatre policiers, selon le dernier bilan présenté mercredi par le porte-parole de la PNC. Une centaine de morts et des personnes portées disparues, dont des policiers, selon l’Opposition regroupée au sein du Rassemblement des forces politiques et sociales acquises au changement. 44 morts, de l’avis de plusieurs ONG internationales.

Dans tous les cas, il y a eu perte en vies humaines. Une situation qui a été unanimement condamnée à travers le monde (lire en page 3).

Du siège des Nations unies à New York où se tient l’Assemblée générale ordinaire de l’ONU, des dirigeants du monde entier n’ont pas caché leur colère. Du président français, François Hollande, au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, jusqu’à l’administration du président des Etats-Unis, Barack Obama, en passant par différentes organisations non gouvernementales internationales, tous ont condamné les morts de Kinshasa et d’ailleurs. Tous rendent responsable le régime de Kinshasa.

Pendant ce temps, dans la capitale congolaise, la majorité au pouvoir a choisi de proférer des menaces, visiblement orientées vers les principaux leaders de l’Opposition. C’est le procureur général de la République (PGR), Flory Kabange Numbi, qui s’est chargé de conduire cette action. Dans une déclaration largement relayée dans la presse, le PGR a dit avoir instruit la Direction générale de migration de « ne pas laisser sortir » du territoire national les suspects impliqués dans les évènements des 19 et 20 septembre. « La police va rechercher les acteurs/auteurs intellectuels des casses et meurtres partout où ils se trouvent, même dans les hôpitaux », a-t-il déclaré, soulignant que des « poursuites judiciaires » seront lancées contre les coupables des événements des lundi 19 et mardi 20 septembre à Kinshasa.

Deux jours de silence

Alors que le monde entier s’est levé pour condamner de la manière la plus virulente, les graves tueries de Kinshasa et ailleurs en RDC, de New York où il se trouve, le chef de l’Etat a préféré ne pas réagir. Motus et bouche cousue pendant les deux jours de tueries en masse à Kinshasa.

Pas un mot sur tous ces Congolais tombés sur le champ de la démocratie. Pas un mot non plus sur ces policiers, morts au front pour avoir tenté de maintenir l’ordre public. Pour les uns et les autres, celui qui est reconnu « garant de la nation » par la Constitution a jugé bon de se taire. Un silence pesant que les Congolais ont du mal à accepter.

En effet, le chef de l’Etat pouvait bien imiter l’exemple de l’Eglise catholique qui, à travers la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), s’est retirée momentanément du dialogue de la Cité de l’UA pour, selon son secrétaire général adjoint, l’abbé Donatien Nshole, organiser le deuil de ceux qui sont tombés les 19 et 20 septembre 2016 à Kinshasa. Entre-temps, qu’est-ce que le chef de l’Etat a fait ? Rien du tout. Pas un message de condoléances aux familles éplorées, ni à la Police nationale congolaise.

« C’est inacceptable », clame très remonté un agent de l’administration de l’Intérieur. Un citoyen ayant requis l’anonymat a rappelé la promptitude avec laquelle le chef de l’Etat avait chargé, en avril 2016 alors qu’il se trouvait à l’étranger, son directeur de cabinet d’adresser un message de condoléances à l’occasion du décès de l’artiste-musicien Papa Wemba. « Mais, pour les morts des lundi 19 et mardi 20 septembre, a-t-il ajouté, le premier citoyen de la RDC s’est tu. Autrement dit, ces morts ne comptent pas, alors qu’ils se sont sacrifiés pour le triomphe de la démocratie ». Et notre interlocuteur de renchérir : « Comme pour Beni, le président de la République a gardé silence au moment où ses concitoyens sont tués par les forces de l’ordre ».

Qu’est-ce à dire ? Les morts des 19 et 20 septembre 2016, de même que ceux de janvier 2015, n’interpellent pas le pouvoir en place. Au contraire, pour le gouvernement, tous ces morts ne sont qu’une quantité négligeable. Sans s’agacer, le ministre de l’Intérieur, Evariste Boshab, les a traités de « pillards » qui, selon lui, ont subi le sort qui était le leur.

Cerise sur le gâteau, menaces et intimidations de tous genres sont proférées à l’endroit de l’Opposition. Une manière subtile de les condamner au silence pour étouffer toute forme de contestation et assurer en douceur le glissement du cycle électoral au-delà du 20 décembre 2016.

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