Etudier et/ou renouveler les courants de pensée kongolais et africains contre le culte de la personnalité

 »L’autorité ne donne pas la connaissance » (D.R.)

Dans notre jeunesse, aux cours de la littérature africaine ou de la philosophie africaine, nous étudions les courants de pensée africaine et kongolaise. Certains penseurs kongolais comme Mudimbe ou Mabika Kalanda attiraient notre attention par la qualité de leur pensée. Lire  »Entre les eaux »,  »L’odeur du père » (Mudimbe) ou  »La remise en question » (Mabika Kalanda) était une fierté, eu égard à l’apport de ces livres du point de vue de la décolonisation mentale.

La négritude de Senghor et de Césaire,  »L’aventure ambiguë » de Cheikh Hamidou Kane, etc. alimentaient nos jeunes débats et entretenaient en nous le goût de la lecture (critique) et de l’écriture. Nous étudions l’égyptologie de Cheikh Anta Diop ou le socialisme de Nyerere et de Kenneth Kaunda en les comparant.

Un peu plus tard, les pensées anti-colonialistes et anti-impérialistes de Frantz Fanon, de Lumumba, de Thomas Sankara et de bien d’autres ont contribué à questionner notre héritage culturel.

Le panafricanisme de Nkrumah, de Lumumba et de Kadhafi ont fait naître et/ou renaître en nous l’idée de l’unité indispensable de l’Afrique dans un monde où l’union peut faire la force ou la faiblesse. (De ce point de vue, notre compatriote Fweley Diangitukwa a fait un travail remarquable en revisitant cette pensée et en écrivant  »L’Afrique doit renaître » (2016) ; un livre dont les propositions sur l’intégration africaine sont remarquables. Et Patrick Ifonge et moi-même avons abordé la question de la renaissance panafricaine dans notre livre intitulé  »A quand le Congo ? » (2016)

Actuellement, en lisant Achille Mbembe, une pensée postcoloniale se découvre et ses propositions pour  »sortir de la nuit » sont à la fois influencées par l’approche pluricentrée du monde et l’héritage africain.

Plusieurs penseurs et politiciens susmentionnés font partie des  »figures de la révolution africaine ». (Lire S. BOUAMAMA, Figures de la révolution africaine. De Kenyatta à Sankara, Paris, Découverte, 2014)

En dehors du culte de la personnalité, il est quand même assez curieux que plusieurs politiciens actuels et journalistes  »youtubeurs » kongolais ne puissent pas les intégrer dans leurs débats. Ceux-ci manquent de racines historiques. Souvent, ils témoignent de  »la défaite de la pensée » et/ou du  »nihilisme de la pensée ».

Un exemple. Plusieurs de ces compatriotes, actuellement, ne jurent que par le néo ou l’ultralibéralisme sans en étudier (et comprendre) l’histoire et surtout les bases anthropologiques.

Pour rappel, ces courants de pensée économiciste sont influencés par des penseurs et des philosophes réduisant l’humain à sa dimension individualiste, coupé de tous les réseaux de relation d’amour, d’amitié, de coopération et de fraternité. Cette influence est  »dissociale ». Elle considèrent les moyens d’échange comme étant des  »fins » de tout humain et participe de la colonisation du fait politique -dans son rôle d’arbitre de la vie en commun- par le fait économique (et les forces dominantes du capital n’ayant des comptes à rendre à personne en marge de leur  »entre soi »).

Ces compatriotes ne jurant que par  »l’amélioration du climat des affaires » en Afrique et au Kongo-Kinshasa donnent l’impression d’avoir perdu de vue que si l’Afrique  »survit » jusqu’à ce jour, c’est (surtout) grâce à son approche solidaire de l’humain.

La solidarité et le partage entretenus au sein des familles et avec les voisins ; la solidarité et le partage entre ceux qui ont précédé dans l’au-delà et les  »survivants » ; la solidarité et le partage entre ceux qui sont partis du continent et ceux qui sont restés, tel est l’un des secrets de  »la survie » de ce grand continent. Cela, malgré les dérives.

Jadis ces valeurs ont, entre autres, inspiré certains courants de pensée des socialistes africains, des penseurs ou des politiciens. Ils s’enracinaient dans les convictions profondes de ceux qui croyaient que  »donner, partager, c’est bien conserver » (ce qui est donné, partagé) ; de ceux qui disaient :  »kupa nkukudika ». De ceux qui pensaient profondément que la bonté du Muntu se révèle à travers le partage (de feuilles de manioc).  »Bantu, soutenaient-ils, mbimpe tualomba matamba ».

En principe, l’ontogenèse de l’humain conçu comme un être avec et pour soi, pour et avec les autres a une portée universelle. Les modalités culturelles de sa mise en pratique peuvent être différentes selon les orientations idéologiques dominantes. Le néo et l’ultralibéralisme ont réduit cet humain au  »pour et avec soi », à  »l’entre soi » de la super-classe mondiale. Et leur influence est en train de ravager, après l’Occident, l’Afrique contemporaine, au détriment de son héritage culturel et de sa  »survie ».

Il est temps que des penseurs et des philosophes kongolais et africains pensent sérieusement à la revisitation de cet héritage dont ont longtemps dépendu le Kongo-Kinshasa et l’Afrique pour  »leur survie » afin de promouvoir les réflexions et les pensées pouvant sauver le Muntu en tant qu’un être pour et avec soi ; et pour et avec autrui.

Signer, par exemple, des accords du  »libre-échangisme » avec autrui sans des études économiques, historiques, anthropologiques et philosophico-politiques préalables peut se révéler suicidaire pour le Kongo et pour l’Afrique. En fait, c’est accepter d’engager le continent dans  »la guerre de tous contre tous ». C’est un pari fou. Il peut malheureusement être applaudi par les décérébrés, les fanatiques et les paresseux.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

Leave a comment

Your email address will not be published.


*