Ce que la justice reproche à Vital Kamerhe et compagnies

Politico.cd

Placé en détention à la prison centrale de Makala où il a passé une deuxième nuit jeudi 9 avril 2020, Vital Kamerhe se trouve au cœur d’un véritable scandale judicaire révélé à POLITICO.CD par des sources judiciaires exclusives. Récit d’une grosse affaire.

La chute. Celle d’un homme. Emporté par le vent, attiré par la pesanteur. Il finit par s’écraser. Étalé sur la chaussée, crâne fracassé. Le corps gît, là, par terre, dans le sang, sans vie. Il vient d’effectuer une chute. Vertigineuse. Du haut d’un immeuble. Au centre-ville de Kinshasa. Dans la Gombe. Le jeune, Yezza Mutama, ancien cadre d’une société minière et ancien directeur financier de Vodacom Congo, est là, alongé par terre. Il n’a pas survécu.

Ce dimanche 9 février 2020, aux environs de 19 heures, Mutama eu la malchance de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Thomas Makwala croit alors le surprendre en excellente compagnie de son épouse, Pamela Kabakele Makwala. Dans cet appartement de l’Immeuble Mercure, qui appartiendrait à la première banque commerciale en RDC, Rawbank, un drame social a lieu…

L’histoire veut que Pamela Kabakele Makwala soit une jeune Congolaise, cadre de la Rawbank très proche du Directeur général de l’époque, le banquier belge Thierry Taeymans. Dans une guéguerre familiale inexpliquée, elle aurait alors séché le domicile conjugal et se voir être logée dans cet immeuble par son patron, le DG Taeymans, en tout cas, selon plusieurs sources. Son mari, Makwala, impuissant face à la rébellion de sa femme, reçoit alors une alerte, que cette dernière se trouverait, ce dimanche-là, dans l’appartement, avec un « concubin ». Mais, Yezza Mutama n’en serait pas un. Un ex seulement. Trop tard ! Makwala est à l’entrée, accompagné de sa sœur, qui aurait « vendu la mèche ». Celle-ci sonne à la porte. Comme un lion, le mari surgit et constate les dégâts : sa femme est devant lui et dans l’appartement, le nouvel homme présumé de sa femme.

Mukwala fonce sur Mutama, qui finit donc étalé par terre, après une immense chute. Le noir total. Des sources divergent. Kinshasa prend le buzz. Le raconte à sa façon. L’affaire termine en justice. Le couple est aussitôt mis aux arrêts, gardé dans un commissariat avant d’être, le lendemain, présenté à un juge du tribunal de Grande Instance de la Gombe saisi, où l’affaire a été traitée en procédure de flagrance.
«Par ce motif, … le tribunal requalifie la charge de meurtre pour Thomas Makwala et non-assistance à personne en danger pour Pamela Kabakele Makwala». Le tribunal condamne Thomas Makwala à dédommager la famille de sa victime à hauteur de 200.000 USD.

Pamela Kabakele Makwala, le trait d’union d’un scandale judiciaire

Le drame terminé, le Congo découvre Pamela Makwala, dans ses liens avec le Directeur général de la Rawbank. Mais, la dame avait déjà fait la Une dans une autre période. Quelques mois après l’arrivée de Félix Tshisekedi au pouvoir, un scandale éclate :15 millions de dollars, qui revenaient aux pétroliers, payés par le Trésor public, disparaissent.

Au cœur de cette saga, la « ParSec » du grand patron de la Rawbank dévoile ses liens avec la ravissante épouse du DirCab du Président de la République, Vital Kamhere Lwa Kanyiginyi Nkingi. Selon des vidéos postées sur YouTube, Pamela aurait été invitée par Amida Shatur Kamerhe à son domicile et qui lui aurait remis une somme en cash de 350.000,00 USD à déposer sur le compte Amida ouvert à la Rawbank. Mais, l’argent ne serait jamais arrivé à destination. Les démentis viendront éteindre ces rumeurs que seule la capitale congolaise en a le secret.

Mais, Kinshasa ne ment jamais loin de la vérité. Dans le fond de cette saga, des liens très intimes entre Pamela Kabakele et le couple Kamerhe sont établis. Par la même occasion, la haute direction de la Rawbank se lie alors profondément aux Kamerhe.

Puis, vint une chute. Celle-là reste plus tôt dans l’image. Au Parquet de Matete à Kinshasa, la journée du mercredi 8 avril 2020, qui avait commencé tout doucement, a fini en calvaire pour Vital Kamerhe. Le Directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi voit la justice lui imposer une détention provisoire après 6 heures d’audition. Dans la soirée, des images insolantes sont diffusées sur les réseaux sociaux. Le puissant Direcab est transféré à Makala, devant son épouse en sanglots. Mais, à Kinshasa, friand du buzz et des rumeurs, nul n’arrive alors à percer le mystère. Le pourquoi d’une chute spectaculaire.

Derrière cette chute, l’histoire de fonds publics et d’un programme de 100 jours. En effet, à son arrivée au pouvoir, le président Tshisekedi prend la bonne idée d’initier un programme de 100 jours. Dans le volet « Habitat » du Programme, il est alors prévu la construction de 1500 logements sociaux dans 5 villes du pays, dont Kinshasa (à Maluku), Bukavu, Mbuji-Mayi, Kananga et Kongo Central, à raison de 300 maisons par ville. Toutefois, quelques semaines auparavant, une lettre signée de la main de Vital Kamerhe, au nom du Président Tshisekedi, suspend toutes les mises en place et même les dépenses au sein des institutions publiques. Seule la Présidence autorise donc les décaissements. Dans ce programme de 100 jours, le Directeur de cabinet du Chef de l’État, Vital Kamerhe, mène ainsi la baraque, soutenu par une cellule dirigée alors par l’ambassadeur itinérant du président, Nicolas Kazadi, au titre de Coordonnateur.

Cependant, dans les faits, c’est bel et bien le Direcab, puissant allié du Chef de l’État, que Kinshasa ose appeler « Le coach », « l’autre président », qui décide de tout, sous une supervision supposée de Félix Tshisekedi. Dès lors, le marché des maisons, comme la quasi-totalité des marchés autour du programme, est vite confié, sans appel d’offres et sur décision unilatérale, aux sociétés Samibo Congo Sarl et Husmal Sarl, pour un coût total de 57,7 millions de dollars.

Des millions introuvables

Rapidement, ces marchés inquiètent les organisations de la société civile en RDC. D’abord, non seulement que ces contrats sont trop importants pour être signés de gré à gré, ils sont surtout exorbitants (19 000 dollars la maison en préfabriqué) et, aussi, attribués à deux sociétés récentes créées par le même gérant.

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La première, Samibo Congo, date d’août 2018, tandis que la seconde, Husmal Sarl (capital social de 9.000 USD), a finalisé le processus de sa création le 25 avril 2019.
À noter que les deux sociétés, appartenant à une même personne, ont des objets sociaux d’une troublante similitude. Ainsi, 55 jours après la création de Husmal Sarl, soit le 20 juin 2019, le Directeur de cabinet du Chef de l’Etat, Vital Kamerhe, saisit le Directeur général de la Direction de contrôle des marchés publics aux fins de l’obtention d’un avis de non-objection en vue de l’exécution, en procédure de gré à gré avec la société Husmal Sarl.

En accompagnement de la lettre, une facture de la société Husmal Sarl indiquant, sans trop de détails, 1.000 maisons préfabriquées pour policiers au prix de 19.000 USD la pièce (Total : 19 millions USD) et 2.000 autres pour les militaires valant également 19.000 USD la pièce (Total : 38 millions USD). Coût global du marché : 57 millions USD. Le hic, dans ce marché spécifique, est que si cette procédure de gré à gré peut trouver prétexte sur les dispositions de l’article 27 du manuel de procédure accompagnant la loi relative aux marchés publics comme un marché spécial concernant la défense nationale, la jeunesse de l’entreprise bénéficiaire faisait tomber la procédure sous le coup de l’article 23 de la loi portant marchés publics en RDC, en ce qu’elle ne dispose pas de qualification évoquée dans cet article pour accéder à un marché public, surtout de cette importance.

Samih Jammal, un repris de justice étroitement liés des Kamerhe

Autres détails troublants : Samih Jammal est connu dans le milieu pour avoir participé à plusieurs projets similaires à l’époque du régime Joseph Kabila. Mais, cet homme traîne plusieurs casseroles derrière lui. Il est cité par le Centre américain de recherche “the Investigative project on terrorism” pour financement du terrorisme. Il est épinglé pour des opérations frauduleuses de plusieurs millions de dollars comportant des préparations pour bébés volés et du blanchiment d’argent aux États-Unis et au Liban.
En 2005, il a été condamné pour plusieurs crimes par la United States District court of Arizona. Il était poursuivi, notamment, pour violation de titre et plusieurs crimes économiques par le juge de district Frederick J. Martone.

Le président Félix Tshisekedi commence alors à douter de l’exécution de son programme. Rapidement, il ordonne au Procureur général, nouvellement nommé, de se saisir du dossier. Des enquêtes s’ouvrent. Rapidement, Samih Jammal atterrit en prison. Mais, le 2 mars 2020, le vieil l’homme profite d’une visite des officiels à la prison centrale de Makala pour clamer son innocence. “Je suis dans ce pays depuis 52 ans. Mon âge est 82 ans (…). Je suis ici parce que je suis innocent“, dit-il dans une vidéo.

C’est alors que toute la saga rejoint Vital Kamerhe. D’abord, l’arrestation du Directeur général de la Rawbank, Thierry Taeymans, dont les liens avec le directeur de cabinet du Chef de l’État congolais sont établis au début de notre récit. À Makala, avant sa libération, le Parquet de Matete finira par percer le mystère. Un juge raconte à POLITICO.CD sous le sceau de l’anonymat.

Obedduciel tshitèngàa@obedduciel

:je ne mange pas,je ne dors pas,incarceré…
le libanais Samih jammal lance un cri de detresse!@PrimatureRDC @USAenFrancais

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D’abord, un paiement. Celui de Henry Yav, ordonné par Vital Kamerhe. Alors ministre des Finances, il doit payer 57 millions USD pour ce projet de maisons fabriquées aux deux sociétés de Samih Jammal qui, en réalité, n’existent que sur papier. Impossible de les envoyer à Rawbank, où le compte Samibo Congo est bloqué à la suite d’un projet de crédit. « L’argent atterrit à Ecobank. Mais, la banque Ecobank, beaucoup plus sérieuse, refuse d’activer le transfert. Le bénéficiaire ne pouvait pas justifier comment un tel montant pouvait être transféré vers son compte personnel, alors qu’il est destiné à ses sociétés », explique notre juge.

C’est alors que Pamela Kabakele Makwala entre en jeu. Etant le trait d’union entre les Kamerhe et le DG de la Rawabank. « Les 57 millions atterrissent à Rawbank qui paie dans la journée en liquide 37 millions, grâce aux influences de Palema, qui n’est autre que gestionnaire du compte d’Amida Shatur à la Rawabank », explique le juge. Problème, la justice congolaise ne voit que du feu. Le Parquet de Matete ne trouve alors que les traces de 3 millions de dollars. « Nous sommes face à des hommes qui se sont coalisés pour saigner le pays. C’est inadmissible », s’indigne notre juge.

C’est ainsi que Vital Kamerhe se trouvera à Makala, au cœur donc d’un dossier où des millions de dollars auraient disparu. Ses avocats crient cependant à un « montage », dans le but de se débarrasser de leur client. Car, Vital Kamerhe a signé un accord de coalition avec le président Félix Tshisekedi, qui exige à l’actuel Chef de l’État de soutenir la candidature de son directeur de cabinet à la Présidentielle de 2023.
Aux révélations des sources de POLITICO.CD dans ce dossier, les avocats de Vital Kamerhe et même ses proches bottent en touche. « C’est un véritable film d’action », estime un député. Aucune réaction officielle. Même situation du côté de Thierry Taeymans, qui a perdu, depuis, son poste de Directeur général à la Rawabank, à la suite de sa libération sous conditions.

La justice poursuit, néanmoins, son instruction. Plusieurs personnes y sont convoquées, y compris, d’après plusieurs sources, l ‘épouse de Vital Kamerhe, Amida Shatur. Le désormais ex-DG de la Rawbank devrait également revenir au Parquet pour une « confrontation ». Pamela Kabakele est à Makala depuis son arrestation dans son dossier de mœurs.

De son côté, le président Félix Tshisekedi s’est isolé dans l’est de Kinshasa, à sa résidence de la N’sele depuis le début de la semaine. Il doit réfléchir à la suite des événements. S’il n’a pas souhaité intervenir dans la saga judiciaire, plusieurs de ses conseillers, proches de Kamerhe, et des officiels membres du gouvernement ont pris position, soutenant leur président de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC). Une prise de position qui menace l’alliance Cap pour le Changement (CACH) d’implosion. Le Chef de l’État congolais doit également trouver un autre Directeur de cabinet. Car, Vital Kamerhe, qui a passé son deuxième jour à Makala, ne peut plus revenir. La saga judiciaire continue. Cependant, les dessous des cartes commencent de plus en plus à être dévoilés.

Litsani Choukran.

 

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