Au Congo-Kinshasa, Dieu est mangé à toutes les sauces

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Au Congo-Kinshasa, la menace du fondamentalisme religieux est permanente. Dieu y est mangé à toutes les sauces. Il est instrumentalisé de façon sectaire par ceux et celles qui ont oublié qu’ils sont créés à son image et à sa ressemblance. C’est-à-dire ceux et celles qui ont oublié qu’ils les a créés  »créateurs » et qui ne cessent de lui dire face à l’oppression et à la misère :  »Kita osala ».
Au cours de l’histoire de l’humanité, les croyances religieuses ont souvent été instrumentalisées pour servir les intérêts des puissants du jour. Et les religions, en tant qu’ensemble de représentations et d’idées peuvent être facilement converties en  »idéologies meurtrières ». Elles peuvent classifier les hommes et les femmes dans des catégories des  »purs’ et des  »impurs » dans le but de vouer ces derniers à la mort. Elles peuvent être théorisées de façon à créer des  »axes ». D’une part  »l’axe du bien » se réclamant d’une mission divine ; et d’autre part,  »l’axe du mal » voué à la mort par les artisans et les partisans de  »l’axe du bien ». Les guerres menées pour le contrôle du Moyen-Orient, de la Méditerranée, du pétrole, du gaz et contre la montée du regroupement euroasiatique ont été théorisées par les néoconservateurs et les lobbies US (et alliés), à leur début, comme étant des  »guerres de l’axe du bien » contre  »l’axe du mal ».
En Afrique, les dictateurs et les autres tyrans, clients ou proxys de  »l’axe du bien » estiment qu’ils ont reçu de Dieu (ou de dieu/veau d’or) la mission de rester au pouvoir à vie. Souvent, ils évitent de soumettre au débat cette conviction qu’ils sont plusieurs à partager. Ils organisent une amnésie sur leur passé pour pouvoir se présenter aux portions entières de leurs populations abruties par l’oppression qu’ils leur imposent et dégradées moralement, éthiquement, économiquement et intellectuellement par la misère subie sur le temps long comme étant des  »messies ». Plusieurs pasteurs partageant cette misère dégradante et ployant sous le joug de cette oppression abrutissante et assujettissante s’organisent pour devenir  »les prophètes de la cour ». Ils font des prophéties complaisantes pour confirmer ces dictateurs, tyrans ou proxys dans leur faux rôle messianique.
Cette supercherie réussit là où les médias dominants sont à leur service et les médias alternatifs aphones. Elle réussit à manger les cœurs et les esprits des populations abruties et dégradées là où l’espace public du débat pluriel et contradictoire est proscrit ; là où l’information alternative manque. Dans cet espace public appauvri et colonisé par  »les prophètes de la cour », le recours à la Bible est sélectif. Et  »les prophètes de la cour » se comportent en  »bergers mercenaires ».
Ce faisant, ils sont différents des  »prophètes subversifs » à l’exemple d’Amos, de Jérémie ou d’Isaïe.
Ces derniers remettaient en cause  »l’ordre sociopolitique et économique » de leur temps et invitait à une vie qui plaît à Dieu. Prenons l’exemple d’Isaïe 58 (1-11) :
« Le jeune qui me plaît, n’est-pas ceci : faire tomber des chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore, et tes forces reviendront vite. Devant toi marchera ta justice, et la gloire du Seigneur fermera ta marche. Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra ; si tu cries, il dira : « Me voici ». Si tu fais disparaître de chez toi le joug, le geste accusateur, la parole malfaisante, si tu donnes à celui qui a faim ce que toi tu désires, et si tu combles les désires du malheureux, ta lumière se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité sera lumière de midi. Le Seigneur sera toujours ton guide. En plein désert, il comblera tes désirs et rendra vigueur. »
Lutter contre  »les chaînes injustes » et opter pour l’égalité fraternelle, cela n’est pas l’option faite par  »les prophètes de la cour ». Ils se contentent de l’assistancialisme en redistribuant les miettes qu’ils reçoivent des dictateurs, tyrans et autres proxys qu’ils plébiscitent. Ils sont tétanisés par la peur après avoir fait de leur ventre  »leur dieu ». Sauvant souvent les apparences, ils sont convaincus que « celui qui se borne à demander aux puissants de l’aide pour les pauvres, celui-là même qui commence à aider les pauvres par un début de promotion humaine, mais sans pousser l’  « imprudence » et « l’audace » jusqu’à parler de droits et jusqu’à exiger la justice, celui-là est un homme admirable et un saint. » Pour eux, « celui qui opte pour la justice et pour le changement des structures qui réduisent en esclavage des millions d’enfants de Dieu se prépare à voir sa pensée déformée, à être objet de diffamations et de calomnies, à perdre tout prestige auprès des gouvernants, peut-être même à être mis en prison, torturé, voir éliminé. » Celui qui écrit ces lignes, Dom Helder Camara, en  »véritable intellectuel subversif » a payé de sa vie pour avoir pris cette dernière option. Mgr Romero et Mgr Munzihirwa ont suivi la même voie.
Il y a donc dans nos Eglises des chrétiens et des pasteurs ayant compris la véritable signification de leur  »engagement prophétique » et d’autres préférant être  »des prophètes de la cour » pour caresser les puissants dans le sens de leurs poils. Il y en a d’autres encore dont le besoin d’approfondissement des Ecritures doit être exaucé pour en faire des  »intellectuels subversifs » à la suite d’Amos, d’Osée, de Jérémie, d’Isaïe, etc.
Au Congo-Kinshasa, ce besoin est immense. La menace du fondamentalisme religieux y est permanente. Dieu y est mangé à toutes les sauces. Il est instrumentalisé de façon sectaire par ceux et celles qui ont oublié qu’ils sont créés à son image et à sa ressemblance. C’est-à-dire ceux et celles qui ont oublié qu’ils les a créés  »créateurs » et qui ne cessent de lui dire face à l’oppression et à la misère :  »Kita osala ». Au Congo-Kinshasa, l’instrumentalisation fondamentaliste de Dieu entretient certaines superstitions déresponsabilisant l’homme place face aux luttes humanisantes. Souvent, elle favorise une lecture partiale de la Bible. Il pleut à Kinshasa et une prière oecuménique est gâchée, cela est interprété comme  »une punition de Dieu » à l’endroit des  »injustes ». Or, voici ce qui est écrit : « Matthieu 5,43-48. Comme les disciples s’étaient rassemblés autour de Jésus, sur la montagne, il leur disait: « Vous avez appris qu’il a été dit: Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi Eh bien moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, et priez pour ceux qui vous persécutent, afin d’être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. »
Que faut-il faire pour aider ce pays à rompre avec ce fondamentalisme déresponsabilisant et le messianisme politique qui en découle ? Il y a des pistes de solutions à proposer. Elles peuvent être enrichies.
Le messianisme politique peut être un signe renvoyant au manque de légalité et de légitimité dans le chef des gouvernants. Des gouvernants légaux sont (en temps normal et dans un Etat sain, souverain) issus des procédures électorales organisées et reconnues par les lois du pays (et surtout inscrites dans la loi fondamentale). Ils sont légitimés par la participation active des citoyens et des citoyennes au processus d’élaboration de ces lois, aux discussions et à la délibération les rendant constitutionnalisables. Ils se légitiment au cours de leurs mandats en assurant l’exercice des droits et des libertés fondamentales, en rendant effective la mise en pratique des droits sociaux, économiques, culturels et politiques ; et en étant régulièrement capables de faire la reddition des comptes devant le peuple et ses représentants. Ces procédures légales et normatives fondées sur le débat, les discussions et la délibération peuvent constituer des antidotes au choix opéré par un quelconque ‘dieu » sans l’assentiment du peuple souverain. C’est-à-dire celui qui rend le pouvoir des gouvernants légal et légitime. Là où cette souveraineté manque ou est battu en brèche par  »les nouveaux cercles de pouvoir », les multi et les transnationales, l’évocation du choix divin vient signaler l’apathie des masses populaires ou leur instrumentalisation par les gourous de tout bord. Ceux-ci peuvent être des fondamentalistes religieux, économiques ou simplement  »les petites mains du capital ». Ceux-ci contribuent au dévoiement du sens du vivre ensemble en imbécilissant les masses populaires ou en les convertissant en des simples consommateurs compulsifs. Des messes imbécilisées peuvent facilement croire en n’importe quoi. D’où l’importance de l’éducation, de la formation et de la conscientisation permanente. « Sans un peuple éduqué, soutient Natacha Polony, la démocratie (ou le pouvoir) est une tyrannie des imbéciles. »
Qui peut assumer ces nobles tâches ? Des élites organiques et structurantes volontaires et les autres  »intellectuels subversifs ». (Surtout dans un Etat manqué comme le Congo-Kinshasa.) Elles doivent à la fois être comme le levain dans la pâte des masses populaires ignorantes, abruties par l’oppression et le fondamentalisme religieux, dégradées par la misère entretenue par les élites compradores ayant joué le rôle des proxys au Congo-Kinshasa depuis les années 1960. Elles doivent aussi créer et recréer les lieux du savoir et de la pensée. Des écoles où elles apprennent la pensée de l’autre dans sa diversité, l’histoire africaine, la culture africaine, les sciences modernes, etc. Ces écoles formelles et informelles devraient être des lieux de l’initiation à l’interculturalité. Celle-ci à l’avantage d’inviter à aller au-delà de l’enfermement dans des religions particulières et d’enrichir la pensée des apports des autres.
Mbelu Babanya Kabudi

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