Le Professeur Eddy Mwanzo fait l’analyse critique de la proposition de la « loi de congolais de père et de mère »

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Ph. ACTUALITE.CD

Depuis quelques temps, une proposition de loi défraye la chronique : proposition de loi sur le VERROUILLAGE DE L’ACCES A LA PRESIDENCE ET AUX FONCTIONS DE SOUVERAINETE ou « loi Tshiani » ou encore surnommée de « loi de congolais de père et de mère » par les communs des mortels.

La population s’y est mêlée, la politique s’exhibe, les intellectuels s’interrogent, et même le citoyen lambda essaye de comprendre.

1. Loi éminemment patricide

Cette loi prépare la prise en otage de notre pays, particulièrement par les étrangers, si on n’en prend pas garde.

Tenez, ce caractère éminemment patricide ressort clairement de la lecture de l’article 24 de cette proposition de loi et c’est le cœur même de cette proposition de loi car c’est cet article qui exclut certains congolais de l’exercice de certaines hautes fonctions. On peut y lire «

A la lecture de cet article 24 proposé, on se rend immédiatement compte que l’auteur de cette proposition ignore ou sciemment ignore qu’en droit congolais, et c’est d’ailleurs c’est le cas dans les législations de tous les pays du monde, il y a les nationaux d’origine et les nationaux d’acquisition, in specie, il y a les congolais d’origine et les congolais d’acquisition. Lorsqu’à l’article 24 de cette proposition de loi, il est dit « être de père et mère congolais », cela ne signifie pas être de père et mère congolais d’origine.

Prenons un exemple, un enfant né d’un père rwandais, bon changeons d’un père libanais et d’une mère libanaise qui ont acquis la nationalité congolaise par naturalisation par exemple. J’insiste qui ont ACQUIS la nationalité congolaise avant sa naissance ou pendant sa minorité, cet enfant est congolais de père et de mère. Peut-il briguer la magistrature suprême, quoique né de père congolais et de mère congolaise ? En tout cas, toutes les constitutions que nous avons connues dans ce pays ne le permettent pas ni la loi électorale. Mais la proposition de la loi Tshiani veut l’instaurer. Un danger pour le Congo.

Donc, automatiquement selon cette proposition de loi, même un Congolais d’acquisition, né de père et mère jadis étrangers et devenu Congolais par acquisition de la nationalité, pourra désormais briguer la magistrature suprême ou occuper des hautes fonctions dans ce pays. Progression ou régression ? Même ceux qui n’ont pas fait le droit comprennent. Et on y voit bien l’agenda caché de cette loi contre ce pays. Chers amis tout ce qui brille n’est pas l’or.

2. Une proposition de loi à pyramide renversée ou mieux une proposition de loi entonnoir

La pyramide de Kelsen, proposée par un juriste austro-américain, est une pyramide des normes dont la cohérence est assurée par la conformité de chacune d’elles à celle qui est supérieure.

On a toujours décrié toute tentative de modification de notre Constitution par le biais de proposition de loi.

Or cette proposition de loi vient exactement énerver, ainsi que nous le verrons dans la troisième critique, plusieurs dispositions de la Constitution.

Une loi, organique soit-elle ne peut modifier la Constitution.

L’auteur devrait plutôt initier un projet ou une proposition de loi constitutionnelle. Les juristes appellent loi constitutionnelle, loi qui vient modifier la Constitution, loi qui vient réviser la Constitution.

Et même si l’auteur proposait une proposition de loi constitutionnelle, cette proposition énerverait toujours  la Constitution. D’où sa troisième faiblesse

3. Une proposition de loi anticonstitutionnelle

Cette proposition de loi viole plusieurs dispositions de notre Constitution, spécialement les articles 11, 12, 13, 72, 111,220

Article 220

La forme républicaine de l’Etat, le principe du suffrage universel, la forme représentative du Gouvernement, le nombre et la durée des mandats du Président de la République, l’indépendance du Pouvoir judiciaire, le pluralisme politique et syndical, ne peuvent faire l’objet d’aucune révision constitutionnelle.

Est formellement interdite toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne, ou de réduire les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées.

4. Une proposition de loi Va-t-en Guerre

Cette proposition de loi cache, à mon humble avis, un projet de balkanisation de ce pays. Un projet qui, à coup sûr, divisera les Congolais, particulièrement les Congolais d’origine. Ce qui est un danger pour ce pays ?

On ne peut faire une telle proposition de loi sans jeter un regard sur l’histoire de ce pays.

Ce que Tshiani propose a toujours existé dans ce pays. Comme nous l’avons souligné ci avant, les différents textes de loi qui ont organisé la nationalité dans notre pays sont le fruit de la conception et de la famille et de l’Etat influencée par certaines idées philosophiques.

A. S’agissant de la famille, depuis la colonisation, l’on a pensé que les enfants nés de l’adultère, de l’inceste étaient les enfants du diable qui n’avaient d’autres droits que les droits aux aliments. C’est la conception que l’on retrouve dans le Code civil livre premier.

De même, s’agissant de notre législation, les lois sur la nationalité ont considéré que seuls ceux qui étaient nés d’un père congolais devraient être considérés comme des Congolais. La mère ne transmettait donc pas la nationalité.

Ainsi en 1987, le Code de la famille a estimé que l’enfant né de l’adultère et l’enfant né de l’inceste n’avait pas choisi de naître de telle ou telle situation, ainsi ce législateur décidera que tous les enfants avaient les mêmes droits, qu’ils soient nés dans ou hors mariage.

Parallèlement, le législateur dira que l’on est congolais soit d’un père soit d’une mère congolaise ou encore de deux parents congolais.

B. De même l’on ne doit ignorer toute l’histoire de notre pays sur la nationalité. La transplantation des populations rwandaise et burundaise vers le Congo par la MIB.

Ne pas oublier que l’île Idjwi qui appartenait jadis au Rwanda a été vendue par les colonisateurs au Congo…sur cette île habitaient les populations d’origine congolaise qui par le hasard de l’histoire sont devenus congolais.

C. Enfin, On ne peut perdre de vue que sous le Congo-Belge c’est-à-dire entre 1908 et 1960 les Congolais étaient des Belges- mieux les sujets belges – et que l’on devra clairement expliquer sur quelles bases certains vivant au Congo depuis des générations et des générations, certains ayant au moins un parent congolais, devront être exclus de la nationalité congolaise.

5. Une proposition de loi, prélude à un glissement électoral

Si, il y a bientôt 3 ans, les spécialistes en démographie ont démontré qu’il faut au moins 4 ans pour faire le recensement de la population avant les élections, il y a fort à parier qu’il nous faudra au moins 7 à 10 ans pour recenser les Congolais d’origine, selon les défenseurs de cette loi.

Une telle entreprise exigera de faire appel à une panoplie de spécialistes de plusieurs domaines :

✓ On devra faire appel aux historiens à Nadywell, à Elikia Mbokolo pour qu’ils nous retracent les origines de tous ces peuples qui, aujourd’hui, forment la population congolaise. C’est à travers l’histoire, peut-être; que l’auteur de cette proposition de loi comprendra que les Congolais d’origine actuels sont ceux nés  après l’indépendance, particulièrement le 1er août 1964 avec la promulgation de la Constitution dite de Luluabourg, parce que, avant l’indépendance, même l’auteur de cette proposition de loi était un Belge. Je vous renvoie au Congo –Belge.

✓ On devra faire appel aux médecins, pour examiner l’ADN des Congolais afin de savoir qui descend de qui en vue de découvrir qui descend des vrais Congolais, selon cette loi.

✓ On devra faire appel aux juristes, afin de tracer l’évolution de notre législation en la matière et savoir pourquoi le législateur a aujourd’hui légiféré dans tel ou tel sens. Je dois ici rappeler que ce que monsieur Tshiani propose a déjà existé dans ce pays.

Au finish, on observera que, si on devra réserver ces postes aux seuls vrais congolais, alors dès la prochaine élection présidentielle, et d’ailleurs pour tous les autres postes clés, seuls les PYGMEES devront être candidats car pour eux les historiens sont d’accord que les premiers habitants du Congo sont des pygmées.

Que Conclure ?

Objectivement et honnêtement, je suis d’accord avec l’auteur de cette proposition lorsqu’il prône l’irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine car, comme je l’enseigne, la nationalité est un lien d’esprit. Les Congolais changent de nationalité à l’étranger pour notamment des raisons de papier, de résidence, de travail mais dans l’esprit ils demeurent congolais. La nationalité congolaise est notre âme même.

Mais rien ne justifie que l’on exclue des Congolais d’origine de la jouissance des certains droits et je l’ai démontré ci-avant.

Je suivrais monsieur Tshiani, s’il proposait l’instauration de la binationalité au Congo et proposait qu’on exclue de l’exercice de ces droits les binationaux.

Le Problème du Congo, même pour l’exercice de ces hautes fonctions, n’est pas un problème de nationalité, mais un problème d’homme d’Etat. Un homme d’Etat n’est pas un homme politique.

Un homme politique est celui qui songe et cherche à gagner les prochaines élections alors qu’un homme d’Etat est celui qui songe à l’intérêt des prochaines générations.

Le problème du Congo n’est pas d’abord l’instauration d’un Etat de droit ; on ne peut parler de l’Etat de droit si l’Etat même reste à construire. Commençons par construire ou à reconstruire l’Etat, et l’Etat de droit viendra. On peut bien voter des lois qui excluent certains Congolais, mais si l’Etat n’existe pas, c’est le chaos. Il faut un Etat qui sécurise ses frontières, qui recense sa population, qui met en place les mécanismes d’identification de sa population afin de savoir dès la naissance qui est congolais d’origine.

Je dis et je vous remercie.

Professeur Dr Eddy Mwanzo idin’ Aminye,

Professeur Ordinaire à la Faculté de Droit de l’Université de Kinshasa

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