Une idéologie et des enjeux géostratégiques sérieux au Congo-Kinshasa. Il y a 60 ans déjà !

Dans plus ou moins un mois, le Congo-Kinshasa pourra célébrer les 60 ans de son indépendance formelle. Depuis l’assassinat de son Premier ministre, ce pays connaît à la fois une crise politique perpétuelle et une crise de sens qui ne dit pas son nom. Qui dit sens, dit signification, direction, orientation en vue d’un horizon humanisant dans un monde où certaines voies ne mènent nulle part.

Lumumba et les lumumbistes avaient une idéologie sur laquelle ils voulaient fonder leur pays en vue de l’orienter vers des lendemains qui chantent.

Depuis l’assassinat de ce Premier ministre par les forces dominantes du capital, le Congo-Kinshasa est plongé dans une peur existentielle déroutante, désorientante.  »Les partis politiques » peinent à donner une direction humanisante à ce pays et une véritable lisibilité collective. Tous ou presque prônent  »le néolibéralisme néocolonisé » en positionnant  »leurs gourous » comme étant de  »bons gardiens » des intérêts des forces dominantes du capital.

Relire certains livres d’histoire écrits sur cette période de l’accession de notre pays à son indépendance formelle peut participer de la réorientation du pays sur des chemins de  »la vie vivante ». Depuis quelques mois, j’ai choisi de relire Jules Chomé et Ludo De Witte et bien d’autres auteurs pouvant apporter leur pierre à l’édification d’un Congo et d’un monde nouveaux.

Avant de publier son livre intitulé  »L’ascension de Mobutu. Comment la Belgique et les USA ont installé une dictature » (2017), Ludo De Witte a pris le temps de lire Jules Chomé, défenseur de la cause lumumbiste. Celui-ci a écrit  »L’ascension de Mobutu. Du sergent Joseph Désiré au général Sese Seko » (1974). Ludo De Witte tenait à faire toute la lumière sur l’assassinat du Premier ministre congolais en récusant  »l’histoire officielle ». En plus de Jules Chomé, il a fouiné dans certaines bibliothèques privées en Belgique. Il a consulté certaines mémoires et les archives de l’ONU. Il s’est aussi rendu au Congo-Kinshasa en vue d’échanger avec les politiciens actifs au moment où Lumumba est assassiné.

Au cours de ce passage au Congo-Kinshasa, Ludo De Witte a donné une interview au journal  »Le Potentiel » (du 10 janvier 2011). Cette interview résume, entre autres, les lignes essentielles de l’idéologie lumumbiste, révèle les enjeux stratégiques auxquels le pays a eu à être confronté quelques semaines après son accession à l’indépendance formelle et prodigue quelques conseils pouvant aider le pays à ne pas sombrer dans le fatalisme.

Ludo De Witte croit que l’approche lumumbiste du nationalisme n’était pas incompatible avec les intérêts des autres pays (étrangers). Que voulait Lumumba. « Je crois, dit-il, que le nationalisme conçu par Lumumba était une tentative de mobiliser la population, d’avoir une autre organisation d’un peuple, d’inculquer et de stimuler la fierté, le dynamisme, la confiance en soi dans ce peuple. Et sur base de tout ceci, prendre en mains son propre sort. C’est l’essentiel du nationalisme de Lumumba. Il s’agit de développer le pays pour en faire un Etat-nation intégré. Il n’est pas question seulement de construire des routes, comme à l’époque coloniale, qui servaient à transporter les richesses du pays vers le marché mondial mais de développer vraiment le pays, intégrer les différentes régions et développer une sorte d’économie nationale. Cela implique, à mon avis, une certaine forme de nationalisme pour relever cette économie nationale. Mais il est clair que c’est avec le monde extérieur qu’il faut développer ce nationalisme. Je ne crois pas qu’il y ait contradiction. »

Il ajoute : « Mais si on ne développe pas ce nationalisme, si on n’a pas ce rapport de forces à l’intérieur du pays, je crois qu’on est un peu à la merci du capitalisme international. Et cela au détriment du peuple congolais. » A ses yeux, négocier des contrats avec le monde extérieur, c’est bien. A condition que les populations en soient informées. Et Il continue : « C’est bien qu’on construise des routes, des hôpitaux, etc. J’espère que, dans ces contrats, on a prévu aussi, par exemple, la construction d’une industrie nationale locale. Il ne suffit pas de construire une infrastructure mais qu’on ait également ici un secteur secondaire où on va traiter les matières premières, comme début du développement d’une économie nationale. »

Hélas !Bien que n’étant pas incompatible avec les intérêts du monde extérieur, le nationalisme lumumbiste fut combattu par les forces dominantes du capital ! Elles voulaient, à tout prix, contrôler les richesses du pays. Pour elles, pense Ludo De Witte, les richesses du Congo-Kinshasa sont des matières premières tellement stratégiques qu’elles ne devraient pas être laissées entre les mains des Congolais et des Africains. (Cette approche est semblable à celle qu’elles ont du pétrole. Il est un produit stratégique ne devant pas être laissé entre les mains des Arables.) « Et quand il y a des dirigeants nationalistes qui veulent vraiment prendre en mains leur propre destin et mettre à la disposition des Congolais et des Africains leurs richesses. Alors, ils réagissent. Et c’est ce qu’ils veulent éviter. C’est vrai pour ce qui s’est passé en 1960 et pour ce qui se passe aujourd’hui. »

En lisant attentivement l’interview de Ludo De Witte, il y a lieu de souligner que le Congo-Kinshasa de Lumumba fut porté par une idéologie émancipatrice des forces dominantes du capital bien qu’étant au cœur des enjeux stratégiques importants. Ces forces dominantes anti-souverainistes et anti-nationalistes n’ont pas permis à cette idéologie de s’incarner dans le quotidien des Congolais(es). En sus, elles ont combattu l’éclosion d’ un Etat-nation économiquement indépendant et libre au cœur de l’Afrique. Et ailleurs…

Un petit constat. L’interview fait uniquement allusion aux Arabes, aux Congolais et aux Africains. Elle ne semble pas être attentive à la guerre que les mêmes forces dominantes du capital mènent contre les nationalistes et l’Etat-nation ailleurs. En France, par exemple,elles ont combattu le nationalisme de De Gaulle et cherché à rompre son alliance avec l’armée.

 »Internationalistes » et/ou  »globalistes », ces forces dominantes organisent  »leur croisade » juste après la deuxième guerre mondiale (et même avant). Trois livres peuvent être lus pour approfondir cette question : P. et D. DE VILLEMAREST, Faits et chronique interdits au public. Tome II. Les secrets de Bilderberg (2004), PH. DE VILLIERS, J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu (2019) et V. BUGAULT, Les raisons cachées du désordre mondial. Analyses géopolitique, économique, juridique et monétaire (2019) Donc, la guerre contre le nationalisme et l’Etat-nation est, depuis longtemps  »globalisé ».

Comprendre cela est important pour les chercheurs  »non-fatalistes » d’issues à cette  »croisade ». Pour Ludo De Witte, par exemple, la construction d’un rapport de forces interne au Congo-Kinshasa est indispensable. Il estime que « c’est très important de ne pas se décourager. La question la plus fondamentale est qu’il faudrait entreprendre un programme et une action nationalistes. Mais, pour avancer dans cette direction, il faut construire un rapport de forces. Il ne faut pas seulement agir sur base d’un politicien – bien qu’il soit charismatique- mais qu’il faut construire un rapport de forces avec les leaders de la société, mobiliser la population, élaborer une direction politique collectiviste où les dirigeants sont en quelque sorte remplaçables. Je crois que c’est important. Il faut construire ce rapport de forces pas à pas et non (…) en brûlant les étapes. »

Comprendre que la guerre des  »globalistes » est mondiale peut aider à ajouter une dimension externe à la construction de ce rapport de force interne. Pour dire les choses autrement, le rapport de forces interne à bâtir patiemment a besoin de la solidarité mondiale pour se consolider ; d’un partenariat géopolitique et géostratégique diversifié sur fond d’un panafricanisme des peuples.

Il devrait être porté et construit par un leadership collectif ayant de la voyance , capable d’actions collectives lisibles et de se méfier des  »huissiers du capital » coachant actuellement  »les gourous » des  »partis politiques » nécolonisés. Ce leadership collectif jouant le rôle du levain dans la pâte des masses populaires relisant notre histoire collective devra tracer une autre voie différente de celle des  »fantoches » et des  »compradores » jouant le rôle des gardiens des matières premières brutes pour les forces dominantes du capital. Tracer une autre voie réconciliant les souverainistes de tous bords avec des forces de sécurité républicaines (professionnelles) et capables d’alliance patriotique avec les masses populaires.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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