Le député Mayo relance le débat : la Cour Constitutionnelle a mal jugé

 

jean-baudouin_mayoLa Commission Electorale Nationale Indépendante a, par sa requête du 29 juillet 2015, saisi la Cour Constitutionnelle du chef de deux demandes, à savoir :

– L’interprétation des dispositions de l’article 10 de la loi de programmation n° 15/004 du 28 février 2015  déterminant les modalités d’installation de nouvelles provinces et de celles de l’article 168 de la loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales, telle que modifiée et complétée par la loi n° 11/003 du 25 juin 2011 et par celle n° 15/001 du 12 ( et non 13 comme dit dans l’arrêt) février 2015.

– L’avis de la Cour sur la poursuite du processus électoral tel que planifié par la décision de la CENI n° 001/CENI/BUR/15 du 12 février 2015 portant publication du calendrier des élections provinciales, urbaines, municipales et locales de 2015 et des élections présidentielle et législatives relativement à l’organisation, dans le délai (lequel ?) des élections provinciales prévues le 25 octobre 2015.

Il sied de signaler que cette requête a été signée par Monsieur Jean Pierre KALAMBA MULUMBA  N’GALULA, rapporteur de la CENI, dûment mandaté sans que la Cour ne dise qui l’a mandaté à cette fin.

L’étude critique succincte de l’arrêt de la Cour Constitutionnelle va s’intéresser d’abord à la saisine de cette dernière, ensuite à vérifier le respect, par elle, de sa compétence matérielle et enfin de terminer par quelques questions spécifiques y soulevées.

  1. De la saisine de la Cour Constitutionnelle par la CENI

Deux questions se posent à ce niveau :

– La CENI peut-elle saisir la Cour Constitutionnelle en interprétation de la Loi et en demande d’un avis ?

– Le cas échéant, le Rapporteur de la CENI peut-il saisir la Cour Constitutionnelle sur mandat ?

La réponse à la première interrogation impose de rechercher  dans la Constitution les dispositions qui fixent les compétences et les procédures possibles devant la Cour Constitutionnelle.qui peut la saisir et dans quel cas.

L’article 160 de la Constitution donne à la Cour Constitutionnelle la mission générale de contrôle des lois et des actes ayant force de loi soit par voie d’action ou d’exception par tout intéressé. (Voir aussi l’article 162 de la Constitution). Cet article confère aussi à la Cour Constitutionnelle la mission de se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois organiques avant leur promulgation et des Règlements intérieurs des Chambres parlementaires et du Congrès et de la CENI ainsi que du CSAC, avant leur mise en application.

Ici, il y a un cas pour lequel la Constitution autorise la CENI à saisir la Cour Constitutionnelle. Il s’agit de la procédure d’obtention préalable de la déclaration de conformité de son Règlement intérieur à la Constitution. Or, tel n’est pas l’objet de sa requête qui a débouché sur l’arrêt R. Const 0089/2015.

Le même article 160 reconnait à la Cour Constitutionnelle la compétence d’examiner la conformité à la Constitution des lois de la République avant leur promulgation. Dans ce cas, elle peut être saisie, et de manière limitative, par le Président de la République, le Premier  Ministre, le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat ou le dixième des députés ou des sénateurs.

La CENI n’est pas concernée par cette procédure.

L’article 161 de la Constitution reconnait à la Cour Constitutionnelle la compétence de connaître des recours en interprétation de la Constitution sur saisine du Président de la République, du Gouvernement, du Président de l’Assemblée nationale, du Président du Sénat, d’un dixième des membres de chacune des chambres parlementaires, des Gouverneurs des provinces et des Présidents des Assemblées provinciales.

La requête de la CENI ne sollicitait pas l’interprétation de la Constitution mais celle des lois, compétence non dévolue à la Cour Constitutionnelle.

La CENI ne peut pas solliciter l’interprétation des lois à la Cour Constitutionnelle, pouvoir que cette dernière n’a pas reçu de la Constitution.

Le même article 161, en ses alinéas 2 à 4 établit d’autres procédures de la compétence de la Cour Constitutionnelle. Il s’agit du contentieux des élections présidentielle et législatives nationales et du référendum dont la loi électorale fixe les règles en la matière, des conflits de compétences entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif ainsi qu’entre l’Etat et les provinces dont l’initiative revient à l’institution intéressée.

La Cour Constitutionnelle connaît des recours contre les arrêts rendus par la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat, uniquement en tant qu’ils se prononcent sur l’attribution du litige aux juridictions de l’ordre judiciaire ou administratif. Ce recours n’est recevable que si un déclinatoire de juridiction a été soulevé par ou devant la Cour de cassation ou le Conseil d’Etat.

Il va de soi que le droit de saisir la Cour Constitutionnelle pour ce cas revient aux parties aux procès ; or tel n’est pas le cas, en l’espèce, pour la CENI.

L’article 163, quant à lui, rend la Cour Constitutionnelle le juge pénal du Chef de l’Etat et du Premier Ministre dans les cas et conditions prévues par la Constitution, notamment pour haute trahison, outrage au Parlement ou pour toutes les autres infractions commises dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.

L’initiative de ces procédures (art 166) appartient au Congrès (2 Chambres réunies) votant à la majorité des deux tiers de ses membres (Députés et Sénateurs).

Après ce survol rapide des compétences de la Cour Constitutionnelle et des procédures devant elle telles que définies par la Constitution, la CENI ne peut donc saisir la Cour Constitutionnelle que dans trois cas possibles :

– Pour la déclaration de conformité de son Règlement intérieur à la Constitution ;

– En cas de contentieux des élections présidentielle et législatives nationales ;

– En cas de recours contre les arrêts rendus par la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat, uniquement en tant que ceux-ci se prononcent sur l’attribution du litige aux juridictions de l’ordre judiciaire ou administratif, pour autant qu’elle ait été partie au litige.

La CENI n’est donc pas reçue devant la Cour Constitutionnelle en dehors de ces procédures sans que la Constitution ne soit énervée.

La Cour Constitutionnelle en recevant partiellement la requête de la CENI dans les cas non prévus par la Constitution a violé cette dernière et donc a mal jugé. Elle aurait dû d’entrée de jeu déclarer la requête de la CENI irrecevable pour défaut de qualité requise pour la saisir et pour incompétence totale dans son chef à connaître de la demande d’avis.

Même si la procédure initiée par la CENI pouvait être conforme à la Constitution, la Cour Constitutionnelle serait- t-elle régulièrement saisie par la requête signée par le Rapporteur de la CENI « dûment mandaté » ?

La réponse à cette question nous paraît être négative au regard de la loi n° 15/001 du 12 février 2015 modifiant et complétant la loi n° 06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales telle que modifiée par la loi n° 11/003 du 25 juin 2011.

En effet, d’après l’article 26, « les actions en justice tant en demande qu’en défense sont introduites, soutenues ou défendues, au nom de la CENI par le Président ».

Par ailleurs, l’article 25 bis de la même loi dispose que le Vice-Président est chargé des questions juridiques et administratives. Il remplace le Président en cas d’empêchement ou d’absence.

Tout le monde sait que, pour raison de maladie, le Président de la CENI ne travaille pas. C’est son Vice-Président qui assume son intérim.

Dès lors, comment expliquer que mandat soit donné au rapporteur pendant que le Vice-Président légalement chargé de remplacer le Président empêché ou absent, est présent ?

Le mandat donné au rapporteur en violation de la loi est sans effet. La Cour Constitutionnelle aurait dû s’en rendre compte car le mandat du Président de la CENI (pensons-nous) ne peut paralyser « le mandat légal ».

La Cour Constitutionnelle aurait dû déclarer la requête irrecevable pour défaut de qualité dans le chef du rapporteur de la CENI qui ne peut agir en lieu et place du Président, sans justifier l’absence ou l’empêchement du Vice-Président.

La saisine, pour l’espèce, de la Cour Constitutionnelle par la CENI est de plus irrégulière pour défaut de qualité dans le chef du rapporteur de la CENI et pour absence de fondement juridique du droit de la CENI à saisir la Cour Constitutionnelle sur les matières dont elle n’a reçu compétence de la Constitution qui fixe ses attributions et les initiateurs des actions devant elle.

  1. La Cour Constitutionnelle a-t-elle respecté les règles de sa compétence matérielle ?

La réponse à cette interrogation est oui en partie et non pour l’autre partie.

– La Cour Constitutionnelle a respecté en partie les règles de sa compétence.

Elle a bien dit le droit lorsqu’elle s’est déclarée incompétente pour interpréter les articles 10 de la loi de programmation n° 15/004 du 28 février 2015 déterminant les modalités d’installation de nouvelles provinces et 168 de la loi n° 06/006 du 9 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales, telle que modifiée par la loi n° 11/003 du 25 juin 2011 et par celle n° 15/001 du 12 (non du 15) février 2015.

La Cour Constitutionnelle n’a pas reçu la compétence d’interpréter les lois. Elle connaît des demandes en interprétation de la Constitution à l’initiative des personnes que la Constitution cite de manière limitative, la CENI exclue.

Par contre, elle a mal jugé par la suite.

– La Cour Constitutionnelle n’a pas respecté sa compétence et a violé la Constitution.

La Cour Constitutionnelle s’est déclarée compétente pour connaître du deuxième chef de demande qu’elle a jugé partiellement fondé.

Et pourtant elle ne dit pas expressément quelle partie du deuxième chef de demande de la CENI est fondée et quelle autre ne l’est pas.

Il y a donc insuffisance voire absence de motivation, ce qui constitue une violation de l’article 21 de la Constitution qui veut que tout jugement soit écrit et motivé.

Il sied de rappeler la deuxième demande de la CENI pour laquelle la Cour Constitutionnelle s’est déclarée compétente en partie afin de la confronter aux dispositions constitutionnelles.

En effet, elle consiste en la sollicitation par la CENI de l’avis de la Cour Constitutionnelle sur la poursuite du processus électoral tel que planifié par la décision n° 001/CENI/BUR/15 du 12 février 2015 portant publication du calendrier des élections présidentielle et législatives de 2016 relativement à l’organisation dans le délai ( ?) des élections provinciales prévues le 25 octobre 2015.

D’abord, à lire ce chef de demande et pour ne pas devoir se répéter, on a du mal à déceler la distinction possible à y faire pour le dire fondé en partie et non fondé pour l’autre partie, étant donné qu’il s’agit d’une seule demande d’avis, du reste indivisible.

La question qui se pose est celle de savoir si la Cour Constitutionnelle a reçu compétence de donner un avis à la demande de la CENI sur l’opérationnalité de son calendrier électoral.

La réponse est bien sûr non, au regard des articles 160 et suivants de la Constitution.

La Cour Constitutionnelle a donc décidé sur une matière qui ne relève pas de sa compétence et a donc violé la Constitution. Elle n’est pas fondée à donner des avis à la CENI. Ceci est d’autant plus vrai que la Cour n’a pas daigné donner une seule disposition constitutionnelle ou légale qui fonderait sa compétence en la matière. Il y a absence de motivation, alors qu’elle l’a fait lorsqu’elle s’est déclarée incompétente pour examiner le premier chef de demande de la CENI relatif à l’interprétation des lois.

On se demande comment de l’avis sollicité par la CENI, la Cour Constitutionnelle en est arrivée à des injonctions et recommandations au Gouvernement et à la CENI.

Rien donc n’explique pourquoi elle s’est déclarée compétente sur cette demande qui n’est portée par aucune disposition constitutionnelle.

La Cour aurait dû, comme pour le premier chef de demande, se déclarer incompétente, pour le deuxième chef de demande aussi, suivant en cela l’avis pertinent du Ministère public.

La Cour Constitutionnelle a statué ultra petita et donc mal jugé.

  1. Des questions spécifiques

L’étude de l’arrêt R.Const. 0089/2015, quoique succincte, ne peut se terminer sans souligner quelques  questions spécifiques, notamment celle relative à la violation par la Cour des articles 21 et 69 de la Constitution et celle se rapportant à la nature des décisions y contenues.

  1. Violation de l’article 21 de la Constitution

Comme dit précédemment, l’article 21 de la Constitution dispose que tout jugement (arrêt compris) est écrit et motivé.

Il y a lieu de remarquer que l’œuvre de la Cour Constitutionnelle sous examen n’est pas suffisamment motivée, ce qui s’apparente à l’absence de motivation en ce qui concerne la compétence de la Cour par rapport à l’objet de sa saisie, particulièrement le deuxième chef de demande de la CENI, à la notion de force majeure que la Cour a admise et au pouvoir de régulation de l’avis politique, du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics que la Cour s’est arrogée.

Il est superflu de revenir sur l’absence de motivation en ce qui concerne la compétence de la Cour à donner des avis à la CENI parce que ce sujet a été abordé plus haut. Mais on peut s’étonner que la Cour qui reconnait dans son œuvre qu’en vertu des articles 168 alinéa 1er de la Constitution et 93 alinéas 1er et 4 de la loi organique n° 13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour Constitutionnelle, elle statue par voie d’arrêt et non d’avis, qu’elle se soit par la suite déclarée compétente pour connaître d’une demande d’avis sur une question matérielle d’opérationnalité du calendrier électoral de la CENI. C’est une rebuffade, une gymnastique qui a plus les allures politiques que juridiques encore moins judiciaires.

Par ailleurs, la Cour considère comme cas de force majeure, c’est-à-dire, selon elle, irrésistible et insurmontable, l’absence des bureaux définitifs des Assemblées provinciales au-delà du délai de 120 jours de l’article 10 de la loi de programmation.

Cette justification comme la définition du cas de force majeure sont insuffisantes.

La force majeure est non seulement un événement irrésistible et insurmontable comme elle l’affirme, mais elle est aussi un événement imprévisible. Dès lors, comment admettre que l’absence des bureaux définitifs des Assemblées provinciales soit constitutive d’un cas de force majeure comme si ce cas n’était pas prévisible et surmontable ?

Le Gouvernement, par son Ministre de l’intérieur, n’ignorait pas le délai de 120 jours de l’article 10 de la loi de programmation. L’absence des bureaux définitifs des Assemblées provinciales à terme légal est dû à la faute du Gouvernement qui n’a pas respecté le délai de la loi dont le dépassement dans ces conditions devenait prévisible. Il n’y a donc pas lieu de parler d’un événement imprévisible.

De même, la difficulté qu’a posée l’absence des bureaux définitifs des Assemblées provinciales est bien sûr surmontable notamment par la modification du délai de l’article 10 de la loi de programmation en tenant compte de la nouvelle donne sur le terrain. Sinon, que devient alors la teneur de cet article 10 qui appelle respect et exécution, l’arrêt de la Cour étant insusceptible de le modifier. La solution à ce problème devait provenir du Parlement et non de la Cour Constitutionnelle. Et c’est pareil pour le soi-disant manque des moyens financiers pour organiser l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs de province car, la question des finances est relative au budget dont le Parlement reste l’autorité compétente.

A propos du manque des moyens financiers, il est étonnant de voir la Cour Constitutionnelle se laisser emporter par l’argument du Gouvernement quand on sait que le peuple souverain, par ses représentants au Parlement, a doté le pays depuis 2012 à ce jour, de plus ou moins 250 millions de dollars par an pour l’organisation des élections. Manquer 2 millions de dollars pour l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs de province, c’est manquer du respect au peuple. Ceci devait émouvoir la Cour Constitutionnelle qui malheureusement s’est laissée flatter par cet argument relevant de la gestion du budget et non de la question de constitutionnalité.

On peut donc comprendre le déni de motivation de la Cour Constitutionnelle qui, sciemment, a quitté le terrain juridique et judiciaire pour le terrain politique.

  1. Violation de l’article 69 alinéa 3 de la Constitution

Dire que la démarche de la Cour Constitutionnelle est plus politique que juridique et judiciaire n’est pas forcer la note dans la mesure où, pince sans rire, la Cour, dans son œuvre sous examen et comme qui dirait, « la fin justifie les moyens », va s’arroger le pouvoir de régulation de la vie politique, du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics pour justifier sa compétence de connaître, à tout prix, une cause introduite par une personne sans qualité et pour les matières qui ne relèvent pas constitutionnellement de sa compétence.

C’est au Président de la République, Chef de l’Etat que la Constitution en son article 69 confie le rôle de régulateur du bon fonctionnement des institutions de la République et non à la Cour Constitutionnelle qui, pour l’espèce, a empiété sur les compétences constitutionnelles d’une autre institution.  C’est une faute grave qui la discrédite et la disqualifie.

En effet, l’alinéa 3 de cet article dispose : « Il (le Président de la République) assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que de la continuité de l’Etat. »

Il n’y a aucune disposition dans la Constitution qui confère à la Cour Constitutionnelle le pouvoir de réguler les institutions de la République ; c’est une extrapolation malheureuse qui a conduit la Cour Constitutionnelle à la violation manifeste de la Constitution.

La Cour a donc mal jugé.

  1. Nature des décisions contenues dans l’arrêt de la Cour

Dans les dispositifs de l’arrêt sous examen, la Cour a pris des décisions dont notamment :

–           Ordonne, en conséquence, à la CENI d’évaluer, en toute indépendance et impartialité, tout le processus électoral conduisant aux élections prévues dans son calendrier ;

– Ordonne au Gouvernement de la République Démocratique du Congo de prendre sans tarder les dispositions transitoires exceptionnelles pour faire régner l’ordre public, la sécurité et assurer la régularité ainsi que la continuité des services publics dans les provinces concernées par la loi de programmation, en attendant l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs ;

– Enjoint au Gouvernement de la RDC d’accélérer l’installation des bureaux définitifs des Assemblées provinciales de nouvelles provinces et de doter la CENI des moyens nécessaires pour l’organisation impérative de l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs des provinces concernées par la loi de programmation avant toute élection des députés provinciaux sur toute l’étendue de la République.

A l’analyse, on peut bien se demander si les trois décisions ci-dessus sont des mesures judiciaires qui valent la peine ou tout simplement des incantations politiques.

Par rapport à la première décision qui a tout l’air de ne pas en être une, la CENI n’a pas besoin que la Cour Constitutionnelle lui ordonne d’évaluer le processus électoral car, l’évaluation est l’activité normale de toute institution après un laps de temps de fonctionnement. C’est une opération périodique de routine. La Cour a certainement voulu cacher une décision politique de son intrusion dans l’élaboration du calendrier électoral, compétence exclusive de la CENI, lorsqu’elle insinue que l’élection des gouverneurs et vice-gouverneurs doit se faire avant les élections provinciales.

La Cour a donc violé la loi organique n° 13/12 du 19 avril 2013 modifiant et complétant la loi organique n° 10/13 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la CENI qui, en son article 9 point 5, confère à la CENI seule la compétence d’élaborer les prévisions budgétaires et le calendrier relatif à l’organisation des processus électoraux et référendaires.

S’agissant de la deuxième décision, la Cour a bien voulu manifestement conférer au Gouvernement de la République le pouvoir de nommer des gouverneurs et vice-gouverneurs ad intérim de province au sein ou en dehors de l’administration, étant donné le caractère évasif de cette décision. La Cour a omis de spécifier et d’encadrer les dispositions transitoires exceptionnelles que le Gouvernement doit prendre pour faire régner l’ordre public, la sécurité et assurer la régularité ainsi que la continuité des services publics dans les provinces concernées. C’est apparemment l’objectif poursuivi et recherché par les commanditaires éventuels de cet arrêt qui a tout l’air d’un disque demandé.

Il est étonnant de voir la Cour Constitutionnelle enjoindre au Gouvernement d’accélérer l’installation des bureaux définitifs des Assemblées provinciales de nouvelles provinces alors qu’il s’agit d’une matière réglée par le Règlement intérieur de chaque Assemblée provinciale.  Etant donné qu’aucune loi ne confère au Gouvernement de la République un tel pouvoir, c’est à se demander sur base de quel texte juridique la Cour Constitutionnelle fonde-t-elle cette décision. Elle n’indique pas le fondement juridique de sa décision. Absence de motivation. Ainsi, elle s’est donc livrée à un exercice périlleux de conférer au Gouvernement des attributions qui ne sont pas les siennes au regard de la Constitution, des lois et règlements de la République.

Dire à cet égard que la Cour Constitutionnelle n’a pas pu être à la hauteur des attentes, n’est pas une affirmation forte.

Aussi, revient-il vraiment à la Cour Constitutionnelle d’enjoindre au Gouvernement de doter la CENI des moyens nécessaires pour l’organisation des élections, alors que le budget des élections est voté par le Parlement ?

Si la CENI a des problèmes des moyens financiers, elle devrait  s’en remettre au Parlement qui a le pouvoir de voter le budget et d’en contrôler l’exécution qui peut révéler les cas éventuels de détournement et le cas échéant, l’Assemblée nationale mettrait en accusation les membres du Gouvernement responsables de telles situations en vertu de l’article 166 alinéa 2 de la Constitution.

Enfin, il est difficile de comprendre  l’intelligence de la décision de la Cour Constitutionnelle qui rend comme préalable à l’élection des députés provinciaux, celle des gouverneurs et vice-gouverneurs de province.

En effet, l’article 198 de la Constitution dispose que les gouverneurs et vice-gouverneurs sont élus pour un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois par les députés provinciaux.

La question de constitutionnalité qui se pose et que la Cour Constitutionnelle n’a pas réglé est celle de la durée du mandat des gouverneurs et vice-gouverneurs élus par les députés provinciaux avant l’élection ? Ces derniers une fois installés, vont-ils respecter la durée de mandat des gouverneurs élus par les actuelles Assemblées provinciales fin mandat ou voter de nouveaux gouverneurs avec une nouvelle légitimité ?

Cette décision de la Cour Constitutionnelle n’a résolu aucun problème, au contraire elle en rajoute.

CONCLUSION

Le moins que l’on puisse dire de considérations ci-dessus est que la Cour Constitutionnelle  a mal dit le droit dans son arrêt R.Const 0089/2015 du 08 septembre (et non août) 2015.

Tantôt, la Cour s’est tue sur la qualité de la personne qui l’a saisie ainsi que sur le fondement juridique d’une telle action, tantôt elle a outrepassé ses compétences constitutionnelles, tantôt encore elle s’est abstenue de motiver suffisamment ses positions, et tantôt enfin, elle a pris des décisions contraires au droit positif congolais, avec risque d’enflammer davantage une situation qui se gâte continuellement.

La Cour Constitutionnelle, pour sa première sollicitation essentielle, est passée à côté de la plaque manquant ainsi son rendez-vous avec l’histoire lorsqu’à travers le monde, on voit le rôle de gardienne de la Constitution et de la démocratie que jouent les Cours constitutionnelles.

Il est temps pour les intellectuels congolais en général de s’élever au niveau des attentes du peuple congolais et de la démocratie. Il nous faut un sursaut d’orgueil national car, la majorité du peuple congolais souffre des faits et gestes de la minorité des intellectuels que nous sommes.

Nul n’a le droit d’avilir tout un peuple par ses égarements surtout lorsque ces derniers sont volontaires. C’est ici le lieu de féliciter les deux juges qui se sont désolidarisés de cette décision et avec raison, comme démontré ci-haut.   C’est aussi le lieu de féliciter le Parquet général près la Cour Constitutionnelle pour son avis qui, s’il avait été suivi, aurait fait avancer la démocratie d’un cran dans notre pays.

Tout n’est pas perdu car, souvent la formation vient aussi des erreurs que nous commettons,  à moins que celles-ci ne soient volontaires auquel cas, il ne s’agirait plus d’erreurs mais des fautes. Nous devons nous garder de verser dans l’arbitraire, l’immoralité, la facilité et les combines. Il est plus que temps pour que cela s’arrête. C’est la révolution des mentalités et des comportements, gage de l’avenir radieux pour la postérité. Nous devons être capables de couper avec l’homme ancien et actuel qui depuis l’indépendance s’est livré à une course éhontée d’enrichissement personnel sur le dos du contribuable congolais.

Loin de prétendre donner des leçons à quiconque, le souci était  tout simplement de critiquer une œuvre judiciaire rendue par des hommes perfectibles comme nous tous.

En conclusion, l’arrêt de la Cour succinctement examiné est un non événement, dans la mesure où il est insusceptible de régler la question indubitable du dépassement des délais constitutionnels tant rêvé par rapport à l’élection présidentielle et dont la solution ne tient qu’au respect par tous de la Constitution. Il s’impose à tous d’arrêter des gesticulations inutiles afin de sauver et de sauvegarder la dignité et la valeur de l’élite congolaise.

Honorable Jean Baudouin MAYO  MAMBEKE

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