Quand Mende dit  »la vérité » (suite et fin)

Mende-Omalanga
« Sans mémoire historique consciente, les Congolais(es) seront toujours les jouets des autres peuples. »
En relisant le point de presse tenu par Lambert Mende le 24 mars 2016, nous sommes rappelé le travail abattu par le groupe Gersony et des documents qu’il a traités confidentiellement. L’un des document fut « une lettre de Paul Kagame, datée du 10 août 1994, faisant état d’un plan de Museveni sur le Zaïre et leurs « collaborateurs belges, américains et britanniques ».
Nous terminions la première partie de cet article en soutenant que Mende ayant fait partie  »des groupes armés criminels qui se sont déversés depuis 1994 » dans notre pays pour imposer une guerre endémique aux  »paisibles citoyens congolais » n’avait pas le droit de parler au nom de ces derniers.
Pour cause. Jusqu’à ce jour, ces  »paisibles citoyens », victimes de cette guerre endémique, n’ont pas eu droit à la justice. Ils n’ont bénéficié d’aucune réparation. Ils sont en permanence confronté à leurs bourreaux. Ceux-ci ont transformé le Congo-Kinshasa en  »un camp de concentration » où tous ceux qui osent critiquer l’interconnexion entre les groupes armés criminels opérant à partir du pays et ceux des pays voisins sont tués. Nous allons y revenir.
Dans sa critique menée contre le Dr Mukwege, Mende a une approche de la politique laissant à désirer. Il estime qu’une remise en question du fonctionnement du pays, un appel à l’alternance démocratique fait par ce médecin, c’est de la politique politicienne. Nous lui rappelons que la politique est l’art citoyen de participer en action et en conscience, là où l’on est, dans le respect des droits et des libertés fondamentales, à l’édification collective de la cité. Tout citoyen, toute citoyenne doit pouvoir s’adonner à cet art. Et si nous nous référons à une certaine approche Luba du pouvoir (traditionnel), nous dirons : « Bukalenge budi tshinsangasanga (…) » (Le pouvoir est le lieu de la participation collective.) Et cette participation collective passe souvent par le devoir de prendre la parole au cours de la palabre édificatrice de la cité (ou du village ou du pays.) Ici, la liberté d’expression est non seulement un droit mais un devoir reconnu aux membres de la collectivité.
Le reproche que Mende formule à l’endroit de Mukwege trahit la confiscation de l’espace public par  »les groupes armés criminels » ayant raté, depuis 1994, leur  »reconversion » en  »groupes citoyens civilisés ». Et l’interconnexion avec les autres groupes armés criminels des pays voisins animés par Kagame et Museveni conduit à transformer le Congo-Kinshasa en une jungle.
Dans cette jungle, l’exercice d’une parole critique allant aux causes matérielles de la guerre endémique dénoncée par Mende est passible d’une exécution extrajudiciaire. Souvent, les élites organiques et structurantes en paient le prix. Mgr Munzihirwa, l’un des prophètes congolais de l’église catholique, en a payé le prix. Il a, en 1996, pointé du doigt les acteurs pléniers de ladite guerre, leur mode opératoire, les proxys dont ils se servaient et les massacres des innocents que ces derniers perpétraient. « L’archevêque avait parlé très tôt. Il avait osé dénoncer l’imposture d’un groupe de crimnels au moment où le monde entier prenait les membres de l’Armée Patriotique Rwandaise pour les héros ayant stoppé le génocide au Rwanda. Mgr Munzihirwa avait simplement voulu nous tirer de notre ignorance et du profond coma dans lequel la propagande des médias nous avait plongés. Il a essayé de nous alerter quant aux convoitises des extrémistes tutsi sur le Congo. Nous n’étions pas prêts à l’entendre, étourdis par la bruyante campagne sur  »le génocide tutsi » au Rwanda. Ceux qui jouaient aux « victimes  du génocide tutsi » du Rwanda étaient déjà en train d’exterminer des Congolais et nous ne voulions pas le voir. »1
Le Père Vincent Machozi vient d’en payer le prix le dimanche 20 mars 2016. Il a osé décrié l’instrumentalisation des ADF/Nalu dans le génocide des Nandes par le duo Kagame-Kabila.
Il a eu l’audace de parler de l’expropriation des terres congolaises par ce duo au profit des pays voisins. Il fustigeait « le grave danger de toute rallonge au pouvoir de Joseph Kabila. Les congolais dignes de ce nom, disait-il, doivent refuser toute forme de transition. En effet, au vu de ce qui passe au Kivu-Ituri, toute transition au-delà de décembre 2016, donnerait du temps et des moyens au gouvernement congolais qui est, de toute évidence, complice de l’occupation rwandaise du Kivu-Ituri en cours. »
En relisant le point de presse tenu par Lambert Mende le 24 mars 2016, nous sommes rappelé le travail abattu par le groupe Gersony et des documents qu’il a traités confidentiellement. L’un des document fut « une lettre de Paul Kagame, datée du 10 août 1994, faisant état d’un plan de Museveni sur le Zaïre et leurs « collaborateurs belges, américains et britanniques ». Kagame y affirmait que les réfugiés hutu au Zaïre étaient un problème pour la mise en œuvre de ce plan. »2 Le documentaire Rwand’s untold story revient sur ce plan en soutenant que l’invasion de l’Ouganda (1986) et du Rwanda (1990) avait pour objectif majeur la mise du Congo-Kinshasa en coupe réglée. Mende dit donc  »la vérité » quand il soutient que la guerre endémique menée contre les paisibles citoyens congolais fut menée par des coalitions des puissances étrangères et des groupes armés criminels. En s’en prenant à Mukwege, il se rend compte que les soutiens étrangers dont son groupe criminel a bénéficié hier sont en train d’être offerts aux autres congolais.
Pour dire les choses autrement, les coalitions des puissances étrangères n’ont pas renoncé à leur guerre endémique. Elles tiennent à la poursuivre  »démocratiquement » en changeant ou en diversifiant les proxys. Aux dépens des paisibles citoyens congolais. Ces derniers ayant renoncé à l’entretien de la mémoire collective consciente  »font le plein » dans les stades pour acclamer les futurs proxys et  »gouverneurs de l’ordre néolibéral et néocolonial ».
Comme à l’époque de Mgr Munzihirwa, des masses entières de paisibles citoyens congolais sont replongés dans l’ignorance et dans un profond coma. L’espace public du débat contradictoire étant verrouillé, elles ne savent plus à quel saint se vouer. Elles applaudissent à la musique des  »amis d’hier du raïs » et de  »l’opposition du statu quo ». Abruties et dégradées par plus de trois décennies de mobutisme et de néocolonialisme ; et par plus d’une décennie de  »la kabilie », ces masses de paisibles citoyens risquent à tout moment de sombrer profondément dans la religiosité imbécillisante ou dans les plaisirs obscènes. Elles ont besoin d’un révolution culturelle qui les mette à l’école de la mémoire historique consciente et les transforme en masses critiques.
Mbelu Babanya Kabudi
1C. ONANA, Ces tueurs tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009, p.111.
2P. PEAN, Carnages. Les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Paris, Fayard, 2010, p. 552.

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