Au Congo-Kinshasa, ‘’le glissement’’ peut être le nom d’’’un coup d’Etat permanent’’

« Un peuple sans mémoire ne peut pas être  un peuple libre. »  D. MITTERRAND

 

kabila (3)De quoi  ‘’ le glissement’’ dont il est question depuis tout un temps peut-il être le nom ?A partir d’une relecture  sans complaisance de notre histoire collective, nous émettons une hypothèse selon laquelle, ‘’ le glissement’’ est le nom d’ ‘’un coup d’Etat permanent’’[1] fait  au Congo-Kinshasa depuis  l’assassinat de Patrice-Emery Lumumba le 17 janvier 1961 et l’instrumentalisation de son ex-secrétaire, Joseph-Désiré Mobutu, par  les initiateurs de la guerre froide  pour qu’il soit leur pion au cœur  de l’Afrique.

En 1961, en effet, ‘’les maîtres du monde’’ neutralisent les résultats du suffrage universel de 1961 et s’infiltrent dans les institutions congolaises pour diriger le pays de Lumumba par une marionnette interposée. Ils vont utiliser certains de leurs hommes de main  pour néocoloniser le Congo-Kinshasa.

Le Wall Street Journal a mené, en 1990, une enquête très  importante à ce sujet.

Un Belge,  Jacques  de Groote, déjà présent à la Table Ronde de Bruxelles en 1960, directeur exécutif pendant très longtemps de la Banque mondiale et du FMI pendant vingt ans,  « a usé systématiquement de son influence  (…) pour servir les intérêts du dictateur Mobutu. »[2] Et lui, Mobutu, après l’assassinat de Lumumba, « agit en conformité avec les intérêts de la Belgique et des Etats-Unis. Le 24 novembre 1965, Mobutu prend définitivement le pouvoir par un coup militaire en destituant le président Kasavubu. De  mars 1966 à mai 1969, de Groote est conseiller économique du gouvernement de facto de Mobutu, il est également conseiller à la Banque nationale du Congo. Il joue un rôle actif dans la mise sur pied de la politique économique du pays ainsi que dans les négociations entre Mobutu, le FMI, la Banque mondiale et le gouvernement des Etats-Unis. »[3]  La question du conflit d’intérêt n’est pas prise en compte. Et il y a pire. « En violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la Banque mondiale a octroyé des prêts  à la Belgique, à la France, à la Grande-Bretagne, pour financer les projets dans leurs colonies. »[4] Quelle est la conséquence à long terme de cette violation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? « Ces prêts permettent aux pouvoirs coloniaux de renforcer le joug qu’ils exercent sur les peuples qu’ils ont colonisés. Ils contribuent à approvisionner les métropoles coloniales en minerais, en produits agricoles, en combustible. »[5] Tout cela sous la supervision des ‘’tueurs à gage’’ économiques que sont la Banque mondiale et le FMI et sous le regard de l’Etat profond anglo-saxon.

Rappelons que c’est finalement l’année dernière (c’est-à-dire Cinquante-trois ans après) que les USA  ont reconnu avoir participé à l’assassinat de Lumumba et d’avoir décidé d’occuper le Congo-Kinshasa pour quelques décennies[6].

Il faut donc savoir que les institutions congolaises ont été infiltrées (ou agencifiées) par ‘’les maîtres du monde ‘’ et ‘’leurs nègres de service’’  après la neutralisation du suffrage universelle de 1960 et cela jusqu’à ce jour[7].

Rappelons aussi que vers la fin officielle de ‘’la guerre froide’’, c’est un ambassadeur américain, Bill Richardson  qui ira dire à Mobutu que c’est fini et que s’il ne voulait pas que son cadavre puisse être traîné dans les rues de Kinshasa, il devait partir du ‘’pouvoir-os’’.  Et comme nous le notions dans notre précédent article « la guerre raciste menée contre le Congo-Kinshasa dans les années 1990 a été soutenue par les anglo-saxons et plusieurs entreprises multinationales travaillant main dans la main avec le FMI et la Banque mondiale. »[8] Et citant Colette Braeckman, nous notions que « des sociétés relativement modestes, comme  AMF, qualifiées de « juniors » sur la place de Toronto et  qui accepteraient de traiter avec les « rebelles », n’étaient en réalité que des « poissons-pilotes » qui se proposaient, après la fin de la guerre, de revendre leurs avoirs aux transnationales. Ces derniers, avant de s’engager, exigeaient en effet que soit rétablie une certaine stabilité politique, et surtout que le nouveau régime (de Mzee Kabila) ait renoué avec les deux huissiers du grand capital, le FMI et le Banque mondiale. »[9]

Quand Mzee Kabila est assassiné, ‘’Joseph Kabila’’ vient  ‘’aux affaires-os’’ et renoue avec ‘’les tueurs à gage’’ économiques (la BM et le FMI) et est porté  par ‘’l’Etat profond anglo-saxon’’ comme ‘’Cheval de Troie’’ de Kagame, ‘’le kind of guy’’ de ce même ‘’Etat’’[10]. Dans un ‘’Etat  raté’’ mis sous tutelle de l’ONU,  des élections bidons sont organisées à partir de 2006  pour que le processus de neutralisation du suffrage universel par ‘’les maîtres du monde’’ et ‘’leurs proxys’’ se perpétue.

D’ailleurs, quand ‘’les maîtres du monde’’  financent ‘’les élections-pièges-à-cons’’ de 2006, ils disent à ceux qui veulent les entendre que ce sont leurs élections. Des compatriotes congolais de la diaspora ayant été observateurs à ces ‘’élections bidons’’ ont entendu ce refrain à plusieurs reprises. Ils avaient donc intérêt à promouvoir celui qui était apte à  répondre aux diktats des ‘’huissiers du grand capital’’. En 2011, lui-même, ‘’le Cheval de Troie’’ de Kagame a reconnu qu’il y avait eu des fraudes.

Il y a donc un processus frauduleux de ‘’coup d’Etat permanent’’ initié au Congo-Kinshasa par ‘’les maîtres du monde’’ et ‘’leurs nègres se service’’ depuis l’assassinat de Lumumba jusqu’à ce jour. Ce processus  change constamment de dénomination. Il se nomme ‘’dictature sous Mobutu’’, ‘’ dictature  sous Mzee Kabila’’, ‘’premières élections démocratiques sous ‘’Joseph Kabila’’ ou ‘’jeune démocratie’’. Il se nomme aussi ‘’Révolution de la modernité’’ ou ‘’Kabila désir’’. C’est le même processus de ‘’la décadence et de la disparition du congolais comme peuple historique’’ par refus d’une relecture collective d’une histoire de la colonisation et de la néocolonisation.

‘’Le glissement’’ est le nom de ce processus de notre collectif assujetissement et abâtardissement. Le Congo-Kinshasa a besoin d’un autre Lumumba opérant au cœur d’un leadership collectif comme un ‘’Primus inter pares’’. Les élites organiques et structurantes congolaises doivent nous fabriquer  ce Lumumba et nous débarrasser du processus mensonger de ‘’la pseudo-démocratie’’ chantée par ‘’la kabilie’’ et  les autres partisans du statu quo. Cela prendra le temps que ça prendra. Mieux vaut travailler sur le moyen et long terme pour refonder l’Etat congolais anéanti quelques jours après sa naissance que de croire en une fausse ‘’jeune démocratie  congolaise’’ vendue par les médias dominants au service des ‘’maîtres du monde et ceux qui leur obéissent’’.

 

Mbelu Babanya Kabudi

[1] Ce titre  est emprunté au livre d’Eric Toussaint  intitulé ‘’Banque mondiale : le coup d’Etat permanent’’   (2006). Un livre dans lequel, avec des preuves à l’appui, il montre que la Banque mondiale, depuis sa création, ne tient aucunement compte des recommandations des  Nations unies et qu’elle constitue un soutien permanent aux dictateurs. Elle fait semblant de lutter contre la pauvreté pendant que son action la favorise.

[2] E. TOUSSAINT, Procès d’un homme exemplaire. Jacques de Groote, directeur exécutif au FMI et à la Banque mondiale pendant 20 ans, CADTM, Al Dante, , 2013, p 19.

[3] Ibidem, p.25-26.

[4] Ibidem, p. 27.

[5] Ibidem.

[6] Lire notre article sur ce lien http://www.ingeta.com/la-production-des-etats-rates/

[7] Sur ce point, lire E. KABONGO MALU, Décadence et disparition du congolais comme peuple historique : analyse  phénoménologique de l’identité collective perdue dans  . KANKWENDA MBAYA et F. MUKOKA NSENDA (Sous la direction de), La République Démocratique du Congo face au complot de balkanisation et d’implosion, p. 357-391.

[8] http://www.congoindependant.com/article.php?articleid=10115

[9] C. BREACKMAN, Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique centrale, Paris, Fayard,  2003, p. 183-184.  Sur cette question, il serait souhaitable de lire ou de relire  P. MBEKO, Le Canada dans les guerres en Afrique centrale. Génocides & pillage des ressources minières du Congo par le Rwanda interposé, Canada, Le Nègre éditeur, 2008. Il serait aussi intéressant de lire ou de relire  A. DENEAULT, D. ABADIE et W. SACHER, Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique, Montréal, Ecosociété, 2008

[10] http://www.voltairenet.org/article167964.html

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