En mémoire de Michael Sharp et Zaida Catalán, tués au Kasaï le 12 mars

par Christoph VogelMembre du Groupe d’Experts sur la RDC en 2016 et 2017, Christoph Vogel travaille depuis 2008 en tant que chercheur sur les dynamiques de conflit en Afrique centrale.

Un an après l’assassinat des experts de l’ONU pour la RDC Michael Sharp et Zaida Catalán, leur ex-collègue revient sur la difficile quête de la vérité dans cette affaire nébuleuse. Il rend aussi hommage à leur professionnalisme, leur humanité et leur amour pour ce pays.

Tribune. Il y a exactement un an, le 12 mars 2017, alors qu’ils se trouvaient au Kasaï en train d’enquêter sur des violations du droit international humanitaire, Michael et Zaida – mes collègues au sein du Groupe d’experts de l’ONU sur la République démocratique du Congo – furent capturés près de Kananga au Kasaï. Vers 17 heures ils étaient assassinés dans un piège préparé et filmé. C’est un crime inédit, autant pour son cynisme profane que son symbolisme politique. Les auteurs de cet assassinat prémédité restent inconnus.

Des investigations sans résultat

Après la découverte des corps des deux experts, fin mars, les Nations unies ont lancé un comité d’enquête (Board of Inquiry) afin de faire la lumière sur les circonstances de leur double meurtre. En août, le secrétaire général Antonio Guterres a reçu le rapport dudit Board qui a très vite fuité. Malheureusement, ce rapport ne contient aucune preuve, ni sur les auteurs, ni sur le déroulement du crime. Les pages de ce rapport sont en revanche pleines de suppositions étranges et infondées ainsi que d’insultes implicites envers les victimes, qui ne peuvent pas se défendre. Autrement dit, ce Board n’était pas soumis aux « standards de preuve » imposés aux rapports du groupe d’experts.

La justice congolaise s’est ensuite mise au travail – perturbée par certaines sorties médiatiques qui ne méritent pas d’être commentées. Elle a depuis été rejointe par un mécanisme de suivi onusien, à l’automne 2017. Ces investigations n’ayant eu aucun résultat final, les enquêtes de Radio France Internationale (RFI) et Reuters restent, un an après et malgré de nombreuses questions restées en suspens, les seules tentatives systématiques de répondre aux questions « comment », « pourquoi » et « qui ».

Ils étaient animés par des valeurs de solidarité, d’humilité et par un amour profond pour les Congolais et le Congo

Au-delà des tractations politiques, juridiques et policières – et bien que les familles de Michael et Zaida ont forcément le droit indéniable de connaitre la vérité – ce 12 mars est plus que tout un jour de commémoration. Cette commémoration ne devrait pas s’inscrire dans la logique d’un traitement particulier (un danger omniprésent dans notre monde inégal) par rapport aux innombrables morts congolais de ces 25 dernières années.

Michael et Zaida n’auraient d’ailleurs pas voulu d’hommage privilégié. Ils étaient animés par des valeurs de solidarité, d’humilité et par un amour profond pour les Congolais et le Congo, pays qui a souffert, bien plus que d’autres, du racisme et du chauvinisme de ce monde. Cet amour se manifestait, par exemple, dans l’admiration des merveilleuses collines kivutiennes que je partageais avec Zaida, ou – entre autres – le plaisir de partager le plat habituel de « pondu » avec Michael. Cela s’exprimait également dans leur vigoureux refus à tous les discours cyniques et péjoratif qu’une frange des expatriés pouvait tenir sur le Congo et les Congolais.

Impartialité et estime au-delà des clivages

Elle était suédo-chilienne, écologiste et avocate de droits humains ; il était Américain, mennonite [église chrétienne protestante, NDLR] et ardent pacifiste. Tous deux combinaient des valeurs aussi rares qu’incontestées, dans leur travail au quotidien comme dans leurs relations aux autres. D’autant plus rare qu’ils n’étaient pas « terriblement mal préparés », contrairement à ce qu’a pu écrire le prestigieux New York Times dans un moment d’égarement mental rare.

Au contraire, Zaida était une spécialiste en droit très demandée, qui avait précédemment effectué des missions en Palestine ou encore en Afghanistan, Michael était l’un des promoteurs les plus avisés de la démobilisation de combattants de l’Est du Congo depuis des années et par ailleurs un des meilleurs analystes des FDLR, groupe armé rwandais notoire dans les Kivus.

Depuis leur disparition, j’ai reçu des messages et appels de personnalités aussi diverses que des membres du gouvernement et de l’opposition, des officiers de l’armée congolais et des responsables miliciens, des Congolais riches et pauvres, des femmes comme des hommes. C’était la preuve, s’il en fallait, de leur impartialité et de l’estime dont ils bénéficiaient par-delà tout clivage. Gardons leur mémoire en nous rappelant de ce qu’ils étaient, et des valeurs qu’ils représentaient. Ils ne méritent pas moins.

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