Joseph  Kabila   et  la tragédie congolaise (suite et fin)

Mbelu Babanya Kabudi

« Notre tort à nous Africains, est d’avoir oublié que l’ennemi ne recule jamais sincèrement. Il ne comprend jamais. Il capitule, mais ne se convertit pas. » F. FANON

En revoyant calmement le documentaire de Jean-Kienge au même moment que  les trois autres (Le conflit  au Congo. La vérité dévoilée, Rwanda’s untold story et l’Afrique en morceaux), nous serions tenter de lui donner  un autre titre : ‘’La tragédie congolaise dure depuis plus de 50 ans’’. Ce titre aurait  l’avantage d’éviter de donner à  Joseph Kabila beaucoup plus d’importance qu’il n’en a dans cette histoire.

Cela d’autant plus   que son ‘’mystère’’  a été dévoilé depuis longtemps par Sassou Nguesso : « Venu de nulle part, en quinze jours (après sa prise de pouvoir (sic)), il  a eu les honneurs de Paris, Bruxelles, Londres et Washington…Joseph est  un cheval de Troie du président du président rwandais. Officiellement, pendant la journée, il s’oppose à Paul Kagame, mais, la nuit tombée, il marche avec lui…Or, en Afrique, c’est la nuit que les choses importantes se passent… »[i] Et  qui est Kagme ?  Sassou répond : « Un paralytique assis au pied du manguier » Sassou Nguesso dit exactement ceci au sujet de Kagame : « Quand le paralytique assis au pied du manguier joue avec des feuilles vertes, c’est qu’il y a quelqu’un dans l’arbre qui les a jetées. Sinon, il ne joue qu’avec des feuilles mortes. »[ii]  Qui est dans l’arbre et jette des feuilles à Kagame ? Sassou Nguesso répond : Les Etats-Unis, la  Grande-Bretagne et Israël.  Les confidences faites par Sassou Nguesso à Pierre Péan à Pierre Péan date des années 2008. Pouvons-nous  affirmer, huit ans après, que les choses ont changé ? Nous le dirons pas.  Les  choix ultralibéraux du Rwanda en ont fait un allié de prédilection des Etats comme l’a attesté  la secrétaire d’Etat américaine visitant le Rwanda le 26 janvier 2016. « Cette politique ultralibérale est particulièrement du goût du gouvernement américain. Non pas que le Rwanda soit tellement important sur le plan économique, mais les gouvernements des États-Unis et de la Grande-Bretagne espèrent transformer le Rwanda en pivot d’un marché régional plus vaste sous le contrôle des multinationales américaines et européennes. »[iii] Le Rwanda est toujours au service  de ‘’nouveaux cercles de pouvoir’’ ayant financé la guerre de l’AFDL il y a bientôt deux décennies. Ces  ‘’nouveaux cercles de pouvoir’’ illégitimes  instrumentalisent les gouvernants de leurs pays en en faisant ‘leurs petites mains’’. A  leur tour, celles-ci  instrumentalisent ‘’les gouvernants fantoches’’ des Grands Lacs Africains et en font ‘’leurs nègres de service’’. Dès qu’’’un nègre de service’’ ouvre le marché de ‘’son pays’’  aux autres multinationales d’autres pays comme la Chine et la Russie, il est destitué pour être remplacé par ‘’un démocrate du marché’’.

Il est curieux que dans un pays comme le Congo-Kinshasa le débat sur ‘’la démocratie’’, ‘’les droits de l’homme’’ et ‘’les élections’’ n’arrivent pas à intégrer les questions liées à la conquête du marché des Grands Lacs par l’ultralibéralisme. Il se focalise trop sur ‘’des nègres de service’’ n’ayant aucune emprise sur le système de  notre collectif abrutissement et appauvrissement ! Il est entretenu par ‘’les politicards’’ gagnés par les idées ultralibérales et ne voyant leurs concitoyens que comme des  ‘’consommateurs compulsifs’’.

Si le Congo-Kinshasa de Lumumba a fait peur aux colonialistes, aux néocolonialistes et aux impérialistes, c’est parce qu’il était l’un des bastions africains des idées révolutionnaires, des idées alternatives par rapport  à celles dominantes. Parler de l’indépendance du Congo-Kinshasa n’empêchait pas par exemple à Lumumba de fustiger le colonialisme, le néocolonialisme et l’impérialisme. Au Congo-Kinshasa, le débat s’est appauvri. Il est bien ‘’canalisé’’ par les fomenteurs des ‘’coups d’Etat doux’’ et leurs ONG au nom du marché.  La domination exercée par le paradigme ultralibéral dans les cœurs  et les esprits de plusieurs d’entre nous y a tué le sens de l’être au nom de l’avoir. Au nom de l’avoir, nous sommes disposés à devenir des ‘’esclaves volontaires’’ de ceux qui nous oppriment depuis 1885.

En effet, une oppression exercée pendant plusieurs années sur les humains peut les abrutir. Elle peut tuer en eux tous les ressorts moraux, spirituels, éthiques et culturels de résistance. Nous estimons que le Congo-Kinshasa en fait une atroce expérience. D’où l’importance qu’il y a à y produire une révolution anthropologique. C’est-à-dire une révolution qui soit à la fois politique, culturelle, spirituelle, éthique, etc. Déclarer ‘’révolu’’ ce qui ne contribue pas à la production collective et sensée du bien commun serait un pas important à faire du point de vue politique. Déclarer ‘’révolu’’ ce qui ne contribue pas à la promotion collective du ‘’bomoto’’, du ‘’bumuntu’’ serait un pas sérieux à faire  dans le sens de la révolution culturelle.

Quand, du temps de Lumumba, le Congo-Kinshasa était craint comme ‘’bastion des idées révolutionnaires’’, quelques noms sortaient du lot : Lumumba, Gizenga et Kashamura. Ce sont eux qui portaient   le projet d’un Congo libre et ouvert au panafricanisme. Aujourd’hui, le Congo-Kinshasa a besoin d’un ‘’réveil des indignés’’ du système  ultralibéral et des résistants à l’esclavage volontaire des vendeurs de la démocratie du marché. Des hommes et des femmes épris de patriotisme, ouverts au panafricanisme et au partenariat géostratégique alternatif. Le Congo-Kinshasa  a besoin d’autres Lumumba, d’autres Gizenga (des années 1960) et d’autres Kashamura pour porter le flambeau de son véritable indépendance et participer à l’avènement d’une Afrique fédérale ; avec les masses populaires initiées aux ‘’stratégies du chaos et du mensonge’’ des ‘’petites mains du capital’’.

Le documentaire de Jean-Luc Kienge a l’avantage de nous montrer comment l’oppression abrutit et  comme la misère a dégradé nos populations au cours de ces cinquantes dernières années. Il porte une question que les autres Lumumba, Gizenga et Kashamura des temps modernes devraient se poser chaque matin en se rasant : « Quel peuple voulons-nous être ? Un peuple d’hommes et de femmes libres ou esclaves de l’ordre ultralibéral ? » Il devrait éviter  de faire la publicité d’un ‘’nègre de service’’.

Mbelu Babanya Kabudi

 

[i] P. PEAN, Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010, p. 531

[ii] Ibidem.

[iii] http://www.france-rwanda.info/2016/02/grands-lacs-pourquoi-l-occident-ferme-les-yeux-sur-la-destabilisation-orchestree-par-le-regime-de-paul-kagame.html

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