L’AVENIR DU DIALOGUE POLITIQUE DANS UN CONTEXTE REMANIÉ (SUITE)

Écrit par Dr. Pierre Anatole MATUSILA

  La RD Congo aurait-t-elle renoncé à son pacte républicain pour adopter des attitudes propre à un état de nature ?

Loin de faire l’apologie de la violence et de tenir le gouvernement pour seul responsable de cette dérive, quoique bénéficiant de la clause d’exclusivité souveraine, il y a lieu de retenir que ces événements ont fini par démontrer l’impatience de la population à voir l’alternance politique intervenir dans un bref délai à défaut de respecter le délai constitutionnel. Ce qui naturellement interfère sur le déroulement des travaux du dialogue de la cité de l’UA dont les résolutions sont attendues dans un contexte de tension extrême qui va décider de son caractère expressif ou non.

II. Le dialogue politique : rompre, recadrer ou continuer ?

La question qu’il faille se poser après ces événements macabres du 19 et 20 janvier c’est celle de dire quel avenir pour le dialogue politique en cours ? Doit-on rompre, recadrer ou continuer ? Et quelle finalité pour ce dialogue dans la résolution de cette crise politique qui vient de s’enliser avec les derniers événements ?

Il est évident que le dialogue politique à la cité de l’UA a déjà lourdement été affecté par cette nouvelle tragédie de répression policière d’une marche pacifique qui a dégénéré. Les participants ont été surpris par la tournure des choses en ce lundi 19 et les représailles du mardi 20. Les conséquences ont été immédiates :

– La séance de clôture du dialogue prévue pour le lundi 19 a été renvoyée au mardi 20 pour être finalement décalée de 72 heures au motif de compatir avec les familles éprouvées. La reprise des travaux se fera dans un état psychologique différent de celui qui a prévalu jusque-là.

– La CENCO a suspendu sa participation au dialogue spécifiant, à la suite des signes du temps, des préalables en vue d’un accord politique devant requérir un large consensus (la non-représentation du président actuel aux prochaines élections, la fixation des différentes dates du scrutin et le plan de décaissement des fonds par le Gouvernement, etc.)

– La communauté nationale et internationale est désormais unanime sur le caractère non inclusif des assises de la cité de l’UA et insiste sur la prise en compte des absents à ce dialogue, notamment le Rassemblement.

– Le dialogue suspendu devra désormais se dérouler dans un contexte totalement remanié. Le constat c’est que le Rassemblement n’est pas un perturbateur, mais un partenaire sérieux qui doit être considéré dans les différents tableaux stratégiques.

– Le dialogue de la Cité de l’UA semble aujourd’hui porter la responsabilité de la non-convocation de l’élection par la CENI au prétexte d’attendre l’accord politique qui sortirait de ces assises et servirait de soupape au travail technique de la centrale électorale. La CENI elle-même joue sur deux fronts : institutionnel et extra institutionnel. Dans le premier tableau, la CENI reconnait explicitement sa violation de la Constitution en sollicitant, la veille du terme, le report de l’élection pour le président de la république. Que deviendrait le processus si objectivement la cour répondait négativement à cette saisine ? Dans le tableau politique, il semble justifier ses maladresses en s’accrochant à l’accord politique qui sera issu du dialogue. Que deviendrait le processus si les négociateurs jugent un accord politique inopportun à la fin des travaux ?

– Le dialogue de la cité de l’UA semble de plus en plus s’écarter de son objectif originel en cessant d’être un dialogue politique pour devenir un dialogue technique. Le dialogue politique réclamé était celui de rechercher les voies de préservation de la mémoire collective en garantissant l’avenir post-fonction du président de la République actuel à partir du 19 décembre 2016. Par contre le dialogue technique ne résout que le problème lié à l’organisation des élections oubliant le problème politique de fond. Car à vrai dire, c’est le lendemain de l’alternance qui inquiète le régime comparé à la garantie d’un prolongement de mandat.

         Tous ces éléments nous permettent d’évoquer le principe cher aux internationalistes du « rebus sic stantibus », c’est-à-dire un changement profond des circonstances. Il serait impensable de chercher à préserver les mêmes règles du jeu dans un contexte politique complètement remanié. Perdurer dans la logique du dialogue déjà lancé serait consacré l’extinction dans l’œuf de cet accord politique en gestation. Car, toute chose restant égal par ailleurs, un gouvernement de transition qui sortirait de la cité de l’Union Africaine, quelles que soient ses bonnes intentions et même appuyée par la communauté internationale, serait un gouvernement de type policier et tout autant tortionnaire que celui qui a été à la base de la crise politique actuelle. Or la finalité du dialogue n’est pas d’être un organe constituant ou une Assemblée nationale qui devrait investir un gouvernement de transition, mais un haut lieu d’intelligence publique alternative aux insuffisances institutionnelles de prévision des choses et de prévention des crises.

         Si le dialogue de la cité de l’UA a réussi de manière procédurale et matérielle à rapprocher la majorité, une moitié de l’opposition et de la société civile, il n’offre cependant plus des garanties quant à l’aspect expressif de la démarche, c’est-à-dire l’acceptation par l’opinion publique en surchauffe des résolutions qui en seront issues. Les événements du 19 et 20 septembre ayant substantiellement contribué à renforcer le scepticisme populaire.

Que faire présentement que le dialogue s’atrophie ? Quel est le prix à payer pour sauver le dialogue ?

III. Nécessité de sauver le dialogue : esquisse de relance

Le principal atout de ce dialogue, c’est de regrouper dans une large mesure des acteurs qui ont pris part au dialogue de Sun city et ont signé à Pretoria l’Accord Global et inclusif, même si certains ont changé de camps dans l’entretemps. L’histoire retiendra que s’il y a eu Sun city II, c’était parce que Sun city I a échoué et que l’accord de l’Hôtel des cascades entre les composantes MLC, certains partis politiques, Société civile et Gouvernement de Kinshasa n’a pas été concluant. Le porte-parole de la composante Gouvernement de Kinshasa, feu Guillaume Samba Kaputo, posait souvent la sage question de savoir : «  Qu’est-ce que l’on peut faire ensemble pour aller de l’avant ? ».

L’échec de Sun City ne l’était pas ; à vrai dire c’était une difficulté de parcours, c’était une phase qui n’avait pas abouti. C’est le même esprit qu’il faille adopter. Si l’inclusivité veut dire aller vers le Rassemblement malgré tout, il faudra que ceux qui prennent part à ce dialogue se dépasse et dépassionne les débats. Le dialogue n’est pas un forum des personnalités politiques, mais une rencontre entre des groupes d’opinions ancrés dans la base et pouvant mener celle-ci à accepter des mécanismes exceptionnels qui sortent du cadre constitutionnel pour lequel le peuple vient une fois de plus de verser son sang.

De notre point de vue, des dispositions suivantes peuvent nous faire avancer :

1. Le Président devrait sortir de son silence et reconnaitre au nom de Tous en tant que Garant de la nation pour les insuffisances constatées dans la gestion du processus électoral devant conduire à son propre remplacement. Et lancer un appel pressant et vibrant au Rassemblement de travailler ensemble dans la recherche des voies de sorties de cette crise.  Et comme en 2006 avec Jean Pierre Bemba, envisager une rencontre en tête-à-tête avec le comité de sage du Rassemblement ou son président. « Ce qui envenime les choses, c’est le refus des institutions d’endosser la responsabilité publique »

2. Reconfigurer le dialogue en rapprochant le Rassemblement par des actes qui rencontrent ses préalables, notamment la libération des prisonniers politiques, l’ouverture des médias de l’opposition etc., l’arrêt des poursuites contre certains de ses leaders. « Le président de la République a le pouvoir de commuer et de remettre les peines »

3. Dépolitiser la CENI pour renforcer son autonomisation opérationnelle. Certains acquis en termes techniques notamment avec la refonte totale du fichier électoral et la séquence des élections obtenus à la cité de l’Union Africaine pourraient aider à faire avancer les choses. « La cité de l’Union Africaine n’est pas un marché des dupes, elle a réussi à faire avancer les choses dans certains aspects ».

4. Si le gouvernement de salut public est adopté comme autorité de gestion des résolutions, celle-ci ne devra pas sortir du schéma constitutionnel pour garantir la lisibilité de sa mission et de son action : celle d’organiser les élections à temps convenable. « Tout gouvernement de salut public qui sortirait du schéma institutionnel sera encore plus irresponsable que celui qu’il va remplacer».

5. Puisqu’en dépit de la bonne foi de ce gouvernement d’exception la république pourrait, dans un premier temps, manquer des ressources nécessaires pour gérer les opérations pré-électorales et électorales, un partenariat international pourrait être négocié dans ce cadre strict.  « Le Congo étant un Etat post-conflit, membre des Nations Unies, devrait bénéficier de l’accompagnement de celles-ci dans le cadre de la ‘peace building’ (reconstruction de la paix)»

Honorable Docteur Pierre Anatole MATUSILA

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