Congo-Kinshasa : Eviter l’éternel recommencement politique

« Un peuple sans mémoire ne peut pas être un peuple libre. » D. MITTERRAND

Un peuple débout, mobilisé comme un seul homme par une idéologie révolutionnaire claire, transformé en véritable masse critique en conscience,  est plus redoutable qu’une bombe atomique.  Il peut renverser les rapports de force, s’affirmer comme  libre, indépendant et souverain.

A plusieurs reprises, tout au long de son histoire, le peuple Congolais s’est mis debout. Et à plusieurs reprises, sa mise debout ne lui a pas permis d’accéder à sa véritable souveraineté sur le long terme. Pourquoi ? Par méconnaissance de l’identité  de ses véritables adversaires ? Par analphabétisme politique  ou pour avoir fait de ses luttes des questions émotionnelles  auxquelles seraient suffisantes des réponses conjoncturelles ? Ces questions méritent d’être étudiées de manière approfondie. Surtout en ce moment où il se remet debout après  ‘’les élections- pièges-à-cons’’ de 2011 et la perpétuation de la guerre sur toute l’étendue du territoire sous le mode ‘’soft’’.

Qui a fait la guerre contre le  Congo-Kinshasa en se servant des proxys Ougandais, Rwandais, Burundais, Congolais, etc. ? Il semble que la réponse à cette question est facile et cela pour la majeure partie de  Congolais(es).  Pourquoi cette guerre a-t-elle été menée ?   Répondre à cette question est aussi facile pour plusieurs compatriotes  Congolais.  Que signifie  faire usage des ‘’proxys’’ pour atteindre des objectifs bien précis ? A notre avis, cela signifie jouer un rôle majeur en restant tapis dans l’ombre. Pour combien de temps ? Jusqu’au moment où les objectifs poursuivis sont atteints aux dépens des populations contre lesquelles cette guerre raciste de prédation est menée. Cette situation peut-elle être inversée ?

Oui. Si les populations chosifiées s’imposent comme des actrices  de l’histoire en renversant en conscience les rapports de force.

Comment, les rapports de force créés à partir d’une guerre d’agression peuvent-ils être renversés ? Avant de répondre à cette question, il y a des préalables auxquels il faut satisfaire. Il s’agit entre autres de la connaissance des acteurs agissant à partir de l’ombre, de leur emploi du temps dans la réalisation des objectifs qu’ils se donnent et des stratégies et méthodes auxquelles ils recourent pour les atteindre.

Comment pouvons-nous arriver à identifier les acteurs majeurs tapis dans l’ombre et imposant des rapports de force qui leur sont favorables ? En étudiant et en lisant sur le long terme ce qu’ils disent d’eux-mêmes et ce qui est dit sue eux à partir des sources suffisamment info-formées.

Pour le cas du Congo-Kinshasa, la documentation sur la guerre raciste de prédation et d’agression connue à partir des années 1990 est abondante.  L’étudier sur le temps peut paraître fatiguant. Pourtant, il nous semble que c’est le prix à payer pour ne pas sombrer dans l’analphabétisme politico-économique et errer dans la proposition des voies de rupture avec l’ordre cannibale du monde. Ce prix est à payer pour éviter que la politique au Congo-Kinshasa ne puisse être  un éternel recommencement.

Sur le Congo-Kinshasa, en effet, il y a des livres pouvant être classifiés parmi ‘’les classiques’’ et méritant, néanmoins d’être lus et relus.

‘’Crimes organisés  en Afrique centrale’’, ‘’Noir Canada’’, ‘’Les nouveaux prédateurs. Politiques des puissances en Afrique centrale’’, ‘’Ces tueurs tutsi. Au cœur  de la tragédie congolaise’’,  ‘’Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique’’, ‘’Europe, crimes et censure au Congo. Les documents qui accusent’’, ‘’Paix et châtiment. Les guerres secrètes de la politique et de la justice internationales’’, ‘’Guerre et droits de l’homme en République Démocratique du Congo’’, ‘’La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion’’, etc. A ces ‘’classiques’’, nous pouvons ajouter quatre ou cinq autres récents dont ‘’Figures de la révolution africaine. De Kenyatta à Sankara’’, ‘’Chasseurs de matières premières’’, ‘’Stratégie du chaos et du mensonge. Poker menteur en Afrique des Grands Lacs’’, ‘’Les guerres d’Afrique. Des origines à nos jours’’, ‘’Les Congolais rejettent le régime Kabila’’, etc. Toute cette documentation est à ce jour disponible. Elle permet de traiter du cas du Congo-Kinshasa à bon escient. Elle est accompagnée du travail  remarquable abattu par plusieurs médias alternatifs congolais (et alliés). Elle constitue une référence indispensable pour ceux et celles d’entre nous qui veulent éviter le colportage ou le larbinisme liés à l’analphabétisme politique. Héritiers de la tradition orale, il arrive qu’elle nous joue des tours en nous détournant des sources pouvant fonder nos argumentations dans les débats d’idées sur la guerre perpétuelle que connaît le Congo-Kinshasa depuis bientôt plus de deux décennies.

En effet, la tournure que prennent certains de nos débats, de temps en temps, et même souvent, semble poser la sérieuse question de nos références à l’écrit.  Il arrive que ‘’les voix majoritaires’’ mal informées, sous informées ou amnésiques tendent à étouffer celles des ‘’minorités organisées, pensantes et agissantes’’.  Dans ces débats émotionnels, passionnés et passionnants, ‘’les noms d’oiseaux’’ et les menaces  de mort font souvent office d’arguments.

Prenons le cas des débats actuels sur ‘’le glissement’’ ! Plusieurs débatteurs refusent que le processus ayant porté ‘’un mercenaire’’ au pouvoir-os au Congo-Kinshasa soit fondamentalement remis en question comme étant vicieux et vicié. Toute remise en question de la façon dont les questions sont posées est facilement interprétée comme ‘’une collaboration’’ avec le statu quo et un soutien à la mise sous tutelle du  Congo-Kinshasa.  ‘’Crier Kabila dégage’’ est perçu d’office comme un signe de patriotisme.

Et quand vous posez la question : « Mobutu a dégagé  hier. Pourquoi le Congo-Kinshasa n’a-t-il pas accédé à l’égalité souveraine avec les Etats qui le tiennent sous la tutelle de l’ONU en s’ingérant dans ses affaires internes ? », la réponse est : « Tu es ‘’collabo’’ »  ou « oleyi mbongo » (tu es corrompu). Provoquer un échange sur le rôle de ‘’marionnette’’ que joue ‘’le  raïs’’ est souvent une provocation dans certains milieux congolais. Trouver  des réponses ponctuelles aux questions immédiates semble être  l’une des options prises consciemment ou inconsciemment par  la majorité de compatriotes.

Pourtant, il y a lieu de travailler sur le moyen et le long terme en analysant en profondeur les objectifs poursuivis par les acteurs pléniers tapis dans l’ombre et les stratégies auxquelles ils recourent.

Essayons d’aller un peu voir ce qu’il y a dans leurs  livres blancs.

« Dans un livre blanc de 2010, la Commission Européenne parle du besoin urgent de constituer des réserves de tentale, cobalt, nobium, et tungstene entre autres ; le livre blanc du département de l’Energie des Etats-Unis de 2010 : ‘’Stratégie pour les minéraux indispensables aux Etats-Unis’’, a aussi reconnu l’importance stratégique de ces composantes clés. »[1] Et « comme par hasard, l’armée étasunienne essaie aujourd’hui d’augmenter sa présence dans le pays considéré comme le plus riche en matière première, la République Démocratique du Congo. »[2] Le soutien offert aux proxys et autres marionnettes menant la guerre d’usure dans ce pays sert cet objectif stratégique.  Car  « depuis l’époque de l’Empire Britannique et du manifeste de Cecil Rhodes, la chasse aux trésors de ce continent a montré le peu de valeur qu’on attache à la vie humaine. »[3]

Pour atteindre cet objectif stratégique, la chasse aux trésors peut recourir à l’usage du ‘’hard power’’ (dont la guerre classique est l’exemple),  à la guerre de basse intensité menée par proxys interposés (comme celle menée à partir des années 1996-1997 contre le Congo-Kinshasa) ou au ‘’soft power’’.

Au Congo-Kinshasa, la guerre raciste de prédation et de basse intensité est menée de pair avec l’usage du ‘’soft power’’ ; c’est-à-dire la préparation et l’encadrement des manifestations et des élections par les agences de sédition made in USA. Au même moment que les massacres se poursuivent à l’est du pays, à Kinshasa, le coaching mené par ces agences va bon train. Nous ne le dirons jamais assez. Presque tous les partis politiques congolais sont coachés par l’USAID, la NED, le NDI, l’IFES, l’OSISA, etc. Un exemple récent est celui des membres de l’ARC d’Olivier Kamitatu formés par le NDI[4].

Il faut beaucoup d’intelligence pour  comprendre le mode opératoire de ces agences américaines. Officiellement, elles forment à la citoyenneté, construisent les ponts, luttent contre la malnutrition, renforcent les capacités des membres des partis politiques, etc. Mais, « la réalité est que toutes ces fondations et ces organisations, qui prétendent lutter contre l’impunité et la violation des droits de l’homme en Afrique, mènent diverses actions douteuses et que l’essentiel de leurs préoccupations n’est nullement inféodée à la lutte pour la démocratie et les droits de l’homme. »[5] Un groupe de compatriotes vivant au Canada a compris cela en 2002 et réagi en crachant les quatre vérités sur le travail mené par le NDI[6].

L’un des fondateurs de ces organisations, George Soros soutient que « les victimes de l’impunité servent (…) de tremplin à la promotion de l’instabilité politique et à la prise de contrôle des ressources économiques (généralement minières et pétrolières) du pays ciblé. »[7]

Ces organisations font, sur le mode ‘’soft’’, ‘’le travail d’intelligence de la CIA’’. L’analphabétisme politique, le goût du lucre, la corruptibilité et l’instinct de domination dans lesquels baignent  plusieurs responsables de nos 400 partis politiques constituent des handicaps sérieux à l’établissement du lien entre les objectifs politiques qu’ils prétendent poursuivre et les objectifs stratégiques anglo-saxons.

Ailleurs, là où les responsables politiques et économiques épris de liberté, de dignité, d’indépendance et de souveraineté ont accepté de travailler pour l’avènement de la démocratie participative, ces fondations et organisations ont été chassées ou réduites en nombre pour être bien contrôlées.

A l’allure où vont les choses, il nous semble qu’au Congo-Kinshasa, même quand ‘’le raïs’’ sera mis hors d’état d’agir, il y aura encore du boulot politique à abattre : vaincre dans les cœurs et les esprits l’analphabétisme politique, connaître et approfondir le mode opératoire de ‘ces fondations et organisations ‘’pour la démocratie et les droits de l’homme’’, neutraliser leur nocivité, peser dans les rapports de force en créant des masses critiques, travailler au panafricanisme des peuples pour éviter d’être écraser par les grands blocs tels que les Etats-Unis d’Amérique, les Etats-Unis d’Europe, les Brics, etc.

Il nous semble que l’alternance à laquelle appellent plusieurs partis politiques, victimes consentantes du ‘’soft power’’ made in USA ne pourra pas un fleuve tranquille. Il risque de se révéler comme ayant été un leurre.

Souvenons-nous qu’à l’entrée de l’AFDL sur le territoire congolais, plusieurs d’entre nous, analphabètes politiques, avions crié : « Libérés, libérés, libérés… ».

 

Mbelu Babanya Kabudi

[1] http://www.legrandsoir.info/l-africom-des-etats-unis-et-la-militarisation-du-continent-africain-le-combat-contre-l-implantation-economique-chinoise.html

[2] Ibidem.

[3] Ibidem.

[4] http://7sur7.cd/new/elections-des-membres-de-larc-restituent-la-formation-recue-de-ndi/

[5] C. ONANA, Menaces sur  le Soudan et revelations sur  le procureur Ocampo. Al-Bashir & Darfour, La contre-enquête, Paris, Duboiris,  2010, p. 470.

[6] https://groups.yahoo.com/neo/groups/mediascongolais/conversations/messages/27036

[7] C. ONANA, O.C., p. 471.

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