Élections, assassinat des experts de l’ONU… Ce qu’il faut retenir de la réunion sur la RDC à l’ONU

Par  /Jeune Afrique

Une réunion du Conseil de sécurité des nations unies a suscité un vif débat ce lundi entre les représentants congolais et ceux de plusieurs pays, dont les États-Unis. Au menu : le processus électoral en RDC. Mais pas seulement.

Une rencontre informelle avec des échanges francs et directs. C’est à cela que l’on pouvait s’attendre, le lundi 12 février, à New-York, lorsque la problématique du processus électoral en RDC a été inscrite à l’ordre du jour de la réunion en « formule Arria » du Conseil de sécurité. Et l’on n’a pas été déçu. En témoigne la mise au point musclée de Nikki Haley, représentante permanente des États-Unis auprès des Nations unies, à l’endroit de la délégation gouvernementale congolaise.

La claque de Nikki Haley

C’est sûrement le moment le plus intense des discussions. Après les exposés des participants, l’ambassadrice américaine Nikki Haley, qui présidait la séance, reprend la parole pour clore les débats. Mais l’intervention quelques minutes plus tôt de Léonard She Okitundu, chef de la diplomatie congolaise, lui est restée en travers de la gorge. Sa réplique sera cinglante. Une claque !

« Au lieu de vous offusquer par des commentaires négatifs sur la RDC, nous apprécierons que vous preniez des actions concrètes pour assurer le peuple [congolais] et que vous travailliez avec la Ceni [Commission électorale nationale indépendante] et des partenaires régionaux pour avoir des élections libres et transparentes », a lancé Nikki Haley, appelant le gouvernement congolais à « ne pas hurler sur des évêques » ou « blâmer tout le monde » mais à « comprendre qu’il est responsable des souffrances de la population ».

She Okitundu s’était pourtant évertué à rassurer tout le monde, en « [réaffirmant] l’engagement résolu du gouvernement de la RDC d’organiser les élections, conformément au calendrier électoral de la Ceni publié depuis le 5 novembre 2017 ». Visiblement sans convaincre les États-Unis.

La liste remise à Kabila comprend des « informations pour l’enquête »

Il en est de même de son argumentaire sur la volonté de Kinshasa de traquer ceux qui violent les droits fondamentaux et qui commettent des tueries en RDC. « La poursuite des procès des terroristes Kamuina Nsapu qui se sont rendus coupables de plusieurs assassinats à Kinshasa et au Kasaï [centre du pays], notamment le meurtre des deux experts des Nations unies, s’inscrit, selon le vice-Premier ministre congolais des Affaires étrangères, dans cet effort de sanctionner toute atteinte à la vie, quel qu’en soit son auteur. »

Veuillez demander à M. Kabila ce qu’il a fait de [ma] liste

Mais ce ne serait que de la poudre aux yeux, selon Nikki Haley qui a exhorté She Okitundu à « demander à M. Kabila ce qu’il a fait de la liste » liée au meurtre des deux experts onusiens au Kasaï qu’elle lui avait remise lors de leur tête-à-tête fin octobre à Kinshasa.

Dans l’entourage du chef de l’État congolais personne n’a été à mesure, pour l’instant, de nous dire ce qu’il est advenu de cette « liste », piste apparemment « sérieuse » pour les États-Unis dont un ressortissant, Michael Sharp, faisait partie de deux experts tués dans le centre de la RDC. « Aucune mesure n’a été prise », a déploré Nikki Haley.

Contactée, une source au sein du département d’État américain a insisté aussi sur la nécessité de « rendre justice » dans cette affaire, sans en dire davantage sur le contenu de la « liste » de Nikki Haley. « Il s’agit d’informations pour l’enquête », a-t-elle simplement confirmé à Jeune Afrique.

Le coup de gueule de She Okitundu

De son côté, She Okitundu n’a pas digéré les critiques acerbes de Ida Sawyer, sur le régime de Joseph Kabila. Un pouvoir qui, selon la directrice pour l’Afrique centrale de Human Rights Watch, mène une « campagne brutale » à l’encontre « de tous ceux qui s’expriment en faveur de la démocratie et des droits fondamentaux » dans le but de « maintenir un homme au pouvoir en violation de la Constitution du pays ».

Suffisant pour faire sortir le chef de la diplomatie congolaise de ses neuf pages d’exposé. Voix tremblante et en colère, She Okitundu a qualifié de « réquisitoire complètement péremptoire » les propos de Ida Sawyer.

« Arrêtez d’accuser le président Kabila [de vouloir] se maintenir au pouvoir : on n’attend du chef de l’État de faire des déclarations sur son avenir, on attend de lui de respecter la Constitution et de se conformer au calendrier publié par la Commission électorale », a-t-il déclaré.

Quid du processus électoral et de la machine à voter ?

Invité à prendre la parole devant les membres du Conseil de sécurité, Corneille Nangaa, président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), est quant-à lui essentiellement revenu sur « les progrès et autres avancées enregistrés dans le processus électoral en RDC ». Il a notamment évoqué les 46 021 454 électeurs inscrits sur les listes électorales à l’issue de l’enrôlement et la publication du calendrier électoral, lequel fixe la présidentielle au 23 décembre.

Mais certains de partenaires internationaux, ainsi que des voix au sein de l’opposition en RDC, ont émis des doutes sur la fiabilité du fichier électoral en cours de constitution, exigeant plus de transparence dans l’opération à venir de nettoyage des doublons.

Autre élément qui suscite des réserves : le recours aux machines à voter. Cette option, a soutenu Corneille Nangaa, « permet de réduire le poids de l’ensemble de matériel à déployer : de 16 000 tonnes à moins de 8 000 tonnes ».

« Le coût de trois scrutins du 23 décembre était initialement évalué à 554 925 751 dollars. Il est ramené aujourd’hui à 432 642 693 dollars, réduction obtenue grâce à l’option prise par la Ceni de recourir à un dispositif d’impression in situ de bulletin de vote par chaque électeur, avant de le glisser dans l’urne », a argué le président de la Ceni pour justifier le recours à la machine à voter.

Si le groupe africain a une fois de plus essayé de faire bloc derrière la RDC, notamment en soutenant la position de la Ceni, les États-Unis ont clairement souhaité que « l’option machine à voter » soit abandonnée. Avis plus nuancé de la part des Pays-Bas qui ont exigé des « tests rigoureux » de ce dispositif technique avant les scrutins.

La décrispation politique, un dialogue de sourds 

La France a quant-à elle insisté sur « les deux clés » pour la réussite du processus électoral en cours en RDC : « La confiance fondée notamment sur la transparence dans l’organisation des élections » et « le climat électoral ». Celle-ci implique, selon l’ambassadeur François Delattre, « le retour à l’esprit du consensus dans la mise en oeuvre pleine et entière de l’accord de la Saint-Sylvestre ».

« Pour que les résultats de ces élections soient acceptés par tous, il est essentiel en effet qu’elles puissent se tenir dans un climat ouvert et apaisé où tous les candidats puissent se déclarer et faire campagne librement et sans craindre des représailles », a précisé le diplomate français, insistant sur l’adoption des mesures de décrispation politique en RDC telles que prévues par le compromis politique du 31 décembre.

Kinshasa sera-t-elle prête, par exemple, à résoudre le cas de Moïse Katumbi, candidat déclaré à la présidentielle mais contraint à l’exil depuis près de deux ans ? On en est encore loin, à en croire les propos de She Okitundu. Le chef de la diplomatie congolaise n’a pas hésité à qualifier de « réflexe pavlovien » l’insistance de certains partenaires internationaux dans le dossier relatif à la décrispation politique en RDC. « Cependant, des discussions sont en cours entre le CNSA, le ministre de la Justice et la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) pour trouver des solutions à certains cas », a-t-il conclu.

Leave a comment

Your email address will not be published.


*