Notre part à nous Congolais(es) est immense !

« L’outil le plus puissant  que détienne l’oppresseur est la pensée de l’opprimé. » S. BIKO

Un pays ne peut pas être livré aux appétits voraces externes sans des complicités internes.  Le tout est de pouvoir examiner, la tête froide, le niveau de ces complicités internes. Engagés dans une malencontre  où la réciprocité est exclue  et cela depuis plus de cinq siècles, les Congolais doivent pouvoir passer au peigne fin leur histoire (sur un temps long) pour  dire leur part de responsabilité. L’asymétrie des rapports de force ne peut pas être évoquée comme l’unique raison justifiant une part de notre démission collective. Cela étant, il est aussi nécessaire de rester à l’écoute de nos rares amis occidentaux ayant pris le temps de s’intéresser à ces cinq siècles de notre histoire commune.

Voulant répondre à la question de savoir pourquoi le Nord est riche et le Sud pauvre, Michel Collon écrit : « Depuis cinq siècles, nos grandes sociétés occidentales ont pillé les richesses du tiers-monde, sans les payer. On pourrait faire le tableau de chaque pays riche et montrer l’origine lointaine de chacune de ses grandes fortunes. On pourrait faire l’histoire de chaque pays pauvre et montrer qui l’a pillé et comment. Bref, nous-ou plutôt certains d’entre nous- sommes des voleurs et c’est pour ça que nous sommes riches : voilà ce qu’on ne peut absolument pas dire dans les médias. »[1]  Plusieurs livres et articles publiés par Michel Collon ou les abonnés de son site Investig’Action  apportent plusieurs preuves pour étayer cette thèse. Et nous ? Nous devons revisiter l’histoire de ces cinq siècles régulièrement pour comprendre ce qui nous arrive. Car ce passé n’est pas encore passé.

Nous avons, en effet, une relation conflictuelle à notre histoire collective et à celle de l’Afrique.  Nous tombons donc très facilement dans le culte de nos bourreaux autrement dénommé ‘’larbinisme’’. Pourtant, il existe des documents de référence  pouvant nous aider à relire cette histoire correctement. Actuellement, ‘’Le discours sur le colonialisme’’ d’Aimé  Césaire est téléchargeable sur Internet.

Ce texte datant des années 50 reste d’actualité.  Il aide à comprendre qu’une bonne partie des malheurs de l’Afrique et du Congo-Kinshasa est liée au fait qu’il y a eu ‘’malencontre’’  entre les  Africains et l’autre, venu d’ailleurs. Cet autre, mercantiliste et jouant avec les principes humanistes sur lesquels il prétend être fondé, a nié l’humanité de l’homme africain, le ravalant au statut  de ‘’nègre de champ’’ ou ‘’de service’ ou à celui de vassal.  Le déni de l’humanité à l’Africain a donné lieu à plusieurs formes d’humiliation. Il est curieux que plus de cinq décennies plus tard, Bertrand Badié revienne sur ce thème en l’approfondissant  dans un livre traitant de la ‘’pathologie des relations internationales’’[2].

Notre relation conflictuelle à notre histoire, l’amnésie qu’elle induit et le manque de culture de la mémoire  historique collective constituent, à nos yeux, des problèmes très sérieux.

Les peuples ayant connu des situations aussi dures que les nôtres s’en sortent (entre autres) en recourant à une relecture maîtrisée de leur histoire. Il est rare qu’un président Sud-américain prenne la parole à de grands rassemblements nationaux ou mondiaux sans relire, tant soit peu, l’histoire de  la résistance de cette partie du monde pendant au moins 500 ans.  Que ça soit Raul Castro[3], Evo Morales, Rafael Correa, Hugo Chavez (ou Maduro), la référence à l’histoire est une constante.  La Russie de Poutine est en train de faire des pas de géant depuis les années 2000. Mais qu’y a-t-il  dans ‘’la tête de Vladmir Poutine’’ ? L’histoire de tout un peuple. L’histoire de sa grandeur et de ses grands noms.  Le livre critique de Michel Eltchaninoff  est suffisamment éloquent à ce sujet[4].

Ce n’est pas s’engager sur la voie de la recherche du bouc émissaire si, voulant comprendre  notre passé pour savoir d’où nous venons, nous nous posons la question de savoir pourquoi il y a eu une non-réciprocité dans notre rencontre avec l’autre  depuis l’époque de l’esclavage, de la colonisation et du nécolonialisme. Et d’en étudier les conséquences et les dégâts collatéraux. Quand ce travail n’est pas fait, en conscience, ces paradigmes d’indignités peuvent être admirés par ceux à qui ils ont ravi toute humanité.

Dans leur dernier petit livre, Noam Chomsky et André Vitchek sont étonnés qu’ils y aient des  colonisés qui, longtemps après, regrettent la colonisation ; c’est-à-dire leur état de dominés. Chomsky en vient à comprendre que « la plus grande force de la hiérarchie coloniale et de l’oppression est de savoir convaincre les non-personnes de considérer leur statut comme naturel. »[5]

Notre part, dans la non-maitrise de notre histoire, est immense. Pas  de  « l’histoire officielle » telle qu’elle a été  écrite et encore écrite par « ses faiseurs ». Non. Celle écrite par Lumumba, Kimbangu, Kimpa Vita, etc. et les actuels dignes fils et filles du Congo-Kinshasa engagés dans l’étude des enjeux géostratégiques et géoéconomiques de l’Afrique et du Congo. L’histoire telle que Cheikh Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo, Aminata Traoré, etc. sont en train de la réécrire. A ce point nommé, notre part est grande. Nous lisons de moins en moins.

Or, si nous n’avons pas la maîtrise de notre mémoire collective, nous ne saurons pas devenir réellement libres. « Un peuple sans mémoire, dit Danielle Mitterrand, ne peut pas être un peuple libre. »

La non-maîtrise de cette histoire ne facilite pas la maîtrise du mode opératoire de l’autre ; de celui  avec qui il y a eu ‘’malencontre’’ depuis 1482 et qui n’est plus parti de l’Afrique et du Congo-Kinshasa. Il a beau nous dire lui-même comment il utilise par exemple les IFI internationales comme ‘’tueurs à gage’’, cela ne nous convainc pas. Il a beau nous dire qu’il travaille avec des ‘’assassins financiers’’, c’est-à-dire « des professionnels grassement payés qui escroquent des milliards de dollars à divers pays du globe. Ils dirigent cet argent de la Banque mondiale, de l’Agence américaine du développement internationale (US Agency for international Development ou USAID) et d’autres  organisations « humanitaires » vers les coffres de quelques familles richissimes qui contrôlent les ressources naturelles de la planète. Leurs armes principales : les rapports financiers frauduleux, les élections truquées, les pots-de-vin, l’extorsion, le sexe et le meurtre. »[6] Il a beau nous dire par le truchement de ces « assassins financiers » que les dettes  contractées par les pays du Sud auprès des ‘’tueurs à gage’’  économiques que sont le FMI et la Banque mondiale servent à exproprier les pays du Sud de leurs richesses. Non. Tout cela ne nous dit rien. Souvent, nous nous en prenons à celui qui a su cela avant nous et lui disons : « Pourquoi nous dis-tu cela ? Nous n’avons pas besoin de le savoir. C’est nous qui sommes mauvais. »  Cette option pour ne rien apprendre de l’autre que nous faisons abusivement passer pour ‘’notre partenaire’’ alors qu’il nous  réserve un traitement de ‘’dominés’’ est étrange ! Surtout quand c’est lui-même qui met à notre disposition sa documentation. Lire John Perkins aujourd’hui, feuilleter ‘’Le Grand Echiquier ‘’ de Brzezenski’’ ou en lire le commentaire chez Jean-Loup Izambert[7], écouter George Friedman,  consulter ‘’la doctrine US de la sécurité nationale’’ pour 2015, tout cela est facilité aujourd’hui par les NTIC. Ce travail intellectuel permet d’éviter, tant soit peu, l’arbitraire et d’avoir des arguments factuels dans certains débats sur les questions ayant trait aux enjeux globaux.

Il arrive que le  manque de goût pour la recherche, l’attrait de l’ignorance, la loi du moindre effort et le décervelage favorisés par les médias dominants  soient des handicaps  sérieux sur cette voie de l’effort intellectuel. La paresse intellectuelle nous cloue souvent devant nos télévisions et ferme nos cerveaux. Le refus d’apprendre provoque de temps en temps de la jalousie à l’endroit de ceux ont fait l’option d’étudier, d’approfondir certaines questions et de partager le fruit de leurs recherches. Souvent, nous avons envie de leur poser cette question : « Pour qui voulez-vous vous prendre ? » Il y a parmi nous comme une tendance au nivellement par le bas et une guerre à mort menée contre certains « empêcheurs de penser en rond ». Ceci aussi est une faiblesse.

L’avarice, la cupidité  et le manque de voyance de plusieurs d’entre nous ont contribué à faire le jeu des proxies des anglo-saxons  depuis les années 60 jusqu’à la guerre raciste de 1996-1997.  ‘’Le plan  de colonisation’’ de l’Est du Congo-Kinshasa tel qu’il est détaillé  dans l’un des livres de Charles Onana est instructif.

A son premier point, il dit ceci : « Tous les Tutsi  doivent savoir que les Hutu sont apparentés aux Congolais et que notre plan de colonisation doit s’appliquer aux deux groupes. »[8]  Et pour que ce plan réussisse, que prévoient-ils de faire ? « Nous devons lutter contre les Wanandes (Congolais) et les Hutu (apparentés aux Congolais) (…) en nous servant des Hutu naïfs. Profitons de cette cupidité des  Hutu (apparentés aux Congolais). Offrons-leur de l’alcool et de l’argent. Ne regardons pas ce que nous dépensons car  nous avons suffisamment d’argent. »[9]

Ce 18ème point du ‘’plan de colonisation’’ de l’Est du Congo-Kinshasa n’a-t-il pas connu un début de réalisation avec la guerre de l’AFDL et surtout les élections bidons de 2006 qui ont fini par convaincre les plus naïfs d’entre les Congolais(es), majoritaires,  qu’ils avaient à ‘’choisir entre la peste et le choléra’’ en avalisant le choix européen un membre du FPR comme ‘’Président’’ du Congo-Kinshasa[10] ? Par la suite, plusieurs d’entre nous ont ‘’bouffé de l’argent’’ à leurs différents postes de responsabilité  pour que l’occupation du pays devienne effective. ‘’Les Honorables’’ ont ‘’bouffé de l’argent’’ avant de voter plusieurs lois. Plusieurs d’entre eux font aujourd’hui partie des habitants de ‘’la République de la Gombe’’ coupée  de préoccupations  et des misères quotidiennes de nos masses populaires.

Ceci est aussi notre part dans la descente aux enfers de notre beau pays. Nous l’avons trahi en le vendant aux anglo-saxons et à leurs proxies.

Cela étant, quand nous disons ‘’nous’’, nous devrions voir la part de chacune et de chacun. Ceux et celles qui ont été ‘’les chiens de garde’’ de l’impérialisme et du néocolonialisme, ceux et celles qui ont été  dans les rébellions ou qui les ont soutenues, ceux et celles qui ont soutenu et répandu les idéologies impérialistes et néocolonialistes, ceux et celles qui ont vendu leurs cœurs  et leurs esprits pour voter des lois scélérates sont beaucoup plus responsables que les masses populaires paupérisées et avilies.

Quand nous disons ‘’nous’’, nous devrions voir un peu plus ceux et celles qui ont évolué au niveau des institutions et des organisations gouvernementales. Mais aussi ceux et celles qui, pouvant jouer le rôle de prophète, ont préféré donner leur langue au chat.

Notre conviction est que la relecture de toute cette histoire devrait conduire les filles et les fils du Congo-Kinshasa à dépasser l’esprit partisane pour créer une immense organisation supra-partisane capable, en conscience, de relever le défi de notre  assujetissement et de  notre abâtardissement collectif. Le Congo-Kinshasa compte malheureusement plus de 400 partis politiques.

Non, plus 400 partis politiques, c’est trop. Ils témoignent de notre manque du sens de l’histoire et du surdimensionnement  de nos egos.   Ceux et celles d’entre nous qui ont suffisamment de la voyance doivent prendre le taureau par les cornes.

Ou nous acceptons de créer cette organisation supra-partisane en la fondant sur un manifeste  semblable au Manifeste  que Malula et ses amis ont co-écrit en 1956 ou nous continuons à cajoler nos egos pour un perpétuel esclavage volontaire.

Une grande organisation supra-partisane respectueuse de ses composantes et mise en place en conscience peut nous aider à résoudre la question de la Direction et à remettre le pays sur les rails.

Non, plus 400 partis politiques, c’est une folie.

Néanmoins, notre part n’a pas été que négative. N’eût été  la résistance des minorités organisées et  agissantes à travers le pays et la diaspora, le Congo-Kinshasa aurait physiquement disparu. Il est encore là. Le 19, le 20 et le 21 janvier 2015, cette résistance   a été visible dans les rues de Kinshasa et de certaines  provinces du pays. Et cette résistance  a jalonné toute l’histoire du Congo-Kinshasa depuis Kimpa Vita, Kimbangu, Lumumba, etc. Cette résistance doit pouvoir animer l’organisation supra-partisane que nous appelons de tous nos vœux pour trouver des solutions à la question de la Direction. L’autre n’a pas croisé les bras. Sa vison messianique de l’avenir du monde le pousse à opter pour la guerre et les situations apocalyptiques. Il travaille avec ‘’les tueurs à gage’’ internes et externes comme l’atteste Pierre Hillard[11] dans plusieurs de  ses livres et dans cette vidéo (en quatre parties). Ou nous optons pour l’ignorance et nous tombons dans ses pièges (avec ses ‘’nègres de service’’) ou nous approfondissons la connaissance de son mode opératoire et nous court-circuitons  ‘’ses guerres humanitaires’’ en 2015 et en 2016 au Congo-Kinshasa. Les élites organiques et structurantes doivent êtres vigilantes aux côtés d’autres amis d’ailleurs, lanceurs d’alerte.

 

Mbelu Babanya Kabudi

[1] M. COLLON, Bush le cyclone, Bruxelles, Oser dire, 2005, p. 16.

[2] B. BADIE, Le temps des humiliés. Pathologie des relations internationales, Paris, Odile Jacob, 2014.

[3] http://www.legrandsoir.info/discours-de-m-raul-castro-ruz-au-viieme-sommet-des-ameriques-panama-le-11-avril-2015.html

[4] M. ELTCHANINOFF, Dans la tête de Vladimir Poutine. Essai, , Actes Sud, 2015.

[5] N. CHOMSKY et A. VLTCHEK, L’Occident terroriste. D’Horoshima à la guerre des drones, Montréal, Ecosociété, 2015,  p. 28.

[6] J. PERKINS, les Confession d’un assassin financier. Révélation sur les manipulation des économies du monde par les Etats-Unis, Québec, Alterre, 2005, p. XI. Ce livre est téléchargeable en PDF : http://nicole-guihaume.com/wp-content/uploads/2015/06/John-Perkins-Les-Confessions-d-Un-Assassin-Financier.pdf

[7] J.-L. Izambert, Crimes sans châtiment, Paris, 20 cœurs, 2013, p. 287.

[8] C. ONANA, Ces tueurs Tutsi. Au cœur de la tragédie congolaise, Paris, Duboiris, 2009, p. 93.

[9] Ibidem, p. 95.

[10] Pour en savoir plus, il est souhaitable de lire C. ONANA, Europe, crimes et censure au Congo. Les documents qui accusent, Paris, Duboiris, 2012.  Il y a aussi cet article de Raf Custers sur les patrons allemands. Il jette suffisamment de lumière sur la mascarade électorale de 2006 : http://www.indymedia.be/index.html%3Fq=node%252F2375.html

[11] https://www.youtube.com/watch?v=7O2aXfjAtRI

Leave a comment

Your email address will not be published.


*