Pourquoi Joseph Kabila s’accroche-t-il au pouvoir ?

Entre autres raisons : la peur de redevenir un simple citoyen, la crainte de représailles, le manque de garantie pour les richesses accumulées
(Par Moïse Musangana, journaliste)

Le deuxième et dernier mandat constitutionnel du Président Joseph Kabila s’est achevé le 19 décembre 2016. A cette date en principe, il devait absolument procéder, aux termes de la Constitution, à la remise et reprise avec le nouveau Président de la République élu trois mois plus tôt ; consacrant ainsi la première alternance pacifique du pouvoir depuis l’accession de la RDC à l’indépendance le 30 juin 1960. A la suite des contraintes techniques vraisemblablement entretenues sous couvert de la CENI, la présidentielle prévue pour le 28 novembre 2016 n’a pas eu lieu. L’incertitude demeure quant à ce, malgré l’Accord de la Saint Sylvestre fixant la tenue des élections au plus tard fin décembre 2017. Par des artifices aussi bien politiques que juridiques, tout semble être mis en œuvre afin de jouer aux prolongations, à défaut de modifier la Constitution pour permettre à Joseph Kabila de briguer un 3ème mandat, et repousser davantage les échéances électorales, principalement la présidentielle. Et du fait même prolonger autant que possible son bail à la tête du pays.
Pourquoi le Président Joseph Kabila s’accroche-t-il au pouvoir ? Pourquoi tant de stratagèmes (Concertations nationales, activation de l’ONIP (Office National de l’Identification de la Population) sur fond du glissement du mandat présidentiel en liant les élections à l’organisation du recensement, saisines de la Cour constitutionnelle en interprétation de certaines dispositions de la Constitution, précipitation du découpage territorial, Dialogue politique, etc.) pour garder le fauteuil présidentiel ? A ces questions l’universitaire sénégalais EL Hadj Mbodj répond : la réticence des chefs d’Etat africains à abandonner le pouvoir présidentiel se justifie dans une certaine mesure, outre la philosophie du «Chef» en Afrique qui empêche l’épanouissement de l’institution successorale, par la peur de redevenir un simple citoyen, alors qu’ils étaient habitués aux privilèges qu’offre la fonction présidentielle, et la crainte de représailles. C’est en substance l’hypothèse de sa thèse défendue en 1991 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar en vue de l’obtention du grade de Docteur d’Etat. Et la chercheuse américaine Ida Saywer, Directrice pour l’Afrique centrale de Human Rights Watch, de se demander, s’appuyant notamment sur le Rapport du Groupe d’Etudes sur le Congo (GEC) dévoilant l’« Empire financier des Kabila », si la richesse accumulée par le Président Joseph Kabila n’est pas l’une des raisons qui le poussent à s’accrocher au pouvoir.
Cette problématique a préoccupé le journaliste Moïse Musangana dans son ouvrage à paraître prochainement intitulé « RDCongo. Regard comparatif et prospectif sur les présidentielles 2006 et 2011. 2016, un cycle électoral sabordé », dont un extrait du chapitre VIII est publié ci-dessous.

L’institution successorale en cause
La question à se poser, à la lumière de ce qui précède, n’est donc pas de savoir si le Président Joseph Kabila tient à se cramponner oui ou non au pouvoir, mais plutôt de se demander pourquoi tant de stratagèmes pour garder des positions du pouvoir.
Cette question n’aurait pas dû se poser étant donné que l’institution successorale en RDC est organisée par des règles de droit et des mécanismes constitutionnels. Pourtant, elle se pose. Avec acuité même. Pas seulement en RDC, mais aussi tout autour et ailleurs : République du Congo, Angola, Burundi et Rwanda. Elle s’est posée autrefois au Niger et au Sénégal sous les Présidents Ntaja et Wade. Pourquoi donc tous ces pays qui, à l’aube de la décompression autoritaire du début des années 1990 et à l’issue des transitions démocratiques qui s’en sont suivies, s’étaient dotés des Constitutions dont le mérite était d’avoir posé le principe de la limitation à deux des mandats présidentiels, sont soudainement frappés de la «fièvre réélectionniste»? (MADIAR FALL, I., 2012)
A l’approche de la fin du second mandat présidentiel, en effet, les chefs d’État et leurs soutiens profitent de la majorité dont ils disposent au sein du Parlement et de leur mainmise sur d’autres institutions pour substituer le principe de la rééligibilité ad infinitum à la clause limitative du nombre de mandats (MADIAR FALL, I., 2012). Remettant ainsi en cause les acquis constitutionnels des luttes du mouvement démocratique des années 1990, avec ce que cela entraîne comme conséquences, notamment sur la stabilité du pays, sa sécurité et celle des populations. L’exemple du Burundi est à ce point patent. Consolation tout de même, toute l’Afrique au Sud du Sahara n’est pas autant enragée. Le Ghana se distingue. Après 2009 avec le Président Obasanjo, le Nigeria a encore administré une leçon à l’Afrique avec la passation du pouvoir de manière pacifique entre le Président sortant Goodluck Johnatan et l’entrant Mohamadou Bouari. Le Bénin reste dans la tradition avec le Président Yayi Boni qui, après moult hésitations et spéculations, s’est résolu d’annoncer solennellement son départ à la fin de son deuxième et dernier mandat.
Chercheur sénégalais, El Hadj Mbodj, Professeur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, s’essaie à apporter une réponse à cette problématique. Il situe le problème au niveau de la philosophie du «Chef» en Afrique. Une philosophie qui empêche l’épanouissement de l’institution successorale (MBODJ EL HADJ, 1991). En effet, soutient-il, la dysfonctionnalité des règles successorales s’explique par la place réservée au «Chef» dans le fonctionnement des régimes africains. Une institution étant inséparable de la personnalité de celui qui en assume la charge, ce dernier peut la façonner à son image. Ainsi en est-il de l’institution présidentielle dans les régimes africains. Celle-ci se trouve au-dessus de toutes les autres institutions étatiques en raison de l’exploitation par son titulaire du mythe du «chef», contribuant ainsi à la création de l’idéologie du «Père fondateur».
La distinction classique entre le chef de l’Etat et le chef de l’Exécutif peine ainsi à s’acclimater dans le contexte politique africain (MBODJ EL HADJ, 1991). A ce sujet, par exemple, beaucoup de Congolais n’avaient cessé de se moquer du Premier ministre Matata, réduit à une portion congrue du pouvoir, en l’occurrence sur le secteur économique à minima. Il n’a pas eu la main mise sur les secteurs hautement stratégiques du pays, notamment la défense, la sécurité et la diplomatie, qui restent des domaines réservés au chef de l’Etat. Ironisant sur la posture du Premier ministre, le Gouverneur du Nord-Kivu, Julien Paluku, dépité par la situation des tueries à Beni, en était arrivé autrefois à se demander s’il n’était pas possible de créer une «Troïka de la défense» à côté de celle «économique». Allusion faite aux réunions tenues jadis chaque lundi par quelques ministres du secteur économique sous la direction du Premier ministre Matata, alors que la sécurité du pays était préoccupante et que les Conseils de cabinets ou des ministres se faisaient rares. Les successeurs de Matata Ponyo, à savoir Samy Badibanga et Bruno Tshibala, ont vu et voient leurs prérogatives être réduites davantage. Ils sont mis au pas par le chef de l’Etat qui a fait d’eux des simples figurants.
En définitive, soutient Mbodj, la doctrine constitutionnelle et politique africaniste – pour autant que le droit successoral des régimes africains trouve son fondement dans l’ineffectivité et le caractère factice de la légitimité des mécanismes successoraux adoptés – réduit la perception du pouvoir et de son organisation au seul «Chef» de l’Etat. Tout le pouvoir est centré sur sa personne. Il n’a pas que le pouvoir politique, il a aussi le pouvoir économique. Bénéficiaire de prébendes parce que détenteur du pouvoir, il en offre à son tour à son réseau des clients politiques (MBODJ EL HADJ, 1991). Entretenant ainsi la politique du ventre pour consolider son pouvoir.
C’est beaucoup trop de privilèges, de prestige, de puissance pour un homme qui, à la limite, se croit pas moins démiurge. A ce propos, Edem Kodjo (Jeune Afrique 1987), ancien Secrétaire général de l’OUA et ancien Premier ministre togolais, souligne :
«Le Chef (africain) est là et il entend demeurer. Il accède au pouvoir, le consolide, et s’y maintient jusqu’à sa mort. De son vivant, le problème de succession est renvoyé aux calendes grecques. A la limite, constitue même une offense criminelle, le fait d’inventer, ou de vouloir la mort ou la déposition du Président.»
Alors que la Constitution est claire sur la situation du chef de l’Etat congolais en rapport avec son deuxième et dernier mandat électif arrivé à échéance le 19 décembre 2016, ce sujet est tabou au sein de la majorité. Le Groupe des sept (G7), qui a osé en parler en écrivant au Président Kabila, s’est vu remonter les bretelles à Kingakati, la ferme du Président de la République. Considérés comme frondeurs pour avoir appelé celui-ci au strict respect de la Constitution face à la confusion qui s’intensifiait chaque jour par rapport au processus politique et électoral, ses membres ont été carrément bannis de la coalition.
En effet, la peur de redevenir un simple citoyen, alors qu’ils étaient habitués aux privilèges qu’offre la fonction présidentielle, et la crainte de représailles justifient, dans une certaine mesure, la réticence des chefs d’Etat africains à abandonner le pouvoir présidentiel (MBODJ EL HADJ, 1991). C’est, entre autres, pour ces raisons que la condition du Président de la République, parce qu’objet de fréquentes modifications, est mouvante dans les régimes politiques africains (MBODJ EL HADJ, 1991). Cette fameuse instabilité constitutionnelle ne concerne en réalité que le statut du Président. Et la question du mandat présidentiel, que ce soit la détermination de sa durée ou du nombre de mandats autorisés, constitue un jeu considérable dans les pays africains. Elle est souvent l’enjeu des mouvements constitutionnels (MBODJ EL HADJ, 1991). De ce fait, l’élection présidentielle, de surcroît au suffrage universel direct faisant de l’élu représentant immédiat des citoyens, est celle de tous les dangers en Afrique. Elle est une élection à enjeux. C’est la dévolution du seul pouvoir, ou du pouvoir central, qui permet le contrôle des ressources. C’est l’élection des passions dans les systèmes bi-représentatifs, dont l’issue conditionne celle des autres. Quand on gagne la présidentielle, on gagne toutes les autres élections, dit Ismaila Madiar Fall qui, navré sans doute, émet quelques réserves sur l’élection du Président de la République au suffrage universel direct dans les régimes africains.
La réponse à la question de savoir pourquoi l’acharnement du Président Joseph Kabila à garder les commandes du pays est ainsi évidente. Le cas échéant, il faut lui garantir l’après-pouvoir.
En effet, les 16 ans de règne de Joseph Kabila (2001-2017) sont marqués par des énigmes allant des crimes contre l’humanité à la prédation économique, voire la trahison de la nation. Lesquelles énigmes appelleront des éclaircissements un jour ou l’autre, sûrement après le pouvoir. Ce qui va rimer avec des représailles sur le plan aussi bien judiciaire, financier que moral.
Les allégations contenues, entre autres, dans le rapport du GEC de juillet 2017 intitulé «Les richesses du Président. L’entreprise familiale des Kabila» donnent des frissons sur l’immensité des richesses accumulées par la famille présidentielle qui a mis en coupes réglées le pays présentement en cessation de paiements et qui, paradoxalement, quémande des ressources auprès des bailleurs de fonds internationaux pour rétablir les équilibres rompus et dont la chute des prix des matières premières constitue l’alibi des gouvernants. Et la chercheuse américaine Ida Saywer (Jeune Afrique, 21 juillet 2017), Directrice pour l’Afrique centrale de Human Rights Watch, de se demander si la richesse accumulée par le Président Joseph Kabila n’est pas l’une des raisons qui le poussent à s’accrocher au pouvoir. En effet, il reste à savoir si la RDC, au travers du gouvernement issu des prochaines élections, va rester indifférente vis-à-vis de ce qui s’apparente à un crime économique et comment l’actuel Président de la République, sa famille, par-delà toute la constellation créée autour d’eux, entendent-t-ils protéger tous ces avoirs une fois hors du pouvoir pour en jouir paisiblement.
Le sort réservé aux anciens chefs d’Etat s’avère ainsi une préoccupation majeure pour les Africanistes, quand bien même les régimes africains connaissent une mutation institutionnelle et politique qui affecte profondément les rapports entre gouvernants et gouvernés sur le plan de la philosophie du pouvoir (MBODJ EL HADJ, 2011).
En effet, la longévité présidentielle étant de nature à affaiblir la dépendance des gouvernants vis-à-vis des gouvernés et à entraîner une sclérose du pouvoir, l’institution successorale doit être stabilisée dans les régimes africains. Tout comme le mandat du chef de l’Etat doit être rationalisé de manière restrictive. Mais cependant, Mbodj estime qu’il importe d’entourer ladite institution des mesures d’accompagnement visant à protéger les anciens chefs d’Etat contre toute mesure de rétorsion. Il faudrait donc ainsi encourager des législations relatives aux anciens chefs d’Etat afin de les sécuriser matériellement et politiquement. La protection matérielle se traduirait ainsi par l’octroi des avantages les mettant au-dessus de toute tentation, et la protection de leur intégrité physique doit être envisagée, notamment contre les menaces dont ils peuvent faire l’objet ultérieurement. Les anciens chefs d’Etat doivent se sentir sécurisés dans la vie civile, et ce sentiment sécuritaire pourrait encourager les chefs d’Etat au pouvoir à l’abandonner pour jouir éventuellement d’une retraite méritée. En revanche, ces derniers devaient se garder de s’ingérer dans le fonctionnement du régime en place et d’abuser de leur statut pour exercer un pouvoir parallèle à celui du chef d’Etat régulièrement investi. Ce qui n’est pas évident étant donné qu’ils sont Présidents-fondateurs de leurs partis politiques dont ils reprennent les commandes aussitôt après l’exercice du pouvoir. L’exemple de l’ancien Président ivoirien Konan Bédié est illustratif. Aussi, ces anciens chefs d’Etat se retrouvent souvent à la tête de leurs anciennes gardes prétoriennes qui se transforment le plus souvent en milices après leur départ du pouvoir. Les «Cobra» au Congo-Brazzaville en sont un témoignage. Nul ne peut présager de ce que serait la GR en RDC après le départ de Joseph Kabila au pouvoir.
N’empêche. La pensée du chercheur sénégalais a fait des émules parmi les Congolais. Ancien Rapporteur du Sénat et ancien membre de la majorité, le Sénateur Modeste Mutinga a déposé une proposition de loi sur le statut des anciens chefs d’Etat en RDC. Le Député de l’opposition Clément Kanku s’est battu parallèlement à l’Assemblée nationale pour la même cause. Mais, le risque dans cette démarche est de produire une classe des intouchables. Pourtant, leurs prestations positives en amont à l’endroit de leurs peuples et de leurs pays, voire de l’humanité, les épargneraient de toutes ces craintes.
En RDC, l’alinéa 5 de l’article 104 de la Constitution fait des anciens Présidents de la République des Sénateurs à vie. En vertu de cette disposition constitutionnelle et contrairement à ce qui se passe au Brésil, par exemple, le Président Joseph Kabila n’aurait pas été un homme ordinaire après le 19 décembre 2016. Il serait consacré «Sénateur à vie» et couvert des immunités dues à son rang. Mais, celles-ci ne protègent pas pour autant contre des crimes de guerre ou contre l’humanité qu’il aurait commis pendant son règne ou de détournements de deniers publics. C’est le hic qui le fait, peut-être, cabré.
En tout état de cause, l’environnement national et international ne semble pas s’inscrire dans le maintien du Président Joseph Kabila au pouvoir. Le «Dialogue politique national», comme voie à cet effet, s’est révélé un pari difficile. L’expression des Congolais au travers des manifestations populaires des 19, 20 et 21 janvier 2015 à Kinshasa, des 19 et 20 septembre 2016, voire celles des 19 et 20 décembre 2016, est un message on ne peut plus clair de leur volonté de voir se concrétiser l’alternance au pouvoir, bien que celle-ci ait été postposée par la magie des Accords résultant des deux Dialogues précités. Sur le plan international, les différentes décisions et déclarations reflètent l’état d’esprit de la communauté internationale à l’endroit du régime Kabila. C’est le cas, notamment, des Résolutions 2277 et 2293 du Conseil de sécurité, la Résolution de la 31ème Assemblée parlementaire paritaire UE-ACP du 16 juin 2016, de la Déclaration des Ministres européens des Affaires étrangères du 23 mai 2016 envisageant des sanctions contre les tenants du pouvoir à Kinshasa, de la Résolution des Députés européens du 21 juin 2016 demandant la démission du Président Joseph Kabila le 20 décembre 2016, de la Résolution H.RES.780 de la Chambre des Représentants du Congrès américain du 13 juin 2016 portant respect de la Constitution de la République Démocratique du Congo dans la transition démocratique du pouvoir en 2016, de la Résolution 2348 du 31 mars 2017 prorogeant le mandat de la Monusco, des Déclarations des Ministres européens des Affaires étrangères ainsi que des mesures du Trésor américain portant sanctions contre des responsables congolais. Il en est de même des réactions de l’UE et des grandes capitales occidentales à la nomination de Bruno Tshibala comme Premier ministre.
Toutefois, la communauté internationale paraît divisée : les Africains, à l’exemple des chefs d’Etat réunis au Sommet de la CIRGL tenu le 27 octobre 2016 à Luanda, soutiennent le Président Joseph Kabila, tandis que les Occidentaux ne jurent que par son départ. La coalition des Etats africains à la 35me session du Conseil des droits de l’homme de l’ONU tenue à Genève fin juin 2017 contre la mise en place d’une enquête internationale sur les tueries dans le Kasaï l’atteste davantage.
* L’ implication ambiguë de la communauté internationale
La situation de la RDC est au-delà d’elle-même. Plusieurs pays en détiennent les clés majeures. L’implication de plusieurs pays de la région, voire des organisations internationales, dans le processus de paix au Congo-Kinshasa en est une indication. Les uns et les autres sont engagés dans tous les accords signés à cet effet depuis celui de Lusaka en 1999. L’Accord-cadre d’Addis-Abeba va même jusqu’à répartir les tâches entre la RDC, la région et la communauté internationale dans la quête de la résolution de la crise. Seulement voilà, nombre des pays impliqués dans la question congolaise – dont la plupart font face aux mêmes problèmes liés à la quête d’un équilibre entre des élections crédibles et leur attachement à rester au pouvoir – ont des intérêts et agendas mettant généralement aux prises deux logiques de paix sous-tendant des dynamiques de conflits, essentiellement dans le Kivu. Il y a, d’une part, la logique de mise en dépendance stratégique et géopolitique du territoire théâtre du déroulement des guerres par la modification du contexte stratégique régional et, d’autre part, celle de la création des zones d’influence politique et commerciale (BIYOYA MAKUTU, P., 2011) . Une lecture plus géopolitique de la crise congolaise fait notamment ressortir le rôle majeur joué par le Rwanda et l’Ouganda dans la naissance de l’AFDL contre le régime Mobutu et le soutien des néo-rébellions (RCD-Goma, MLC, RCD-KML et RCD-N) pour reconquérir l’espace de pouvoir et les avantages économiques perdus en RD Congo (BIYOYA MAKUTU, P., 2011).
En effet, la RDC souffrirait des conséquences de l’échec de sa politique sécuritaire d’autrefois (sous Mobutu) et surtout de l’incapacité à réagir positivement aux mutations géostratégiques que cet échec a entraînées (BIYOYA MAKUTU, P., 2011). Victime de la peur du Rwanda, de l’Ouganda, de l’Angola, voire des volontés de puissance régionale, elle ne réussit pas à s’élever au niveau du nouveau contexte régional. Une situation qui permet à qui mieux mieux de tirer profit du mammouth malade. Ainsi, tous ces pays, y compris les alliés de la RDC, à savoir l’Angola, l’Afrique du Sud, la Tanzanie et le Congo-Brazzaville, sont très intéressés par les élections au Congo-Kinshasa. Mais, leur principale préoccupation n’est pas la qualité de la démocratie, mais plutôt la stabilité à leurs frontières, inhérente à leurs intérêts économiques (RICHE, M., et BERWOUTS, K., mai 2015). Même des alliés majeurs comme Luanda ou Pretoria n’ont pas d’affinités personnelles avec le Président Joseph Kabila et son régime, ils maintiennent des contacts réguliers avec ses opposants. D’ailleurs, l’implication de l’Afrique du Sud n’est pas particulièrement institutionnalisée, mais davantage fondée sur l’intérêt du Président Zuma (RICHE, M., et BERWOUTS, K., 2015).
En 2011, en effet, l’Angola et l’Afrique du Sud ont fait des avances aux opposants de Joseph Kabila avant les élections (GEC, juillet 2016). Mais lorsque, en juin de la même année, Kinshasa a décidé de renvoyer jusqu’à nouvel ordre le contentieux sur le pétrole offshore – le Gouvernement congolais avait soumis pour arbitrage un dossier à l’ONU en 2009 – l’Angola a coupé son soutien à l’opposition (GEC, juillet 2016). De la même manière, l’Afrique du Sud a tenu des pourparlers avec Etienne Tshisekedi avant que Kinshasa ne signe des accords avec Pretoria sur la construction du barrage d’Inga qui devrait fournir de l’électricité à l’Afrique du Sud (GEC, juillet 2016).
Quel est alors le rôle que pourrait jouer la communauté internationale dans la question congolaise ? Bien que cette question soit à priori l’apanage des Congolais qui doivent en développer une vision et se donner une posture géopolitique, celle-ci est en mesure d’accompagner ce moment historique pour le Congo. Toutes les pressions exercées sur le régime Kabila participent, mine de rien, d’un accompagnement international plus cohérent de la démocratisation de la RDC, en général, et des élections à venir, en particulier. Cependant, les pays occidentaux insistent énormément sur la tenue des élections, mais vont relativement loin dans la tolérance de pratiques non démocratiques. Il en résulte souvent un choix relevant du moindre mal, une ambiguïté. L’image la plus forte de cette ambivalence de la communauté internationale est celle de Mme Hilary Clinton, alors Secrétaire d’Etat américaine. En rapport avec la présidentielle chaotique de 2011 en RDC, elle déclarait :
«La gestion et l’exécution technique des élections laissaient à désirer, manquaient de transparence et n’étaient pas à la hauteur des progrès enregistrés dans de récentes élections africaines. Cependant, il n’est toujours pas clair que les irrégularités en question étaient suffisantes pour changer les résultats de l’élection » (VOA, 2011).
La déclaration du Président français François Hollande en faveur de la tenue du référendum au Congo-Brazzaville même s’il s’est ravisé par la suite, s’inscrit dans le même contexte. Ce comportement est partiellement fondé sur la recherche d’un équilibre délicat entre le désir de contribuer réellement au développement de la démocratie d’une part, et de l’autre l’attention portée à ne pas bousculer une stabilité encore relative et précaire (RICHE, M., et BERWOUTS, K.).
Si au Congo-Brazzaville, le Président Denis Sassou a opéré, sous le silence complice de la communauté internationale, un passage en force en recourant à un référendum pour changer de Constitution et lever, par conséquent, certaines clauses constitutionnelles qui l’empêchaient de briguer un mandat supplémentaire, celle-ci ne semble pas prête à l’accepter pour la RDC. Cette diplomatie à géométrie variable irrite les autorités de Kinshasa qui, faisant prévaloir la souveraineté de leur pays, crient à l’ingérence. Mais, il reste que la situation de la RDC n’est pas pareille à celle du Burundi, ni du Rwanda, ni de l’Ouganda, ni de l’Angola, voire du Congo-Brazzaville. Toutes les tentatives de tordre le cou à la Constitution se sont révélées infructueuses. Même l’arrêt n°265 de la Cour Constitutionnelle n’y a rien changé. Les Résolutions 2277, 2293 et 2348 du Conseil de sécurité sont on ne peut plus explicites. Elles appellent au respect de la Constitution et à l’organisation des élections dans les délais.
En effet, la mal gouvernance, qui a caractérisé le régime de Joseph Kabila, et l’incapacité de celui-ci à construire un leadership dans son pays et dans la région, auraient été déterminants dans la posture de la communauté internationale à son endroit. Les chercheurs Manya Riche et Kriss Berwouts en sont convaincus :
«Le Congo ne peut se remettre sur les rails avec un Gouvernement corrompu. La bonne gouvernance est une question essentielle et il sera très difficile de la maintenir sur l’agenda et de consolider les réalisations de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba si la communauté internationale des donateurs se livre à un exercice électoral autorisant Kabila à rester après 2016. Nombre de Congolais et d’observateurs internationaux de la politique congolaise considéreraient qu’un processus ne conduisant pas à un changement de leader serait un recul considérable pour la paix et la démocratisation en cours depuis les négociations de Sun City.»
Il appert donc que si la communauté internationale a sa partition à jouer, il revient, cependant, aux Congolais d’afficher une volonté farouche pour le changement et pousser le monde à s’engager sans réserve dans cette voie.

Leave a comment

Your email address will not be published.


*