Lumumba classifié parmi  »les bâtisseurs d’ Etat »

« Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Moi je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté. »  P. E. LUMUMBA

Bientôt, nous allons célébrer le 55 ème  anniversaire de l’assassinat du Premier ministre congolais, Patrice Lumumba.  Certains politologues, sociologues ou analystes politiques d’ailleurs étudient souvent notre Héros National en le plaçant aux côtés d’autres grands bâtisseurs des Nations et des Etats. En  les lisant, il y a lieu de dire qu’ils ont à la fois beaucoup de respect, d’admiration et d’affection pour Lumumba. A titre indicatif, citons Saïd  Bouamama (dans Figures de la révolution africaine. De Kenyatta à Sankara (2014)),  Jean Ziegler (dans Retournez les fusils ! Choisir son camp (2014)), Alain Libert (dans Les sombres histoires de l’histoire de la Belgique (2014))  et  Bertrand Badie (dans Le temps des humiliés. Pathologie des relations internationales (2014)).
Leur approche arrive à mentionner aussi les erreurs de Lumumba sans que cela diminue son aura.
Elle a ceci de particulier : elle invite à entretenir la mémoire des luttes menées par ces  »bâtisseurs d’ Etat ». Bertrand Badie par exemple en parle dans un livre où il remet en question l’ordre international dont il est tombé victime et montre  l’émergence des pays ayant fait de leur  »humiliation » (par cet ordre)  »un récit fondateur ». Et nous de poser la question de savoir pourquoi le Congo-Kinshasa n’arrive-t-il pas (encore), malgré le nombre de ses filles et fils se réclamant de Lumumba, a constitué un récit nécessaire à sa refondation ? Citons longuement Bertrand Badie :
« On inventait souvent des fautes et des infamies explicitement réservées aux peuples soumis et plus spécialement à ceux qui entreprenaient de briser leurs chaînes. L’image de Pham Van Dong vient naturellement à l’esprit : ce fils de haut dignitaire à la cour de Hué fut enchaîné dans la bagne de Poulo Condor, remis en mémoire à l’extrême fin du XX e siècle par un film à grand spectcle. L’humiliation vécu au quotidien par celui qui, venant du palais de Nguyen, allait devenir Premier ministre de la République démocratique du Vietnam, a été l’ordinaire de tant de bâtisseurs d’ Etat : Mandela, Ben Bella, Gandhi, Lumumba, Sukarno, Mudibo Keita ou Samora Machel. S’ils n’ont pas tous connu la prison, ils ont tous vécu l’humiliation symbolique ou matérielle. Beaucoup d’entre eux  ont su le dire à leur peuple et nombreux sont leurs compatriotes qui ont su et même voulu s’identifier à ce que représentaient leurs héros. L’humiliation dans la vie internationale est aussi affaire de trajectoires, d’itinéraires et de biographies qui font peu à peu une conscience collective.
On en a pour preuve la manière dont Patrice Lumumba, le jour de l’indépendance congolaise, a choisi, pour alimenter un discours qui pris les officiels par surprise, de raconter qu’ils avait vécu les humiliations de l’ordre colonial. « Nous avons connu  les ironies, les insultes, les coups que nous devrions subir le matin, le midi et le soir, parce que nous étions des Nègres. Qui oubliera qu’à un Noir, on disait,  »tu », non certes comme à un ami, mais parce que le  »Vous » honorable était réservé aux seuls Blancs. » L’humiliation est mémoire, récit collectif et même plus déterminant encore, récit fondateur, celui qui ne s’abroge pas par décret. » (p.10)
Comment faire pour qu’à partir de Lumumba, une conscience collective de nos humiliations coloniales et postcoloniales  aide à refonder le Congo-Kinshasa sur les valeurs de liberté, d’égalité, de dignité, de vérité, de patriotisme sans verser dans l’alterophobie ? L’une des voies est celle de la justice socio-économique portée par un mouvement des masses structuré et capable de peser dans les rapports de force. Une autre est celle suggérée par Lumumba dans la lettre à sa femme Pauline quand il soutient que « nous ne sommes pas seuls ». Il s’agit de l’ouverture au multilatéralisme à partir d’un véritable Etat refondé.
Etudier Lumumba demeure une tâche que l’Etat congolais refondé devrait proposer à toutes ses filles et tous ses fils dès le bas âge. Démultiplier les Lumumba au Congo-Kinshasa pourrait lui éviter de continuer à ployer sous le joug des humiliations.

Babanya Kabudi
Génération Lumumba

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