Campagne électorale et cohésion nationale. Un duo impossible

« Tu es l’électeur, le votard, celui qui accepte ce qui est ; celui qui, par le bulletin de vote, sanctionne toutes ses misères ; celui qui, en votant, consacre toutes ses servitudes. » Albert Libertad

Le Kongo-Kinshasa est un pays en guerre perpétuelle. Un pays en guerre permanente et néocoloniale peut-elle organiser des élections et de bonnes élections ? Telle est la question que des compatriotes kongolais se posent. Ils n’y donnent pas les mêmes réponses. Néanmoins en ce début de l’année 2023, un constat peut être fait. Le début de l’enrôlement des électeurs au Kongo-Kinshasa signifie, pour plusieurs compatriotes et  »leurs gourous politicards », le début de la campagne électorale même si elle n’est pas encore annoncée officiellement. L’ancien paradigme politique a encore la peau dure. Pourtant, il y a quelques jours, au Maniena et à Kisangani, des tables fraternelles et palabriques viennent d’être organisées (Le Kongo-Kinshasa et la production de l’intelligence collective – INGETA ). Elles ont présenté l’avantage d’être des lieux du dépassement possible de la compétitivité abrutissante à laquelle la particratie populicide est systémiquement liée.

Le modèle fraternel sans émules

Malheureusement, ce modèle fraternel de la production de l’intelligence individuelle et collective indispensable à la fabrication de la cohésion sociale et nationale ne semble pas faire beaucoup d’émules au pays de Lumumba. Les majorités populaires sont attirées par l’ancien paradigme de  »la guerre de tous contre tous » orchestré par les partis-politiques-mallettes avides du  »pouvoir-os » et de la vassalité dans laquelle les globalistes apatrides les entraînent aux dépens d’un Etat-nation unifié, solidaire et prospère à bâtir au coeur de l’Afrique.

Les alliances qui se font et se refont au coeur de l’Afrique entre les politicards gagnés par le globalisme apatride dans un monde en train de se  »désoxydentoxiquer » me semblent être annonciatrices d’un futur proche chaotique. Cela au vu et au su des majorités populaires prises en otages par des  »communicateurs toxiques » au service des  »gourous » inconstants et inconsistants. Ces majorités bernées constituent  »un Peuple criminel » ayant perdu de vue, à cause de la régression anthropologique dans laquelle elles sont plongées depuis bientôt plus de trois décennies, leur responsabilité de souverain primaire.

Comment faire pour que ces compatriotes comprennent cette leçon d’histoire : « C’est toi le criminel, ô Peuple, puisque c’est toi le Souverain. Tu es, il est vrai, le criminel inconscient et naïf. Tu votes et tu ne vois pas que tu es ta propre victime ? » Et cette autre : « Tant que tu n’as pas compris que c’est à toi seul qu’il appartient de produire et de vivre à ta guise, tant que tu supporteras, – par crainte,- et que tu fabriqueras toi-même, – par croyance à l’autorité nécessaire,- des chefs et des directeurs, sache-le bien aussi, tes délégués et tes maîtres vivront de ton labeur et de ta niaiserie. Tu te plains de tout ! Mais n’est-ce pas toi l’auteur des mille plaies qui te dévorent ? »

L’inconscience des masses populaires est entretenue par des promesses paternalistes et infantilisantes que leur font les politicards populicides.

Le refus de passer et de repasser en revue ces promesses faites depuis plus de trois décennies participe de la naïveté dans laquelle ces masses sont plongées.

Elles pourraient, entre autres, se poser la question de savoir pourquoi des politicards supposés mener des luttes démocratiques garantissant le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple se transforment, depuis 2006, en des  »pères » et des  »mères » promettant d’accomplir pour ce peuple ce qu’il peut faire lui-même. Pour cause. C’est le peuple qui est souverain. C’est à ce peuple qu’il appartient de s’organiser et de se mobiliser à la base pour se donner des orientations politiques, économiques, spirituelles, géopolitiques, géostratégiques, numériques, etc. afin de se prendre en charge.

Risque d’implosion et de balkanisation

Ce peuple a-t-il compris cela dans son immense majorité ou court-il encore et toujours derrière le modèle représentatif obsolète l’ayant empêché de devenir maître de sa destinée ? Pourquoi semble-t-il oublié si rapidement sa dernière invention du modèle fraternel de fabrication de la cohésion sociale et nationale à partir de la base au profit du modèle compétitif et  »marchéiste » inefficace ?

Non. Il n’ a pas compris qu’il lui appartient de produire ses moyens de vie et de survie et d’avoir en son sein  »des délégués » soumis au principe de la subsidiarité et au mandat impératif. La masse critique travaillant sur le temps long peine à s’imposer au coeur de l’Afrique.

La production des lieux pouvant faciliter cette compréhension à la base est nécessaire. La refondation de l’école, de centres de formation, de l’université (populaire), des radios et des télévisions communautaires peut jouer un rôle important dans la réalisation de cette tâche. Les tables palabriques -le kinzonzi, les masabakanyi, le looso- peuvent apporter leur pierre à l’édifice en tant trajet d’apprentissage en commun et lieux de la production de l’intelligence individuelle et collective.

Sans ces lieux et leur multiplication dans un pays connaissant une guerre d’usure comme le Kongo-Kinshasa, la cohésion sociale et nationale risque d’être la victime de la prochaine campagne électorale.

Donc, campagne électorale et cohésion nationale risquent d’être un duo impossible à réaliser. Au pire, cette campagne électorale pourrait augmenter les probabilités de l’implosion et de la balkanisation du pays. Les vampires et les joueurs des coulisses sont aux aguets.

Ces probabilités augmentent surtout là où les questions tribales et ethniques sont instrumentalisées par les  »gourous politicards ». Des efforts sont constamment conjugués dans certains milieux kongolais pour convertir la fierté tribale ou ethnique en tribalisme ou en ethnicisme xénophobes. Tout se passe comme si reconnaître ses racines tribales et ethniques signifiait automatiquement exclusion de l’altérité.

Pourtant, la richesse du Kongo-Kinshasa est aussi due à ses diversités tribales et ethniques pouvant être assumées au coeur d’une citoyenneté polymorphe les transcendant. Des grands Etats-civilisations sont riches et forts de cette polymorphie maîtrisée sur fond des principes de justice, d’équité, de fraternité, de dignité, de coopération, de liberté, de sécurité, de solidarité, etc. Refonder le Kongo-Kinshasa sur ces mêmes principes est indispensable à sa cohésion sociale et nationale.

Petite conclusion : la tâche est ardue

Que faire en attendant ? Travailler à la coordination des minorités organisées autour des tables palabriques – comme cela a été le cas au Maniema et à Kisangani- en vue de rompre avec le modèle compétitif abrutissant plébiscité par  »les gourous politicards » au service des oligarques et globalistes apatrides, ennemis des Etats-nations et du panafricanisme. La tâche est bien sûr ardue. Elle doit mobiliser beaucoup de connaissances, de conscience et surtout de courage. Le courage qui est cette vertu d’endurance dans l’impossible pour le transmuter en possible.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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