Kinshasa sous pression des Nations unies pour éviter un nouveau bain de sang

Par Christophe Châtelot

Manifestation de l’opposition à Kinshasa, le 19 septembre.

La pression internationale sur la République démocratique du Congo (RDC) est montée d’un cran pour éviter un nouveau bain de sang après la répression meurtrière des manifestations organisées contre le président Joseph Kabila, le 19 septembre.

Vendredi 30 septembre, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies (ONU) a placé le pays sous surveillance. Réagissant aux violences commises ces dernières semaines, notamment l’usage disproportionné de la force contre les manifestants qui exigent le départ du président Kabila au terme de son second mandat, le 19 décembre, le Conseil exprime « de profondes inquiétudes ».

Il pointe également « les restrictions croissantes aux libertés fondamentales », notamment les détentions arbitraires, les menaces contre la société civile, les journalistes, les membres de partis politiques, et les entraves aux libertés d’expression et de manifestation.

« Une centaine de personnes tuées »

La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) a qualifié la décision du Conseil d’« acte politique fort (…) indispensable pour répondre à la crise des droits humains qui secoue la RDC (…) alors que tous les signaux sont au rouge et que les violences ne cessent de se multiplier ».

La veille, la haute commissaire adjointe aux droits de l’homme de l’ONU, Kate Gilmore, avait déjà jugé qu’une « enquête indépendante, transparente et crédible [était] nécessaire pour traduire en justice les auteurs et les instigateurs des violences ».

Les 19 et 20 septembre, plusieurs dizaines de personnes ont été tuées dans Kinshasa au cours d’affrontements en marge d’une manifestation organisée par l’opposition à trois mois de la fin du mandat du président Joseph Kabila pour lui signifier son « préavis » et exiger son départ. Ce dernier ne montre aucun signe de vouloir quitter le pouvoir mi-décembre alors que, selon la Constitution, il n’est pas en droit de se représenter pour un troisième mandat.

Le bilan définitif de ces violences reste à établir. Selon la police, trente-deux personnes sont mortes. D’après Kate Gilmore, quarante-neuf civils et quatre policiers ont été tués, 127 autres personnes blessées « semble-t-il par la garde républicaine, l’armée et la police ».

Le décompte que la FIDH est en train d’établir évoque « une centaine de personnes tuées », explique Paul Nsapu, membre du bureau Afrique de l’association et président de l’ONG congolaise la Ligue des électeurs.

« Ce processus de vérification et d’identification des victimes est très délicat alors que le pouvoir a déployé ses services de sécurité devant les morgues, explique-t-il. Les exactions se sont déroulées le 19 septembre, mais des arrestations et des enlèvements ont aussi eu lieu les 20 et 21 septembre. De plus, nous avons reçu les déclarations d’une trentaine de familles dont un proche a disparu. »

Saisie de la CPI

L’opposant Moïse Katumbi, ancien gouverneur de la région du Katanga passé il y a quelques mois dans l’opposition, envisage un recours auprès de la Cour pénale internationale (CPI). Son avocat, Me Eric Dupond-Moretti, a confirmé, jeudi, qu’il y a « sans doute matière à la saisir ».

De passage à Paris, Moïse Katumbi a fermement condamné les agissements des forces de l’ordre. « Les victimes ne sont ni des pillards, ni des voleurs, mais des gens qui sont allés réclamer leur droit : la convocation de l’élection présidentielle. »

L’opposant vit, depuis juillet, en exil forcé en Europe après sa condamnation à trois ans de prison par un tribunal de Lubumbashi pour usage de faux dans une affaire vieille de dix ans normalement prescrite. Depuis, la juge qui a prononcé la sentence, réfugiée en France, a expliqué avoir agi sous la contrainte des autorités congolaises. Mais, pour le moment, cette condamnation entrave l’action de l’opposant.

« Moïse Katumbi, sous le coup d’un ordre d’arrestation immédiate, aimerait rentrer dans son pays mais son entourage et plusieurs gouvernements étrangers lui déconseillent de le faire, explique l’un de ses collaborateurs,un général en prison ne peut pas mener le combat. »

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L’ex-gouverneur affirme, lui, qu’il rentrera dès que le pouvoir sera disposé à ouvrir « un véritable dialogue inclusif » destiné à sortir de l’actuelle crise politique et institutionnelle et associant les principales figures de l’opposition, dont lui et Etienne Tshisekedi, président de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) et opposant congolais « historique ».

Jusqu’à présent, les autorités s’y sont refusées au risque d’être débordées par la rue. L’actuelle médiation menée au nom de l’Union africaine par Edem Kodjo n’est pour l’instant parvenue à aucun résultat ; l’ancien premier ministre togolais ne dispose plus de la confiance des principaux partis d’opposition.

« Détérioration sécuritaire »

Le scénario prédisant un dérapage sécuritaire est pris très au sérieux par les principaux partenaires de la RDC. A la tribune de l’ONU, le premier ministre de la Belgique, ancienne puissance coloniale au Congo, a dit« respecter le principe de souveraineté, mais à la condition que la souveraineté ne devienne pas un paravent pour malmener l’Etat de droit et bafouer les libertés fondamentales ».

Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, s’est montré plus alarmiste, jugeant que le pays était « au bord de la guerre civile », provoquant une réaction enflammée de Kinshasa.

Washington semble partager l’analyse française. Les Etats-Unis ont ainsi donné « l’ordre » aux membres des familles du personnel gouvernemental américain « de quitter le pays à partir du 29 septembre » en raison de la« détérioration de la situation sécuritaire [et du] risque de troubles civils ».

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Parallèlement, le Trésor américain a placé cette semaine sur liste noire deux hauts responsables militaires proches du président Kabila, qui sont accusés de « menacer la stabilité et de nuire au processus démocratique ». Cette décision a été prise en raison « d’indications croissantes que le gouvernement congolais continue de réprimer l’opposition politique dans le pays, souvent en utilisant des moyens violents ».

Les éventuels avoirs des deux hommes aux Etats-Unis ont été gelés et interdiction a été faite à tout citoyen américain d’effectuer des transactions avec eux. Les autorités européennes et américaines « doivent continuer àfaire pression », estime Moïse Katumbi, invitant l’Europe à suivre maintenant l’exemple américain « et à prendre des sanctions pour sauver la population ». Au Congo, l’opposition semble décidée à redescendre dans la rue jusqu’au 19 décembre.

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