Demain, après Kabila, rompre avec l’ensauvagement

Au Congo-Kinshasa, le fondamentalisme du marché prend appui sur le fondamentalisme religieux prônant  »la bénédiction-réussite individuelle » et disqualifiant  »l’autre » en l’assimilant au sorcier et au démon. Il atomise les familles et casse le ressort de la solidarité et de la fraternité. Le débat rationnel et raisonnable pouvant servir de lieu de la production collective d’une éthique reconstructive est rejeté et/ou inconnu. Pourtant, il nous semble être le lieu indépassable de la réfaction de l’interconnexion entre les différents domaines du monde vécu indispensable à la refondation de l’Etat ; d’un Etat social, promoteur de la justice sociale(de la famille, à la rue, au quartier, à la ville, au territoire jusqu’à la province), de la sécurité populaire, d’une spiritualité et d’une culture combattant le précariat et au service de la vie.
La guerre raciste et de basse intensité menée contre le Congo-Kinshasa depuis les années 1990 a fini par transformer le pays de Lumumba en une jungle, à un endroit où est affirmé le déni absolu de l’humain (au nom d’une approche diabolique de l’argent et du pouvoir-os). Au cours de cette guerre, les digues éthico-spitiruelles et morales (classiques ou traditionnelles) ont cédé. Il y a eu, depuis lors, une très grande  »propagation de la culture de la mort », d’une sorte thanatophilie. Qui dit culture de la mort, ne fait pas tout simplement au fait de tuer. Non. Il dit apprentissage de la façon de tuer et convictions acquises sur la nécessité de donner la mort.  »Les kadogos » (les enfants soldats) ayant maîtrisé cette culture de la mort n’ont fait que la transmettre aux autres en l’entretenant. L’un d’eux,  »le commandant Hyppo », l’entretient au pays de Lumumba jusqu’à ce jour.
Dans une jungle où domine la loi de la force brute, l’apprentissage de la culture de la vie devient un acte héroïque. L’anomie provoquée par cette guerre raciste de basse intensité et de prédation complique les choses et fait des émules dans la propagation de la culture de la mort. Cela d’autant plus que cette guerre a atomisé les familles et détruit la culture de la vie. Elle témoigne que là où règne la cupidité, là où les cœurs et les esprits sont gagnés par une recherche diabolique de l’argent et du pouvoir pour le pouvoir, là aussi apparaît une grave régression anthropologique. Là, l’humain régresse spirituellement, moralement, culturellement, juridiquement, économiquement et socialement. L’un des livres écrit par les témoins de cette régression anthropologique congolaise au sujet de ladite guerre est intitulé  »Guerre et droits de l’homme en République Démocratique du Congo. Regard du Groupe Justice et Libération », publié sous la direction de Jean-Pierre Badidike 2009.
La cupidité dans l’approche diabolique de l’argent et du pouvoir (de nègres de service) provoque l’exclusion sociale. Rappelons que l’adjectif diabolique vient du verbe gec diabolein. Et ce verbe signifie diviser, séparer. La cupidité dans l’approche diabolique de l’argent et du pouvoir a séparé  »les kadogos thanatophiles » et leurs clients (de la République de la Gombe et de Limite) de l’immense majorité de Congolais(es). Elle a créé des masses entières de compatriotes précaires.
Le précariat a engendré, dans plusieurs cœurs et plusieurs esprits congolais, des sentiments d’indignité et de manque de fierté (d’être soi). La répression et l’oppression qui l’accompagnent ont créé des compatriotes dégradés et assujettis à ces  »négriers des temps modernes » et à  »leurs parrains ».
Dans ce contexte, la tendance à croire dans la loi de la force brute et non dans la force de la loi devient très forte ; elle gagne plusieurs cœurs et plusieurs esprits. Il serait même tentant de soutenir que cette tendance est  »contagieuse ». Elle a atteint la diaspora congolaise et plusieurs autres Congolais(es) de l’ étranger. Elle atteste que la cupidité dans l’approche diabolique de l’argent et du pouvoir est un phénomène mondial ainsi que la régression anthropologique qu’elle engendre. (Lire M. PINCON-CHARLOT et M. PINCON, Les prédateurs au pouvoir. Main basse sur notre avenir, 2017). Celle-ci témoigne que le précariat n’est pas que matériel. Il est aussi spirituel et intellectuel.
Au Congo-Kinshasa, un pas aurait été fait dans le sens de la rupture avec ce précariat si, au début des années 2000, une Commission Justice, Vérité et Réconciliation avait été mise en place. Elle aurait permis, qu’à travers des collectifs citoyens organisés sous forme de la palabre africaine, un tant soit peu de Vérité soit rendue sur les acteurs pléniers et les acteurs apparents de la guerre raciste de basse intensité menée contre le Congo-Kinshasa. Les réparations qui en seraient sorties auraient rendu un peu de dignité et de fierté aux victimes que cette guerre a blessé dans leurs cœurs et leurs esprits. Cette justice réparatrice et réconciliatrice aurait eu l’avantage d’ajouter la dimension éthique à la politique congolaise en quête de la fin de la guerre perpétuelle imposée au pays.
En effet,  »lorsque des peuples se sont infligé des violences- et la même chose vaut pour les relations entre les individus-, ils ne peuvent se réconcilier qu’à la condition de reconnaître leurs fautes passées, publiquement, et, à tout le moins, face à l’intéressé ; d’accepter d’engager avec ce dernier et moyennant la médiation d’un tiers, une thématisation coopérative de ce passé qui  »ne passe pas ». Pour penser leurs plaies, les individus comme les peuples ont besoin de raconter mais aussi de confronter leur vécu. Il ne suffit pas, en effet, de  »se raconter à soi-même, sans considération pour le vécu de l’autre. Le vrai » travail de mémoire » n’est pas seulement un récit de soi ». Il s’agit plutôt (…) de se décentrer vers autrui, de s’ouvrir au récit de son vécu plus ou moins traumatique ; et l’autre doit pouvoir faire autant de son côté. » (J.-M. FERRY, Entretiens (avec) William Bourton, Bruxelles, Labor, 2003, p.47. La mise en pratique de cette éthique reconstructive, dans sa double dimension d’éthique de responsabilité tournée vers le passé et d’éthique de réconciliation tournée vers l’avenir aurait été une bonne base pour instaurer un minimum de paix au Congo-Kinshasa et dans la région des Grands Lacs africains. Malheureusement, la logique de la cupidité diabolique l’a emporté et l’emporte encore sur la nécessité d’une éthique reconstructive. Or, la cupidité diabolique dans la recherche effrénée de l’argent et du pouvoir ne s’installe que là où l’anomie (et ou les lois arrangées), les violences et les injustices deviennent monnaie courante. Le Congo-Kinshasa est, donc, encore loin de sortir de l’auberge. Une bonne partie de ses filles et fils vivant à l’extérieur de leur terre-mère sont pris dans le même travers.
Pourtant, il ne semble pas être trop tard pour mieux faire ! Même si le problème semble être plus profond qu’il ne paraît.
La pratique de la politique au Congo-Kinshasa est dominée, comme en Occident, par le phénomène de la rationalisation du monde vécu en plusieurs sphères dont la connexion (ou l’interconnexion) est déniée. Affirmer, dans une bonne division du travail, que le monde vécu comprend, entre autres les domaines social, économique, culturel, spirituel et éthique et chercher à soutenir que chacun de ces sphères jouit, en réalité, d’une totale autonomie vis-à-vis des autres, c’est opter pour une rationalisation à l’extrême. Si cette rationalisation des domaines du monde vécu permet de mieux les étudier et de travailler à leur promotion, il devrait en être de même au sujet de leur lien ou de leur interconnexion, de leur complémentarité dans la réalité quotidienne. La rationalisation à l’extrême du domaine économique a conduit à sa colonisation du social, du politique, de l’éthique et du spirituel. Et l’instrumentalisation de ce domaine économique par les prédateurs et leurs experts au travers du  »soft totalitarisme » ou du fondamentalisme du marché a conduit au  »triomphe de la cupidité » et à  »la perte de la boussole éthique ». D’où le déni absolu de l’autre, du monde multipolaire, du spirituel et de la culture de la vie.
Au Congo-Kinshasa, le fondamentalisme du marché prend appui sur le fondamentalisme religieux prônant  »la bénédiction-réussite individuelle » et disqualifiant  »l’autre » en l’assimilant au sorcier et au démon. Il atomise les familles et casse le ressort de la solidarité, de la fraternité et du convivialisme. Le débat rationnel et raisonnable pouvant servir de lieu de la production collective d’une éthique reconstructive est rejeté et/ou inconnu. Pourtant, il nous semble être le lieu indépassable de la réfaction de l’interconnexion entre les différents domaines du monde vécu indispensable à la refondation de l’Etat ; d’un Etat social, promoteur de la justice sociale(de la famille, à la rue, au quartier, à la ville, au territoire jusqu’à la province), de la sécurité populaire, d’une spiritualité et d’une culture combattant le précariat et au service de la vie.
Dans ce contexte, il appartient aux élites organiques et co-structurants ainsi qu’aux autres ascètes provisoires congolais de s’engager avec les masses populaires, dans une lutte non-violente et sans merci, pour l’éclosion des espaces de vie et de  »Looso », de  »Kinzonzi » et de  »Masambakanyi » pour contrer  »la politique du chaos et du mensonge » (le tshididi) tout en conservant l’option de la légitime défense au cas où les forces de la mort et leurs proxies chercheraient à poursuivre, en premier, le versement du sang congolais.
Babanya Kabudi
Génération Lumumba 1961

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