Lumumba, Frantz Fanon, Macron et l’ONU

« Le passé est effacé, et sitôt son effacement oublié, le mensonge devient la vérité. » G. ORWELL

La société de l’immédiat et de  »la selfisation » de la pensée détruit l’histoire des peuples et leurs mémoires. La lecture et le commentaire instantané des textes et des articles sur les réseaux sociaux peuvent induire en erreur lorsqu’ils les coupent de leur enracinement dans une mémoire historique non transmise. Cela peut faire que le présent soit piégé et/ou ne soit pas très bien compris et que les efforts pour se projeter dans l’avenir soient compromis.

Il y a déjà quelques semaines que les jeunes Kongolais et plusieurs de leurs aînés,  »ces consciences patriotiques éveillées », exigent le départ des forces de l’ONU du pays de Lumumba.

S’ils font de bonnes analyses factuelles de l’incapacitation de ces forces dans  »leur lutte » contre ce qu’elles nomment  »les forces négatives » à l’ est du pays, rares sont ceux qui se rappellent que la Monusco est intervenue au Kongo-Kinshasa en 1999 au moment où Laurent-Désiré Kabila a cherché à coaliser avec les armées des pays africains  »amis » pour  »bouter » l’APR/FPR de Paul Kagame dehors. Elle est venue, en quelque sorte, briser une certaine résistance kongolaise dont certains exploits réalisés en 1998 demeurent incontestables.

Plusieurs jeunes nés dans les années 1990 et n’ayant pas eu le temps de relire cette page de l’histoire kongolaise n’en savent et n’en sauront rien. A moins qu’avec la magie de Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, ils arrivent à regarder les vidéos ayant immortalisé l’année 1998 (en dépit de toutes les critiques raisonnables que pouvant être formulées à l’endroit de Laurent-Désiré Kabila).

Avant 1998, il y a eu Lumumba en 1960. Premier Ministre élu au suffrage universel, arrêté et assassiné, le 17 janvier 1961, au moment où les forces de l’ONU étaient sur place au pays. Elles n’ont pas pu protéger un pouvoir issu des urnes. Pourquoi ?

Lumumba répond : « Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux – qui ont trouvé des soutiens directs et indirects, délibérés et non délibérés, parmi certains hauts fonctionnaires des Nations-Unies, cet organisme en qui nous avons placé toute notre confiance lorsque nous avons fait appel à son assistance – ne l’ont jamais voulu. Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance. »

Donc, aujourd’hui encore, ce que plusieurs d’entre nous pensent être  »l’incapacité » des forces de l’ONU à pouvoir  »libérer » la partie est du pays semble être  »une incapacitation » voulue et entretenue depuis les années 1960 par des forces visibles et invisibles, étrangères et kongolaises, refusant  »son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions » au pays de Lumumba. (Lire mon livre intitulé  » C’est ça Lumumba » (C’est ça Lumumba – #CongoLobiLelo )

Après Lumumba, Frantz Fanon tire les leçons de son assassinat et il estime qu’il avait commis l’erreur de recourir à l’ONU et il se justifie en ces termes : « Il ne fallait pas faire appel à l’ONU. L’ONU n’a jamais été capable de régler valablement un seul des problèmes posés à la conscience de l’homme par le colonialisme, et chaque fois qu’elle est intervenue, c’était pour venir concrètement au secours de la puissance colonialiste du pays oppresseur. » Il cite quelques exemples de ces interventions : le Cameroun, le Vietnam et le Laos et en tire cette leçon : « Il n’est pas vrai de dire que l’ONU échoue parce que les causes sont difficiles. En réalité, l’ONU est la carte juridique qu’utilisent les intérêts impérialistes quand la carte de la force brute échoue. Les partages, les commissions mixtes contrôlées, les mises sous tutelle sont des moyens légaux internationaux de torturer, de briser la volonté d’indépendance des peuples, de cultiver l’anarchie, le banditisme et la misère. »

Aujourd’hui, plus ou moins soixante (60) ans après l’assassinat de Lumumba, les choses n’ont presque pas changé. Elles se sont empirées avec l’entrée en jeu des entreprises transnationales (ETN) et leur usurpation du pouvoir à travers le monde.

Susan George explique cela clairement : « Les ETN interviennent jusque sur la scène internationale. Non contentes d’avoir détourné à leur profit les fonctions exécutives, législatives et même judiciaires de l’Etat, les transnationales mettent à présent le grappin sur les Nations unies. Cette infiltration ne s’est pas faite clandestinement, mais à l’invitation du secrétaire général en personne, par l’entremise du Pacte mondial des Nations unies qui sert les ambitions de la classe de Davos : devenir maître du monde. » Il y a pire : « L’organisme autodésigné pour procéder à ce remplacement des gouvernements par les entreprises est plus connu sous le toponyme de Davos et son programme s’intitule, en toute modestie, Initiative de restructuration mondiale (Global Redesign Initiative, GRI). » (S. GEORGE, Les usurpateurs. Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir, Paris, Seuil, 2014, p.26)

Donc, ce qui se passe au Kongo-Kinshasa depuis  »la guerre de l’AFDL » fait partie de ce projet globaliste. Un  »Young Global Leader » dont le maître est  »le gouverneur de Davos », Klaus Schwab, participe à ce projet. Il s’appelle Emmanuel Macron et est actuellement Président Français.

Il y a deux jours, il a accueilli  »Fatshi béton » et promis  »l’aide de la France » à l’Afrique. Il voudrait que cela soit différent de ce qui a été fait dans les années 1960. Donc, l’Afrique, par l’entremise du disciple de Jacques Attali, Emmanuel Macron, sera impliquée -si elle n’y est pas déjà?- dans le projet de  »La Grande réinitialisation », le  »Great reset » entrepris par  »le gouverneur de Davos ».

De quoi s’agit-il ? « Les démiurges de la post-humanité, écrit Philippe de Villiers, sont à l’ouvrage. Ils prétendent ainsi refaire le monde. Ils entendent non pas seulement réparer mais récréer, reprendre l’ouvrage de création initiale, celle de la première initialisation. Les Grecs avaient un mot à eux pour désigner la démesure, c’était l’hubris. Nous y sommes… » (PH. DE VILLIERS, Le jour d’après. Ce que je ne savais pas …et vous non plus, Paris, Albin Michel, 2021, p. 50-51)

Dans les mois et les années à venir, le Kongo-Kinshasa va être davantage au cœur de ce projet. Ses gouvernants actuels et futurs pourraient être cooptés par  »les maîtres du monde » et les  »Young Global Leader » en fonction de leur soumission aux mondialistes globalisants.

Le fanatisme, l’ignorance, l’abêtissement et l’assujettissement pourraient être mis à profit. Les conflits ethniques et/ou tribaux pourraient être provoqués et/ou entretenus pour cacher cet enjeu majeur : livrer davantage le pays aux  »maîtres du monde ». Les patriotes et les autres résistants souverainistes pourraient être attaqués sur plusieurs fronts au nom de cet enjeu.

En fait, de Lumumba à nos jours, la guerre menée par les forces économiques dominantes se poursuit. L’ignorance de ses enjeux , la falsification de la mémoire collective et le recul dans la lutte en vue de la production des masses critiques sont fléaux que  »les consciences patriotiques éveillées » doivent pouvoir combattre, à temps et à contretemps, si elles veulent que demain se lève au cœur de l’Afrique un Etat souverain et digne. Mais la lutte est très difficile et compliquée… Néanmoins, elle continue…Dans un monde où penser va davantage devenir un crime punissable par la mort, rendre la mémoire historique et collective vivante, écrire et passer le relais, c’est indispensable !

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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