L’humain se reçoit des autres et/ou de l’autre. Des Africains et des Congolais l’auraient oublié

Il est possible de soutenir que se recevoir des autres et/ou de l’autre, c’est d’abord être héritier.
Etre un héritier appelé à devenir créateur en recourant à l’esprit d’inventivité, de créativité et d’imagination. L’humain devient créateur en dialoguant avec son héritage, avec les autres et/ou l’autre dont il se reçoit. Il ne recrée pas humainement ex-nihilo.  »Le self made man » est un mythe s’inscrivant dans une tradition et une culture qu’il s’évertue à ignorer.Un héritage peut donc être ignoré ou sacrifié au moment de la transmission ou de la re-création de soi. Il peut être sacrifié sur l’autel d’une rationalisation extrême du monde vécu en le réduisant à sa plus simple expression des échanges matériels sans fondement éthico-spirituel.
L’être humain est fondamentalement un être social, culturel et historique. En venant biologiquement au monde, il se reçoit des autres et/ou de l’ Autre. Il se reçoit de ses parents inscrits dans toute une généalogie. Ses parents peuvent le nommer  »Dieudonné »,  »Kabiena Kuluila »,  »Muasua Nzambi » ou  »Le Bon ». La donation du nom est portée par une culture et une tradition fondées sur des croyances fortes, avouées, ignorées ou inavouées. Les parents recevant leur enfant comme  »un Dieudonné » l’accueillent comme venant de l’Autre et se reconnaissent, consciemment ou inconsciemment, comme étant des  »sentinelles », des responsables appelés à veiller sur son épanouissement comme un enfant d’autrui. Quand, dans la tradition et culture Luba, des parents ayant souffert pendant un long moment du manque d’enfants dans leur foyer et, qu’en finissant par l’avoir, ils le nomment  »Kabiena Kuluila, Mulopo ngubipapa bantu » (il ne sert à rien de se battre (pour cela), c’est Dieu (Mulopo) qui le donne aux humains), ils s’inscrivent dans la même logique du don. Pour eux, mettre au monde n’exclut pas que l’enfant soit accueilli comme  »un Muntu wa Bende wa Maweja » (un homme-d’autrui-de-Dieu).
L’accueil de l’enfant comme un être venant d’ailleurs par le canal biologique influe, souvent,sur le regard que le Muntu porte sur l’autre Muntu. Il est vu comme  »un homme-d’autrui-de-Dieu ». D’où le respect qu’on lui doit même quand il est  »un voisin » ou  »un étranger ».
Et l’étranger accueilli comme  »un Muntu wa Bende » a le devoir de réciprocité du point de vue du respect. Pas simplement de son hôte ; mais aussi des us et coutumes du lieu d’accueil. Il est tenu par un temps d’observation avant de penser à un échange interculturel. Un adage comme celui-ci traduit cette réalité : « Biwaya ku Bakuba kudianji kuteya ; wamona Bakuba muteyateyabo. » (Quand tu vas comme hôte chez le peuple Kuba, ne commence pas par tendre les pièges ; observe d’abord la façon dont les Kuba tendent leurs pièges.) Le non-respect du principe de respect des us et coutumes peut conduire à l’exclusion de  »Muntu wa Bende ». (Badi bamwela mu diala).
Quand il part de chez lui, il est supposé connaître le minimum de principes et de valeurs pouvant lui permettre de vivre avec autrui. Celui qui l’accueille postule que c’est comme ça. Jusqu’au moment où il peut, par exemple, se rendre compte qu’il manque le  »savoir être avec autrui ». En Tshiluba, on dira :  »Kena ne nsombelu muimpe to » ou  »Kena mumanye kusomba ne bantu to ».  »Le savoir bien s’asseoir » est toujours une dimension importante du  »savoir être avec autrui ».
Dans les meilleurs des cas, le  »savoir être avec autrui » atteste que l’humain est fondamentalement un être social. Cette socialité est à la fois un héritage (culturel et traditionnel) et un apprentissage, une culture  »librement acquise ». En tant qu’héritage, elle dépend de la façon dont la famille a éduqué. C’est  »le koleshelu ». Plus tard, cette éducation familiale (héritée de la tradition) s’enrichit de la culture reçue à l’école, à l’église, à l’université, par ses propres lectures ou à la rencontre des autres.
 »Librement acquise » est mise entre guillemets parce que les premières orientations familiales peuvent être déterminantes. Elles peuvent enfermer l’enfant ou le jeune dans  »un carcan » où la culture et l’apprentissage qu’il reçoit le confinent à cultiver l’individualisme.
Et même dans ce cas, il demeure un être social lié à ses parents ou à ceux qui comptent pour lui.
Rappelons que  »le savoir être avec autrui » est, dans chaque société, fondé sur un minimum de principes ou de règles rendant  »le vivre-ensemble » possible. Ces principes (d’abord reçus) peuvent être à la fois spirituels(religieux), moraux, éthiques, économiques et sociaux.
Il arrivent que du point de vue religieux, ces principes soient formulés  »négativement » pour indiquer les limites à ne pas franchir afin d’éviter la démesure rendant  »le vivre-ensemble » impossible.
Une certaine spiritualité Luba était fondée sur  »le quadralogue » formulé ainsi :
Kwibi (ne vole pas) ;
Kwangudi (ne ramasse pas les biens d’autrui (sans les rendre?)
Kupatuki, kulowi (Ne sois pas sorcier?)
Kwangatshi mukaji wa Bende (Ne prends pas une femme d’autrui)
Le peuple d’Israël a toute une panoplie d’interdit que plusieurs de ses filles et fils estiment libérateurs. (Lire M. NABATI, Ces interdits qui nous libèrent. La Bible sur le divan, 2012)
Certaines formules du Nouveau Testament rendent  »positivement » les dix commandements en invitant à  »aimer son prochain comme soi-même ».
Il y a, dans ces spiritualités traditionnelles, une sorte de  »réserves de valeurs » (Habermas) (Lire DE KESEL (Cardinal), Foi et religion dans une société moderne, dans Pastoralia, 7, Septembre 2017).
Des non-croyants libertaires prônent l’égalité, la liberté et la fraternité comme matrice organisatrice du  »vivre-ensemble » en décriant les passions tristes que sont la haine, la rancoeur, la jalousie, le ressentiment, l’envie, la cupidité, etc. En France, un homme de gauche libertaire, Michel Onfray, a écrit un livre sur  »la contre-histoire de la révolution française » en vue d’affirmer, entre autres, que  »le vivre-ensemble » peut être construit sur  »les passions heureuses » plutôt que sur le sang. Preuves à l’appui, il aide à comprendre que plusieurs femmes, en France, au cours de la révolution française, ont lutté par le triomphe de ces  »passions  ». Que cela a fait  »leur force ». Elles ont su abordé la mort imposée par les hommes dominées par les passions tristes avec courage et esprit d’abnégation. (Lire M. ONFRAY, La force du sexe faible. Contre-histoire de la révolution française, 2016).
En lisant attentivement M. Onfray, une chose saute aux yeux : les femmes ayant écrit positivement l’histoire de la révolution française ont bénéficié, pour un bon nombre d’entre elles, de l’héritage des valeurs chrétiennes.
Il est donc possible de soutenir que se recevoir des autres et/ou de l’autre, c’est d’abord être héritier.
Etre un héritier appelé à devenir créateur en recourant à l’esprit d’inventivité, de créativité et d’imagination. L’humain devient créateur en dialoguant avec son héritage, avec les autres et/ou l’autre dont il se reçoit. Il ne recrée pas humainement ex-nihilo.  »Le self made man » est un mythe s’inscrivant dans une tradition et une culture qu’il s’évertue à ignorer.
Un héritage peut donc être ignoré ou sacrifié au moment de la transmission ou de la re-création de soi. Il peut être sacrifié sur l’autel d’une rationalisation extrême du monde vécu en le réduisant à sa plus simple expression des échanges matériels sans fondement éthico-spirituel.
Le fondamentalistes du marché réussit ce tour de passe-passe en faisant de l’humain qu’un  »homo economicus », lié à son intérêt propre et capable de vivre en  »homos ludens »  »(c’est-à-dire l’homme du jeu, de la dépense, du gaspillage » (Lire E. MORIN, Culture et barbarie européennes, Paris, Bayard, 2005).
L’humain se recevant des fondamentalistes du marché, sans esprit critique, peut tomber dans un fidéisme le poussant à devenir défenseur de la démocratie du marché et de la ploutocratie. C’est-à-dire un être capable de sacrifier les valeurs de fraternité, de solidarité, de fierté, de dignité et de paix sur l’autel de la cupidité diabolique. Il en va à peu près de même pour l’  »homo faber » privilégiant l’héritage de la rationalité instrumentale et technicienne au dépens de  »la réserve de valeur de sagesse » contenue dans certaines spiritualités traditionnelles. Il peut alors se transformer en un  »homo demens »  »capable de délire et de démence ».
Une réappropriation critique de l’héritage est une entreprise difficile et un ouvrage à remettre toujours sur le métier. Les croyances et les convictions reçues sont difficilement déboulonnables. Souvent, elles se transformes en habitudes non questionnées. Que veut-on, par exemple, que  »les enfants soldats africains et congolais » (les kadogo) ayant grandi dans  »la culture barbare de l’expansion de la mort » apportent à la grande société congolaise sans une bonne et sérieuse thérapie collective de désenvoûtement ? Surtout si, après, ils ont été adoptés par  »des parrains ploutocrates » les convaincant qu’ils peuvent devenir dans le délire et la démence des  »homines economici »…
Une réappropriation critique de l’héritage est un apprentissage et une culture. Des disciplines telles que l’exégèse, l’herméneutique, la philosophie du langage, la philosophe analytique, la théorie critique, etc. peuvent y aider. La promotion des espaces de vie et de débat peuvent être mis à profit pour cela.
Cela devient difficile dans un contexte où la remise en question de l’intellectuel académique, du  » prophète-flatteur-de-la-cour-du-roi-fénéant » conduit à l’exaltation de l’ignorance et de la fausseté, à l’appel de pied fait aux ignorants et aux imposteurs afin qu’ils deviennent  »les maîtres de la République ». Cela peut devenir possible quand les intellectuels organiques et co-structurants, main dans la main avec les autres ascètes du provisoire, travailleront à la refondation de l’école, de l’université et de l’église sur  »les réserves des valeurs » promotrices du bonheur collectif partagé en en faisant des lieux où le débat entre la rationalité éthico-politique, la rationalité instrumentale et la rationalité spirituelle est mis au service de la vie.
Une guerre perpétuelle menée contre l’Afrique et le Congo-Kinshasa depuis 1885 peut conduire à l’oubli, au rejet ou à l’abandon de cette anthropologie de l’héritage. Cela d’autant plus qu’elle éveille les passions tristes et chez les parrains qui en sont les initiateurs et chez les filleuls-héritiers.
Dans cet ordre d’idées, dans le contexte actuel de guerre perpétuelle et de la néocolonisation de l’Afrique et du Congo-Kinshasa, ce passage d’Aimé Césaire mérite d’être repris et médité :  »Et je dis que de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie ; que de toutes les expéditions coloniales accumulées, de tous les statuts coloniaux élaborés, de toutes les circulaires ministérielles expédiées, on ne saurait réussir une seule valeur humaine.Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au VietNam une tête coupée et un oeil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées. de tous ces prisonniers ficelés et interrogés, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. » (https://www.legrandsoir.info/discours-sur-le-colonialisme-extrait.html).
Sans une remise en question en profondeur du  »régime néocolonial et ultralibéral » actuel, l’ensauvagement du contient africain engloutira l’héritage de  »ses réserves des valeurs » dans un gouffre sans fond.
La dernière rencontre des  »universitaires congolais » à Kinshasa semble avoir négligé ce travail critique. En attendant la lecture de tous les textes des travaux organisés à Kinshasa du 28 au 29 août 2017, les bribes d’informations lues dans le journal Le Phare semblent n’insister que sur  »la crise de légitimité des institutions congolaises » mises en place par  »les filleuls-héritiers » des parrains ploutocrates. Il y aurait encore un effort à déployer…Cela pourrait attenter aux intérêts des  »partenaires traditionnels »… Mais, néocoloniaux et ultralibéraux, ces intérêts anéantissent les efforts fournis pour une Afrique et un Congo-Kinshasa souverains. Nos  »universitaires » auraient-ils roulé  »la pierre de Sysiphe » ? Attendons voir.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

Leave a comment

Your email address will not be published.


*