Le Kongo-Kinshasa et la production de l’intelligence collective

« Car, on l’ a bien compris, je l’espère, la compétition des ego nous abrutit, c’est la discussion des égaux qui produit de l’intelligence. » J. GENEREUX

O. Mise en route

Au Kongo-Kinshasa, produire de l’intelligence individuelle et collective est possible. Des compatriotes l’ayant compris s’organisent différemment de ceux qui ont fait de la compétition politique abrutissante1 leur unique raison de vivre et/ou de mourir.

En effet, la domination du fait économique  »ensauvagé » sur le fait politique au coeur de l’Afrique a tellement corrompu les coeurs et les esprits que la course au pouvoir (os), aux postes de responsabilité et à l’avoir s’organise sur fond d’une matrice dominée par les principes de la concurrence et de la compétitivité ; et souvent, au détriment de l’intérêt collectif.

Une matrice organisationnelle d’une société promouvant la compétitivité et la concurrence finit par produire  »la guerre de tous contre tous » et la survie des  »plus aptes », du 1% au dépens de 99% d’appauvris et d’assujettis.

Des compatriotes semblent avoir compris, au Maniema et à Kisangani, qu’il est possible de procéder autrement, à partir de la base de la société, afin de promouvoir l’intérêt du plus grand nombre. Les souhait serait que les politicards ne puissent pas se servir de ces nouveaux lieux de discussion fraternelle comme de leurs chevaux de Troie.

A Maniema

Selon la Radio Okapi ( 27 décembre 2022), au Maniema, « les confessions religieuses, les représentants de 7 territoires et la plate-forme citoyenne Hewa ya Mashariki acceptent de se réunir du 11 au 12 janvier 2023 à Kindu, dans un Forum pour l’unité, la cohésion et le développement des filles et fils du Maniema. » Le thème de ce forum interpelle : « Unis par le sort d’être frères et sœurs, demeurons unis dans l’effort pour l’unité, la cohésion sociale et le développement de notre pays ».  

Il est fondé sur l’unité et la fraternité comme données historiques -unis par le sort d’être frères et soeurs- en vue d’une unité et d’une cohésion sociale à entretenir et à consolider pour le développement du plus grand nombre, du pays.

Il y a à la base de la convocation de ce forum un constat : les choses vont mal. Et une prise de conscience : il est possible de changer les choses par la discussion. Une discussion inclusive, fraternelle et franche dans un climat de respect mutuel.

En effet, les fils et les filles du Maniema estiment qu’ils « doivent se ressaisir. L’heure de la prise de conscience a sonné. Il est donc temps pour nous de saisir l’opportunité de ce forum pour discuter comme des frères. Ce Forum se veut inclusif, franc, apaisé, réunissant les frères et sœurs autour d’une table dans un climat d’écoute et de respect mutuel pour l’intérêt de tous »,

Des frères et des soeurs réunis autour d’une table peuvent faire de ce dernier un trajet d’apprentissage mutuel pouvant éveiller les intelligences individuelles et produire de l’intelligence collective.

Pour eux, ce qui est censé être important, c’est l’unité, la fraternité, la paix des coeurs et des esprits, le respect mutuel, l’inclusivité, etc. Ici, les ego surdimensionnés cèdent la place aux égaux discutant autour d’une même table. A Kisangani, un forum semblable est prévu un peu avant.

A Kisangani

« Le forum sur l’unité, la sécurité, la paix, la cohésion et le développement l’ex-Province Orientale s’est ouvert ce mardi 27decembre à Kisangani (Tshopo). Cette messe socio-politique réunit plus de trois cents délégués issus de 4 provinces démembrées de l’Ex-Province Orientale. Il a pour objectif de réfléchir sur le sort de l’espace Grande Orientale en ce qui concerne son développement. »

Qui compose ce groupe de trois cents délégués ? « Parmi les délégués figurent notamment des sénateurs, des députés, des hommes d’affaires, des enseignants et des membres de la société civile.  Toutes les différentes couches socio-professionnelles participent à ces assises de 4 jours qui se tiendront en la salle des banquets de la Fourchette boyomaise. »

Un débat y est prévu sur les thèmes semblables à ceux du forum de Maniema : l’unité, la sécurité, la paix, la cohésion sociale, la coopération interprovinciale, la participation citoyenne, etc.

« Geneviève Inagosi, présidente de la cellule de communication de ce forum, déclare que « ceci est un réveil. La   prise de conscience des enfants de l’espace Grande Orientale va faire en sorte que les choses changent ». Car, souligne-t-elle, les engagements qu’ils vont prendre au terme de ce forum ne resteront pas lettre morte. »

Donc, ce forum est  »un réveil », un moment de prise de conscience des filles et fils de la Grande Orientale en vue des engagements à honorer.

En relisant les textes liés à la convocation du forum du Maniema et de celui de Kisangani, il y a lieu de se rendre compte que l’esprit partisan y est absent. Organisés sous la facilitation de deux évêques, François Abeli Muhoya (Maniema) et Marcel Utembi (Kisangani), ces tables fraternelles mettent un accent particulier sur la cohésion nationale.

Changer de matrice organisationnelle et de paradigme

Donc, changer de matrice organisationnelle semble être indispensable au changement de paradigme en politique. Ces lieux d’échanges fondés sur la fraternité, l’unité, la paix, l’inclusivité et le respect mutuel peuvent mieux faciliter les discussions argumentées et la production de l’intelligence collective nécessaire au bonheur collectif partagé que ceux où les fondements compétitifs ensauvagent et abêtissent au nom du pouvoir, de la veulerie et de l’avoir et au détriment de l’être-ensemble.

L’idéal aurait été que les mêmes tables fraternelles se rependent partout au pays, intègre la promotion des intérêts des collectifs citoyens et co-rompent (rompent avec) les politicards véreux, compradores et larbins en quête perpétuelle des postes politiques. Pour cause. Le modèle compétitif auquel ils ont recours peut conduire le pays à l’implosion et à la balkanisation. Le modèle fraternel est meilleur. Il facilite la recherche du consensus et de la cohésion sociale.

Conclusion : multiplier des tables fraternelles

Multiplier ces tables fraternelles, ces lieux  »palabriques », pourrait conduire, au choix des gouvernants, à la base, sans esprit partisan. Il leur serait proposer un mandat impératif et le principe de subsidiarité. Cela d’autant plus que ce modèle fraternel inclusif indique que s’organiser à partir de la base, par-delà l’esprit partisan, est possible.

Ce modèle fraternel pourrait organiser des moments de tirage au sort des citoyens et des citoyennes appelés à former une assemblée constituante et à siéger à l’assemblée nationale.

A mon avis, le modèle fraternel initié au Maniema et à Kisangani devrait faire tache d’huile afin de débarrasser le pays de l’esprit partisan, nuisible au consensus fraternel et à la cohésion sociale. A condition que ses artisans ne se laissent pas prendre, après, au jeu nuisible de la compétition partisane, de la corruption des coeurs et des esprits, au profit des compatriotes ayant fait de la politique  »une profession » à vie.

Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

1Lire J. GENEREUX, La déconnomie. Quand l’empire de la bêtise surpasse celui de l’argent, Paris, Seul, 2016.

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