Fosse commune de Maluku : HRW accuse la garde prétorienne de «Kabila»

 

Le cimétière désaffecté de Fula Fula à Maluku. Photo AFP

Trente-quatre familles congolaises dont les enfants et proches sont portés disparus depuis l’opération «Likofi» (novembre 2013- février 2014) et la répression des manifestations du 19, 20 et 21 janvier de l’année en cours, ont porté plainte le vendredi 5 juin auprès du Procureur général de la République, Flory Kabange Numbi. La démarche vise à obtenir l’exhumation des corps ensevelis dans la fosse commune de Maluku. Ces familles suspectent le pouvoir kabiliste d’y avoir enfoui «les cadavres des victimes des forces de sécurité». L’information a été donnée, lundi 8 juin, par Ida Sawyer, chercheuse senior pour l’Afrique à Human Right Watch (voir le texte intégral dans la rubrique «communiqué»).
Un Président distrait

Une petite digression. Après quatre jours passés à Kinshasa, le secrétaire d’Etat adjoint US chargé de la Démocratie et les droits de l’Homme, Tom Malinowski, a, sans aucun doute, emporté avec lui un rapport accablant sur des graves atteintes aux droits et libertés imputables aux forces dites de sécurité dépendant directement de «Joseph Kabila».

Pour la petite histoire, Malinowski a été, de 2001 à 2014, directeur à Washington de la très influente organisation non gouvernementale Human Rights Watch (HRW). Avant d’occuper ce poste, il a servi, de 1998 à 2001, à la Maison Blanche en tant que membre du Conseil national de sécurité en détachement.

Avant de quitter la capitale congolaise, ce haut responsable américain a prévenu, au cours d’un point de presse, jeudi 4 juin, que «le dialogue national voulu par le président Joseph Kabila ne doit pas servir de ‘prétexte’ pour retarder les élections en République démocratique du Congo».

Comme à l’accoutumée, piqué sur le vif à l’image d’un taureau qui voit un chiffon rouge, le ministre de la Communication et médias, Lambert Mende Omalanga, a tourné sa langue durant 48 heures avant de lancer, samedi 6 juin, la «riposte» : «Ce dialogue n’est pas l’affaire des étrangers. C’est une affaire des Congolais. C’est un cas type d’une affaire intérieure et domestique. Nous ne pouvons que rejeter toute tentative d’immixtion des officiels étrangers de quelque pays que ce soit ».

L’ancien opposant Mende Omalanga feint l’amnésie. Il feint d’ignorer que son patron de président a été porté à la tête de l’Etat congolais par des puissances étrangères. C’est le cas notamment de l’Angola, de l’Ouganda, du Rwanda et du Zimbabwe. A l’époque, Georges W. Bush venait d’inaugurer son premier mandat à la Maison Blanche. «W» a été le premier chef d’Etat étranger à féliciter «Joseph Kabila» en lui donnant du « Mister President » quelques heures seulement après la cérémonie d’investiture organisée le 26 janvier 2001. L’Amérique a été la première nation à adouber le successeur de Mzee en dépit du caractère dynastique de cette dévolution du pouvoir.

Quatorze années après, on assiste à une sorte de retournement pour ne pas parler de «la fin de l’Histoire» entre Washington et «Joseph Kabila».

Hillary Clinton, alors secrétaire d’Etat américain, a été la première observatrice de haut niveau à brocarder «Joseph Kabila». Reçue le 11 août 2009 à Goma par le numéro un Congolais, voici la description qu’elle faisait de celui-ci : « Kabila était distrait et incapable de se concentrer, manifestement dépassé par les nombreux problèmes que rencontrait son pays. Parmi eux se posait la question de rémunération des soldats. Indisciplinés et sous-payés, ils étaient devenus aussi dangereux pour les habitants que les rebelles qui attaquaient depuis la jungle». (Voir H. R. Clinton, Le temps des décisions 2008-2013, Ed. Fayard, 2014, p. 340).

Cinq années après « Hillary », c’est au tour de son successeur John Kerry de fouler le sol congolais. C’était le 5 mai 2014. Mission : exhorter «Joseph Kabila» à respecter la Constitution et de ne pas la faire réviser juste pour ses intérêts. S’adressant aux journalistes américains, le même jour, à Kinshasa, le sénateur Russel Feingold, alors Envoyé spécial du président Barack Obama dans la région des Grands Lacs, de lancer dans la langue de Shakespeare ces quelques mots très peu diplomatiques : « We believe that it is very important for the future of this country and its stability that the constitution be respected ».
Question : « Joseph Kabila » serait-il perçu par l’hyperpuissance américaine – qui est le premier bailleur de fonds de la mission onusienne au Congo – comme un «obstacle» au progrès économique et social autant qu’une menace pour la stabilité du Congo-Kinshasa ?

Rapport accablant

Coïncidence ou pas, après le départ du secrétaire d’Etat adjoint Malinowski, Human Right Watch a publié, lundi 8 juin, un communiqué aux allures de réquisitoire à l’encontre du pouvoir kabiliste. Deux phrases contenues dans ce texte revêtu de la signature de la chercheuse Ida Sawyer, donnent le ton : «Le climat politique en RD Congo à l’approche des élections de 2016 devient de plus en plus répressif » ; « Les partenaires internationaux de ce pays devraient s’efforcer d’empêcher de nouvelles escalades de la violence et insister pour que les responsables de violations des droits humains soient amenés à rendre des comptes devant la justice.»

La suite de ce document ressemble à un «tapis de bombes». L’Ong HRW a invité «une nouvelle fois» les autorités compétentes congolaises « à exhumer les 421 corps» inhumés, mi-mars dernier, dans une fosse commune découverte à Maluku. Des officiels congolais avaient prétendu que la fosse dont question contenait des fœtus, des enfants mort-nés et des «indigents». L’objectif, disaient-ils, était de désengorger la morgue centrale de Kinshasa.

La découverte de ce charnier a eu lieu deux mois après les manifestations qui avaient secoué la capitale au cours des journées de 19, 20 et 21 janvier. Des rumeurs ont aussitôt couru que les cadavres découverts étaient ceux des victimes de la répression sanglante menée par des éléments de la police nationale et de la garde présidentielle dite « Garde républicaine ».

Le communiqué de rappeler que HRW avait demandé une «enquête crédible» sur les morts de Maluku. Une demande qui avait été appuyée notamment par l’Union européenne, l’ONU, l’opposition et de nombreuses associations de défense de droits de l’Homme, congolaises et internationales. « Les familles de victimes de violations des droits humains ont le droit de savoir si leurs proches sont parmi les personnes ensevelies dans cette fosse », souligne le texte.

Le communiqué rappelle également que le 3 avril, le ministre de l’Intérieur, Évariste Boshab, annonçait, lors d’une réunion avec d’autres officiels de haut rang du gouvernement et des forces de sécurité, des représentants de Human Rights Watch et de la Monusco ainsi que des journalistes congolais, que 421 corps avaient été inhumés dans la fosse commune. Et d’affirmer que cette inhumation était une « procédure normale » avant de refiler la « patate chaude » aux autorités de la ville-province de Kinshasa.

Interrogé lors de la conférence de presse qu’il a tenue le 9 avril, le ministre Lambert Mende, de déclarer : « Si le magistrat chargé de l’enquête estime que l’exhumation est nécessaire, il le demandera ». « Nous rejetons les prétentions de HRW à se substituer à la justice », ajoutait-il.

Deux mois après la découverte de cette fosse commune à Maluku, les autorités congolaises se taisent dans toutes les langues. L’opinion tant nationale qu’internationale attend toujours de connaitre les conclusions des investigations qui seraient toujours «en cours». Une situation qui a l’heur de provoquer l’ire de HRW. L’organisation non gouvernementale maintient l’exigence posée aux autorités congolaises «de faire la lumière sur l’identité des personnes enterrées». Et ce, au nom du droit des familles des victimes «de savoir si leurs proches sont parmi les personnes ensevelies dans cette fosse.»

Lors de sa conférence de presse à Kinshasa, le secrétaire d’Etat adjoint Tom Malinowski a enfoncé le clou en exhortant les autorités congolaises « à exhumer les corps de Maluku». Dès le lendemain 5 juin, les familles de 34 victimes ont déposé une plainte publique auprès du Procureur général de la République.

« Malukugate »

Le communiqué publié par la chercheuse Ida Sawyer fait par ailleurs état d’un cas «de décès dans des conditions suspectes». Il s’agit de la mort dans des circonstances troubles de l’infirmier Claude Kakese, responsable de la morgue de la clinique Ngaliema. «Dans la soirée du 18 mars, note le communiqué, Claude Kakese, est décédé dans des circonstances suspectes dans ce qui a été présenté comme un accident de la route à quelques kilomètres de l’aéroport de Ndjili, sur la route de Maluku. » « Un de ses collègues a déclaré à Human Rights Watch que Kakese avait la réputation de fournir des informations exactes sur les causes des décès des personnes dont les corps étaient apportés aux morgues de Kinshasa. Sa famille pense que sa mort est liée à l’inhumation de masse à Maluku ». « Le lendemain, une station locale de télévision a affirmé que Kakese était mort dans un accident causé par la conduite en état d’ivresse et qu’une bouteille de whisky avait été trouvée dans sa voiture. Mais un témoin arrivé sur les lieux peu après l’accident a affirmé à Human Rights Watch que des militaires de la Garde républicaine avaient entouré la voiture de Kakese et qu’il n’y avait pas de bouteille d’alcool.(Avec Floribert Chebeya, les assassins avaient placé des préservatifs dans la voiture: même mode opératoire! FCRP)   Ce témoin a précisé que les militaires avaient donné des versions contradictoires des causes de l’accident. Il a affirmé avoir vu le corps de Kakese gisant sur les deux sièges à l’avant de la voiture, avec ce qui ressemblait à une blessure par balle sous le menton. »

Ici aussi, Human Rights Watch invitent les autorités congolaises à « faire effectuer une enquête indépendante et impartiale sur les circonstances de la mort de Kakese et poursuivre en justice quiconque pourrait en être responsable ». De là à parler de «Malukugate», il n’y a plus qu’un pas à franchir…
Baudouin Amba Wetsh

 

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