L’immigration et l’avenir de l’Afrique

immigrants africains             « Le pire des analphabètes, c’est l’analphabète politique. Il n’écoute pas, ne parle pas, ne participe pas aux événements politiques. Il ne sait pas que le coût de la vie, le prix de haricots et du poisson, le prix de la farine, le loyer, le prix des souliers et des médicaments dépendent des décisions politiques. L’analphabète politique est si bête qu’il s’enorgueillit et gonfle la poitrine pour dire qu’il déteste la politique. Il ne sait pas, l’imbécile, que c’est son ignorance politique qui produit la prostituée, l’enfant de la rue, le voleur, le pire de tous les bandits et surtout le politicien malhonnête, menteur et corrompu, qui lèche les pieds des entreprises nationales et multinationales. »

Bertolt Brecht, poète et dramaturge allemand (1898/1956)

Au cours de ces derniers mois, les médias nous présentent les images de plusieurs migrants du Sud   risquant leurs vies sur les bateaux  de fortune pour fuir leurs pays et atteindre l’Europe. Ces images commentées rapidement ne sont toujours pas suivies des débats rationnels et argumentés autour du phénomène de l’immigration. Et il est rare que les images  des migrants du Nord vers le Sud soient, elles aussi, présentées aux téléspectateurs. Cela étant, il serait naïf de croire que l’immigration est un phénomène récent. Depuis la nuit des temps, les peuples bougent et se mêlent les uns aux autres. La récente dramatisation dudit phénomène peut constituer un message à déchiffrer.

De prime abord, rappelons que les départs vers certains pays d’Afrique et de l’Amérique du Sud de plusieurs jeunes du Nord sont des faits à prendre en ligne de compte. Pourquoi la vidéosphère applique-t-elle cette politique de ‘’deux poids deux mesures’’ ? Rappelons aussi que venant du Sud vers le Nord ou du Nord vers le Sud, les populations migrantes sont  en quête du mieux vivre. Souvent, les causes structurelles de leur migration ne sont pas analysées.  Expliquons-en quelques-unes.

Les mesures austéritaires

Depuis la crise économique de 2008, en Europe, certains pays, comme l’Espagne, le Portugal et plus récemment la Grèce, sont soumis aux mesures austéritaires  prônés par la troïka composée de la Banque Centrale Européenne, le FMI et la Commission Européenne. L’imposition de ces mesures passe par des structures et des organisations informelles du genre de l’Eurogroupe. C’est-à-dire des structures et des organisations n’ayant pas  de légitimité populaire et n’ayant aucun compte à rendre aux peuples du Nord appartenant à l’UE.

Souvent, elles neutralisent les résultats du suffrage universel. L’exemple de la Grèce est éloquent à ce sujet. Au cours de ses échanges  avec l’Eurogroupe, un gouvernement démocratiquement élu n’a pas pu renégocier la dette du pays. Il s’est entendu dire que l’élection démocratique ne devait pas porter atteinte aux règles du jeu économique européen.

Au fond, les principes néolibéraux de la gestion économique de l’UE ont pris le dessus sur les principes démocratiques  organisant politiquement les pays du Nord.  La démocratie n’y est plus que formelle. «Le formalisme démocratique européen est déterminant. Au fond, on ne prête aucune attention à la volonté du peuple, à ses références sociales, mais on est obligés de le faire de manière formelle. »[1]  Ce formalisme  démocratique produit l’humiliation des peuples et incite  une certaine catégorie de la population à aller chercher mieux ailleurs.

Mentionnons en passant que l’application des mesures austéritaires crée du chômage, de la précarité et de l’exclusion.  Elle incite à déserter  certains coins des pays  où le chômage, la précarité et l’exclusion deviennent mortifères. (Et il arrive, comme en Italie, que ces coins désertés soient re-habités par les migrants du Sud.)

Depuis plusieurs années, ceux-ci fuient les guerres, les dictatures et les conséquences des programmes d’ajustement structurels imposés par la FMI et la Banque mondiale à leurs Etats. Ces deux IFI internationales jouent le rôle des ‘’tueurs à gages’’ économiques dans plusieurs pays du Sud. Elles font des ‘’coups d’Etats permanents’’ à ces pays. Tout comme dans certains pays du Nord, elles provoquent  le chômage, la précarité, la misère, l’exclusion et la mort. Elles sont un handicap  à la mise sur pied des économies à la croissance inclusives, capable de promouvoir la justice sociale.

Au Sud, il y a aussi l’application des APE. Ceux-ci affranchissent certains produits agricoles du Nord de taxes  de la douane et créent une concurrence déloyale sur le marché du Sud. « Les accords de coopération économique, financière et monétaire que les différents pays européens imposent aux pays africains, note Saïd Boumama, impliquent une vente des matières premières à des coûts inférieurs à celui du marché mondial et interdisent la taxation des produits importés d’Europe. Prenons l’exemple du dernier accord signé entre l’Union Européenne et les 15 États de l’Afrique de l’Ouest dit « Accord de partenariat économique » (APE). Cet accord interdit la taxation des 11, 9 milliards d’euros de produits importés par l’Union Européenne en 2013. Il met ainsi l’agriculture vivrière locale en concurrence avec l’agriculture industrielle européenne poussant à la misère des centaines de milliers de paysans. »[2]

Les médias dominants évitent souvent de traiter de ces causes directes de la paupérisation des masses du Sud. Ils  évitent  de lier ces causes structurelles aux guerres et aux coups d’Etat qu’elles engendrent  dans les pays du Sud considérés comme récalcitrants pour ceux du Nord. « Bien sûr de tels mécanismes ne sont possibles, note encore Saïd Bouamama, que par le recours direct ou indirect à la force allant de l’assassinat des opposants à ces politiques en passant par les coups d’Etats ou les guerres ouvertes. C’est la raison de la fréquence des interventions militaires européennes directes ou indirectes en Afrique. Si la France est la plus présente dans ces aventures guerrières en Afrique c’est sur la base d’une délégation européenne. »[3] Pris entre les feux des diktats économiques de l’Occident néolibéral et  de son recours permanent à la force, plusieurs pays du Sud optent pour la coopération  avec certains pays respectueux du droit international ; c’est-à-dire de la souveraineté et du droit des peuples à s’autodéterminer.

Sortir de l’engrenage néolibéral

Face à la paupérisation des peuples du Nord et du Sud, au chômage, à la précarité, à la misère et à la mort créés par le néolibéralisme et ses ‘’petites mains’’, il y a quelques pistes à suivre  pour s’en émanciper.

Il nous semble nécessaire de créer des Fronts de libération nationale (au Nord et au Sud) respectueux de la souveraineté des Etats-nations là où ils existent. Ces Fronts de libération nationale peuvent contribuer à la refondation des Etats-nations là où le colonialisme et le néocolonialisme ont créé des Etats-ratés ou manqués.  Ces Etats-nations peuvent être fondés ou (re)fondés sur une matrice organisationnelle différente de celle du néolibéralisme. Ils peuvent être fondés ou (re)fondés sur les valeurs de la solidarité, de la coopération et de la complémentarité. Ces valeurs détrôneraient celles matricielles du néolibéralisme que sont la compétitivité et la concurrence à cause de leur propension à organiser la guerre de tous contre tous et un usage humiliant et pathologique à la force.

Ce  changement de paradigme engagerait un travail de déformatage et de reformatage  plus qu’ambitieux.  Pourquoi ? Il s’agira de convaincre les tenants majoritaires de ‘’la théologie néolibérale’’ et leurs ‘’experts’’ qu’il y a lieu de gagner la bataille des idées ouvrant une autre voie  à côté de celle néolibérale.

Une bataille titanesque dans la mesure où ‘’la sorcellerie néolibérale’’ a déjà envoûté, pendant plusieurs siècles, les cœurs  et les esprits de plusieurs d’entre nous. Le changement de paradigme engage un long et pénible processus de désenvoûtement. Une lutte acharnée contre l’inculture.  Chose pas très évidente !

Le souhait serait que tous les Fronts de libération nationale créent des alliances entre eux et travaillent à  ‘’la radicalisation de la démocratie’’ c’est-à-dire  à l’implication des peuples dans tous les débats et toutes les délibérations engageant le devenir collectif des Etats-nations.  Une telle  ‘’radicalisation de la démocratie’’ suppose une éducation citoyenne (et historique) des masses populaires à travers la famille, l’école, les églises, l’université et les médias alternatifs. Les citoyennes et les citoyens devenus acteurs de leur propre émancipation politique auront du mal à abandonner leurs terres et mers aux vautours. Elles (ils) en connaîtront le prix et seront près à payer le prix qu’il faut pour les sauvegarder.

Les Fronts de libération nationale africains pourront travailler à la réalisation du rêve de l’un des dignes fils de l’Afrique-mère, Nkwame Nkrumah : « L’Afrique doit s’unir ». Tout en tenant compte du fait que les frontières des pays africains hérités  du partage berlinois (en 1885) sont artificielles, les Fronts de libération nationale africains devront coaliser pour mettre sur pied une Afrique unie de Fédérations (des peuples). Ils devront travailler à la création des espaces communs de paix, de sécurité et de justice reconstructive là où cela est indispensable. Ils devront travailler à l’intégration politique, économique, culturelle et environnementale dans le respect de la souveraineté des Fédérations mises sur pied. La nationalisation des entreprises et la création des entreprises mixtes devront être  des prérogatives  liées au respect de cette souveraineté.

Tenir compte de l’épée de Damoclès

Les richesses du  sol et du sous-sol dont regorgent l’Afrique ne la mettront jamais à l’abri des convoitises des vautours et d’autres vampires et de leur capacité de détricoter les Etats-nations, de créer des ‘’nègres de service’’ et des élites compradores. De plus en plus,  ‘’l’Afrique qui gagne’’ est en train de les maîtriser.

Elle devra  servir d’exemple  à ‘’l’autre Afrique’’, celle de ‘’l’esclavage volontaire’’, soumise aux diktats des ‘’tueurs à gages’’ économiques occidentaux.

Cette ‘’autre Afrique’’ devra tenir compte du fait que les migrations peuvent être porteuses d’un message à déchiffrer : la création d’un Etat transcontinental géré et dirigé par les entreprises transcontinentales et ‘’les nouveaux cercles de pouvoir’’ d’usurpateurs non-redevables et aux peuples du Nord et à ceux du Sud.

Oui, les migrations sont porteuses d’un message à décoder. Elles sont aussi une porte ouverte sur ‘’l’esclavage moderne’’ au service des entreprises du Nord.

Mbelu Babanya Kabudi

 

[1] http://www.legrandsoir.info/sia-anagnostopoulou-en-grece-et-en-europe-nous-sommes-plutot-au-debut-de-la-lutte-qu-a-la-fin.html

[2] http://oumma.com/220227/mur-meurtrier-de-mediterranee-lassassinat-institution

[3] Ibidem.

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