Valorisation de l’ignorance et de la fausseté au Congo-Kinshasa

 »Ils nous dominent plus par l’ignorance que par la force » (S. BOLIVAR)
Dans ce contexte où tout s’achète et se vend, où sauver les apparences évident de l’être, où la promotion de la fausseté l’emporte sur celle du beau et du bien, faire de la politique devient une entreprise trop exigeante. Cela exige que par le débat, il y ait des cerveaux qui se remettent à l’endroit pour un consensus provisoire salutaire. Et au Congo-Kinshasa, le chemin nous paraît beaucoup plus long que nous aurions pu le croire. Il se pourrait que les intellectuels organiques et structurants, que  »le petit reste » opère un miracle. Néanmoins, l’ignorance, la superficialité et la fausseté semblent avoir atteint des niveaux inimaginables.
Au cours d’une émission Kiosque du 28 juin 2017, une jeune fille congolaise pose un problème sérieux en parlant de l’école congolaise : le manque de bibliothèques (https://www.youtube.com/watch?v=DnneyWhGhow&t=81s). En effet, depuis plusieurs années maintenant, plusieurs écoles et universités congolaises n’ont pas de bibliothèques. Elles n’ont pas accès au savoir et à la connaissance.
Pour un ex-petit séminariste de Kabwe (Kananga) que je suis, cela m’attriste profondément. Je m’imagine mal une éducation, une formation (moderne) sans livres comme supports. Je prends un exemple parmi tant d’autres. Plusieurs compatriotes, actuellement, admirent la science et le savoir du Prof. André Mbata Betukumesu. Ils admirent le goût du fruit  »didimbi », sans savoir dans quel genre de sol (de terre) l’arbre qui le porte a enfoncé ses racines. (Wanyisha didimbi kupola, kumanyi buloba bua kaluadi?). André Mbata est, après son éducation familiale, d’abord et avant tout, le fruit de  »la colline sacrée » de Kabwe où, venant une année après lui, je l’ai vu dévorer des livres au quotidien et jouer au théâtre ; où je l’ai vu déclamer de longs poèmes d’Aimé Césaire et de Léopold Sédar Senghor.
Oui, le Petit Séminaire de Kabwe avait une bibliothèque et une bonne bibliothèque. Là-bas, à douze-treize ans déjà, nous nous exercions à écrire des articles dans notre revue scolaire. Nous avons étudié et grandi dans les institutions scolaires et universitaires où l’idée de ne pas avoir le livre comme support ne pouvait pas effleurer notre esprit. (Aujourd’hui encore, nous nous appauvrissons en achetant des livres, des journaux et des revues, en créant des bibliothèques dans nos maisons). Nous le faisons en partant du principe selon lequel le savoir livresque peut aiguiser l’esprit critique. Et que des questions que nous étudions l’ont été par d’ autres et que nous pouvons apprendre d’eux sans nécessairement tomber dans le viol de l’imaginaire. Cela aide à participer en tant que citoyen(ne) à l’édification de sa propre vie et de sa cité en homme ou femme averti(e). Les exemples des autodidactes de la trempe de Lumumba en savent quelque chose.
Cela étant, tout peut aussi dépendre de ce qu’on lit et de comment on le lit. Mais aussi du contexte où cela est lu. Il y a des études, des lectures et des formations qui permettent de conjuguer connaissance et conscience (historique) pour éviter que  »science sans conscience » ne puisse ruiner l’âme. A n’en pas douter, notre époque connaît la marchandisation de la science et du savoir.
Il arrive que la connaissance utilisée comme une marchandise néantise la conscience ainsi que toute capacité d’indignation. Ses détenteurs peuvent se transformer en élites compradores et affairistes. Cela peut être un choix délibéré ou provoqué. Tout comme ça peut être le résultat de tout un processus, d’un long processus d’imposition d’un ou de plusieurs paradigmes. Quand, dans les têtes et les cœurs des élites intellectuelles, le paradigme de l’avoir l’emporte sur celui de l’être, elles deviennent mûres pour se prostituer. Elles créent des théories pour fabriquer des consentements valorisant les modèles étouffant la conscience et toute capacité d’indignation. Elles créent des théories valorisant la médiocratie.
La critique des élites médiocres est aussi vieille que le temps.  »Les prophètes de la cour » caressant les rois dans le sens de leur poil en sont un exemple biblique éloquent et très ancien. Disons, donc, que le choix des auteurs et des lectures n’est pas innocent. Dans un contexte néolibéral dominé par le paradigme de l’avoir, du paraître et du consumérisme,  »les élites de la cour de la finance » enseignent qu’il n’y a pas d’alternative à cette pensée totalitaire.
Là où l’avoir est valorisé au dépend de l’être, le Muntu perd le  »ntu » ; le  »moto », le  »mutu », le  »kitshua ». Et le proverbe selon lequel  »le poisson pourrit par la tête » se comprend mieux. La tête ici n’est pas à prendre dans l’unique sens de  »la tête du pays » ; non. Mais aussi dans le sens de la tête des adorateurs, des idolâtres de l’avoir. Et perdre  »le ntu », c’est tomber dans l’inexistence, dans l’insignifiance en tant qu’humain. C’est perdre son humanité. C’est ne pas exister.
Cette perte de l’humain en l’homme peut facilement conduire à la valorisation de l’ignorance et de la superficialité. La manducation de son cœur et de son esprit, leur avalement par l’avoir sauve  »un corps-apparent ». Celui-ci peut être grand et beautifié avec les produits (savons, montres et or) du marché; mais il a perdu toute consistance, toute substance. Un tel corps bien que  »beau » et grand, les Baluba avertis le regarderont et ironiseront :  »Tshintu mbunene, tshidi munda muatshi, mbiseki ! » (Cette chose est grande, à l’intérieur, il n’a que de l’herbe ; (à l’intérieur, elle est vide).
L’évidement de l’être en soi et pour soi sauve les apparences. Les costumes et les cravates, les hôtels et les maisons se construisent, les voitures de luxe s’achètent chaque année pour sauver l’apparence.
L’évidement de l’être en soi et pour soi peut conduire au relativisme selon lequel tout s’équivaut. Les valeurs éthiques et morales évitant l’hybris, la démesure, sont balayées d’un revers de la main au nom des plaisirs que procurent le court-terme. Le temps long de luttes épuisantes et de passages de relais pour de nobles causes est accusé d’utopisme et/ou d’idéalisme. Le temps court de bagarres opportunistes est appelé pragmatisme. La fausseté (d’identité, de diplômes, de titres honorifiques), du moment qu’elle permet un résultat immédiat, est applaudie et donnée en exemple. Le monde à l’envers. Elle sert  »la politique-mensnge » dénommée  »Tshididi ».
Dans ce contexte où tout s’achète et se vend, où sauver les apparences évident de l’être, où la promotion de la fausseté l’emporte sur celle du beau et du bien, faire de la politique devient une entreprise trop exigeante pour les élites organiques et structurantes. Cela exige que par le débat, il y ait des cerveaux qui se remettent à l’endroit pour un consensus provisoire salutaire.
Et au Congo-Kinshasa, le chemin nous paraît beaucoup plus long que nous aurions pu le croire. Il se pourrait que les intellectuels organiques et structurants, que  »le petit reste » opère un miracle. Néanmoins, l’ignorance, la superficialité et la fausseté semblent avoir atteint des niveaux inimaginables. Au point qu’il est même devenu impossible à plusieurs d’entre nous de tirer une conclusion logique de ce qu’ils entendent. Plusieurs semblent répondre à Nkunda Batware qu’effectivement les Congolais(es) ont un problème. Que des Congolais(es), et pas  »les moindres », sont tombé(es) dans une erreur ayant coûté au pays des millions de morts.
Accusé d’être un soldat rwandais du FPR, Nkunda réplique (je paraphrase) : « S’ils m’accusent ainsi alors qu’ils viennent d’élire mon frère d’armes, Joseph Kabila, comme Président de la République, cherchez où est l’erreur. » Nkunda se confie là à une radio en 2008.
En 2017, neuf ans après, un député français dit ceci au Parlement européen (je paraphrase) : « Je sais d’où l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila a été décidé quinze jours avant. Et un jeune rwandais manipulable a été cherché pour qu’il soit à la tête du Congo-Kinshasa. » (https://www.youtube.com/watch?v=X-ZCVyHQ-GQ). Le lendemain,  »des politiciens » congolais, présents sur les réseaux sociaux et supposés avoir vu cette vidéo continuent à soutenir qu’alias Joseph Kabila ne s’est pas adressé à  »son peuple » le 30 juin 2017, qu’il le tue. Ici, il y a quelque chose qui ne va pas du tout. Pourquoi tiennent-ils à conserver à ce  »mercenaire » un titre qu’il ne mérite pas et à lui attribuer un peuple qui n’est pas sien ? Voilà où peut mener la valorisation de la fausseté ! En attendant, ce sont des pans entiers de nos masses populaires qui courent le risque d’être enfermés pour longtemps dans une fausse approche de la question de la néocolonisation du Congo-Kinshasa par des élites compradores et transnationales interposées.
Terrible ! Oui. Simon Bilivard a raison : « Ils nous dominent plus par l’ignorance que par la force. » Vaincre l’ignorance serait un premier pas important à faire dans notre lutte collective pour une autre Congo possible. Les véritables élites organiques et structurantes ont du pain sur la planche.
Qu’elles créent petit à petit des bibliothèques dans nos villages et villes ; qu’elles refondent l’école et l’université ; qu’elles travaillent à des approches de la Bible sans fétichisme et promeuvent le débat public. Sans négliger le reste..Le débat est un antidote contre les limites cognitives. Celles-ci ne sont pas à confondre avec l’ignorance.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

2 Comments

  1. Il y en a qui rétorqueront que certains collègues de promotion d’André Mbata à Kabwe qui ont aussi lu des ouvrages et même qui ont défendu des thèses de doctorat honorables comme lui font exactement le contraire de lui, quand au combat à mener pour la libération de notre pays. D’où la question : est-ce un simple problème de manque de lecture? Cette réalité évidente n’occulte-t-elle pas autre chose? Peut-être un une certaine dépendance ! Je demeure de plus en plus convaincu que la chicote coloniale a des effets bien au-delà de ce qu’on peut penser. Je le dis en considérant la simple notion du respect de l’heure que j’attribue à cette attente inconsciente de la contrainte dont la conséquence est le retrait de soi comme personne humaine, le laisser aller et le laisser faire. Il est curieux en effet que de nombreux compatriotes attendent quelque geste patriotique de la part de quelqu’un qui n’es pas un compatriote, qui n’en a rien à faire et qui le prouve tous les jours. J’ai posé dernièrement une question sur la responsabilité de ceux qui ont volé les deniers publics et ont renforcé à coup de millions des cités séparées genre Ma Campagne, Binza, Gombe et qui ont envoyé leurs enfants étudier en Europe plutôt que de construire une belle ville pour tous et des écoles pour tous les enfants. Il y a eu de l’hystérie dans la salle. Cela semble être une question taboue. J’ai même eu droit à ceci : « On doit chasser Kabila et non juger Mobutu » alors que je ne parlais ni de l’un ni de l’autre, mais de ceux qui étaient dans la salle. Oui je crois qu’il y a du travail, mais un travail de formation, d’éducation, de véritable prise de conscience. Je pense que le plus grand travail est celui de la langue pour vulgariser la connaissance au niveau de tout le monde et non plus la réserver, comme dans nos petits et grands séminaires, à une infime minorité. C’est cette minorité qui pose problème et qui constitue même le problème à mon avis.

  2. oui, « tout dépend de ce qu’on lit et de comment on le lit. Mais aussi du contexte où cela est lu, donc de pourquoi on doit le lire

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