Des jeunes congolais apolitiques !

 »Le peuple gagne toujours » R. MUKENDI TSHIMANGA

Le samedi dernier (03 mars 2018), j’ai eu la chance de participer à une conférence organisée par certains mouvements de la jeunesse congolaise. Quel bonheur ! J’ai chanté  »le nunc dimitis » en me rendant compte que la relève de notre lutte commune pour un Congo plus beau qu’avant est assurée. A quelles conditions ? Il y en a plusieurs. L’une d’elle est que notre jeunesse doit maîtriser notre histoire et être en permanence consciente de la guerre perpétuelle menée contre notre pays. Une autre est qu’elle doit savoir que cette guerre apporte son lot d’abrutissement et d’ignorance ; que les mots qu’elle porte peuvent avoir une charge idéologique déroutante.

Les mots ne sont pas toujours innocents. Ils peuvent avoir une charge idéologique très prononcés.

Se déclarer apolitique devrait exiger que l’on commence par définir ce que l’on entend par la politique. Ce mot, dans la bouche de plusieurs compatriotes congolais, a une connotation péjorative. Il évoque  »le Tshididi », c’est-à-dire un ensemble des coups fourrés donnés dans le dos du peuple pour le rouler dans la farine et avoir accès à la mangeoire des dominants ou des privilégiés.

Cette connotation péjorative l’apparente à tout ce qui est mensonge, ruse, trahison, etc. Elle est tellement incrustée dans les cœurs et les esprits de plusieurs compatriotes qu’ils froussent à l’idée d’être traités de  »politiciens ». Ils ne veulent pas qu’on leur dise qu’ils font de la politique. Le  »Tshididi » est profondément marqué par un certain machiavélisme. Et il semble être le domaine réservé aux  »carriéristes politiques », eu égard à leur grande capacité de  »dribbleurs » !

Quand des jeunes congolais engagés dans la lutte pour un Congo plus beau qu’avant se disent  »apolitiques », ils semblent avoir peur d’être proches de ces  »carriéristes » (qu’ils plébiscitent, par ailleurs!). Là, il y a un problème.

Il est possible de choisir, d’opter pour une politique qui soit l’art de participer, en conscience et par des actions volontaristes, à l’édification de sa cité, de son  »katunga ». Ici, ce qui importe au citoyen ou à la citoyenne, c’est de participer, de délibérer, de décider avec les autres sur les principes, les valeurs et les orientations à donner à cette cité  » ciota »,  »katunga » ou  »ditunga » afin d’en faire un lieu du bien-vivre. Cette possibilité est assumée dans nos bidonvilles et villages à travers le  »looso », les  »masambakanyi » ou le  »kinzonzi ». Il est donc curieux que des jeunes se réunissant régulièrement pour débattre des principes et des orientations à donner à leur pays puissent se déclarer apolitiques.

Ils relativisent le pouvoir dont ils sont détenteurs en tant que citoyens. Souvent, au cours des marches pacifiques (faisant partie de la mobilisation et de la lutte politique), ils sont sur la première ligne. Ce sont eux que les milices du trio  »KA » (Kaguta, Kagame, Kabila) vise et tue. Tout en luttant politiquement et cela même au prix de leur vie, ils se disent apolitiques. Là, il y a un problème !

Ils se sentiraient bien, c’est une hypothèse, dans la peau de ceux dont la mort va provoquer les négociations entre  »les carriéristes » ou l’intervention de la communauté occidentale ayant fait de la guerre une opération culturelle d’abrutissement des masses et une opération économique rentable !

Là, il y a un problème. Le poids idéologique de l’apolitisme de nos jeunes pourrait participer de l’ignorance produit par l’hégémonie culturelle dominante.

Et ils auraient intérêt à s’en départir en apprenant. Surtout en apprenant que la politique est  »une action collective organisée conforme à quelques principes, et visant à développer dans le réel les conséquences d’une possibilité refoulée par l’état dominant des choses. » Eu égard à cette approche,

ils auraient un avantage réel à  »tenir un point », à tirer, dans le réel congolais, toutes les conséquences possibles et imaginables de la conviction de Rossy Mukendi Tshimanga selon laquelle  »le peuple gagne toujours ». Cela serait une façon courageuse de lui rester fidèles par-delà les bruits de la vidéosphères.

Affirmer courageusement que  »le peuple gagne toujours » et se penser apolitique est une flagrante contradiction. C’est, à mon sens, poser les alliances entre les différentes organisations des jeunes et des adultes et les principes pour un Congo plus beau qu’avant comme la base de tout axé au pouvoir au Congo-Kinshasa. C’est renverser l’ordre des choses en faisant des organisations de la base les lieux privilégiés de la légitimation et de la légalisation du pouvoir politique ; sans carriérisme. Il y va du renversement de la pyramide hiérarchique. C’est  »le peuple d’abord ». C’est lui qui dicte les valeurs, les principes et les orientations après débat et délibération ; et il investit quelques personnes de son choix de les porter et des défendre contre vents et marées. Ce n’est plus un  »carriériste lambda » qui échafaude  »un programme de gouvernement » ou  »un projet de société » et le présente afin de solliciter le suffrage du peuple. Non. Les choses sont inversées. C’est  »le peuple d’abord ».

Mais un peuple éduqué, info-formé et instruit. Car, comme le disait si bien Condorcet,  » plus un peuple est éclairé, plus ses suffrages sont difficiles à surprendre. […] Même sous la Constitution la plus libre, un peuple ignorant est esclave. »

Jeunesse congolaise, essaie de tenir compte du poids idéologique des mots. Essaie de rompre avec ton  »apolitisme ». Ne verse pas ton sang pour que  »les carriéristes politicards » aillent à la mangeoire. La politique, au sens noble du mot, est un art ayant des principes pour une action collective émancipatrice. Evite d’en avoir peur.

Pour lutter contre la charge idéologique des mots dans ton Congo natal, un dictionnaire est mis à ta disposition :  »Ingeta. Dictionnaire pour une insurrection des consciences ».

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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