Le 02 août 2023 : des larmes ont coulé, la tristesse a envahi les visages et les coeurs

« Multiplions les réflexions pour sortir notre peuple de la distraction » (J.B.)

Mise en route

 »Les jeux et le pain » peuvent être des pièges pour les foules consuméristes. Ils peuvent être porteur, pour elles, d’un  »soft power » acculturant, déculturant et/ou néocolisateur ou nécessaire à l’hybridation, à la  »digenèse ». Etre attentif et critique à l’endroit des organisateurs des lieux  »des jeux et du pain » est un devoir citoyen.

Au Kongo-Kinshasa,  »les jeux dits de la Francophonie » ont pris dix jours. Et le deuil officiel pour nos millions de mort, un seul jour. Soit ! Il ne faut peut-être pas comparer l’incomparable. Malheureusement, je me suis frotté à une discipline qui m’a habitué  à la question du  »pourquoi ». Heureusement, je peux poser la question : « Pourquoi dix jours pour  »les jeux » et un seul pour le deuil national ? »

Heureusement qu’à la fin des  »jeux », Ferre Gola, suivant les leçons du  »petit-fils-de-sa grand-mère » a pensé à offrir une petite belle mélodie méditative sur  »le génocide silencieux ». Il a dit à ses frères et soeurs habitant l’Est du pays qu’ils ne sont pas oubliés.

Pourquoi dix jours pour  »les jeux » et un seul pour le deuil ? Peut-être parce qu’un Fonds créé en décembre 2022 accompagne de manière continue les  »survivants ». Mais  »les survivants » ne sont pas que les victimes directes?Des mécanismes structurants et holistiques ne seraient-ils pas nécessaires pour tout le pays ? Pourquoi vivre ce deuil au cours de la période où les  »jeux » sont organisés. Peut-être par pure coïncidence !

Après  »les jeux », il me semble important d’éviter de faire du  »Genocost »  »une question d’actualité » comme toutes les autres vite oubliées. Ici, il s’agit d’une question de  »survie » pour tout un peuple. Elle mérite d’être accompagnée par quelques réflexions.

Les deux étapes de la célébration

A force de persévérer, la jeunesse kongolaise consciente, courageuse et soucieuse d’avoir une bonne maîtrise de l’histoire de son pays, la résistance souverainiste,  »le mouvement des survivants » du  »génocide silencieux » , les hommes et les femmes de bonne volonté, quelques officiels kongolais ont fini par convaincre les gouvernants du pays que célébrer le 02 août était indispensable à l’entretien de la mémoire vivante et critique kongolaise. Désormais, c’est acquis. (Même si rien n’est acquis une fois pour toutes…) Et la jeunesse kongolaise s’est lancé un autre défi : réussir à imposer la reconnaissance de  »l’holocauste kongolais » au monde entier. Elle est décidée à se battre afin que ce défi se transforme en fait.

En attendant, il est souhaitable de revenir sur la célébration officielle du  »génocide kongolais » le 02 août. Après l’étape de  »la place des évolués », le FONAREV (Fonds National pour la Réparation des victimes des Violences Sexuelles liées aux conflits et des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité) a organisé celle de la Cité de l’ OUA. Des témoignages audiovisuels et ceux des  »survivants » ont été écoutés avant les discours des officiels. Ces témoignages ont arraché des larmes dans l’assemblée réunie pour célébrer ce jour mémorable. Les coeurs et les visages ont été envahis par une profonde tristesse. La magie des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication) a permis aux victimes de la barbarie génocidaire de se faire entendre plus de deux décennies après. Les  »survivants » présents ont mis les mots sur leurs souffrances.

Douleur, larmes, oui. Solidarité et fraternité, oui. Voilà le beau paradoxe

Ce moment fut d’un paradoxe inimaginable. Les  »survivants » racontaient les atrocités dont ils ont été victimes. Ils pleuraient. Des compatriotes dans l’assemblée pleuraient avec eux. A la fin de leurs récits, ils étaient applaudis. Pourquoi ? La jeune maman venue de Kananga -violée au début de  »la guerre par morceaux » et au moment du conflit opposant les adeptes de Kamwina Nsapo aux escadrons de la mort dépêchés sur place par les mercenaires de Kinshasa- a aidé à comprendre ce paradoxe.

Portant en elle une grave douleur et des stigmates de la barbarie qu’elle a subie, elle pleurait. Elle faisait pleurer. Vers la fin de son récit, elle confessait plus ou moins ceci : « Mon récit n’est pas destiné à arracher vos larmes. Bénéficiant de la solidarité de mes frères et soeurs du mouvement des  »survivants », je sais désormais que je ne suis pas seule. » Douleur, larmes, oui. Solidarité et fraternité, oui. Voilà le beau paradoxe.

Porter sa douleur, en souffrir, la dire, la partager sans honte et essayer de s’en sortir par la solidarité et la fraternité par-delà les tribus et les ethnies, telle est l’une des grandes leçons de ce moment douloureux. La solidarité et la fraternité rendent un autre à-venir possible.

Ce paradoxe n’est pas facile à porter dans sa chair et dans son coeur. Avant de donner son témoignage, le compatriote venu de Kisangani -forcé par les escadrons de la mort à commettre l’inceste avec sa mère et à manger un morceau de son corps découpé- a avoué que les applaudissements qui suivaient les témoignages lui faisaient mal.

Que peuvent bien signifier ces applaudissements ? Qu’est-ce qui était applaudi ? Pas les actes barbares de viol, de cannibalisme, d’inceste ou de sodomie. Non. Mais plutôt le courage de  »survivre » et de raconter ; de mettre sa douleur en récit.

Applaudir  »le courage », cette vertu de l’endurance dans l’impossible à transmuté en possible, est un acte d’encouragement et un responsabilité.

Encourager  »les survivants kongolais » à tenir le coup contre vents et marées est un devoir fraternel. C’est leur avouer que leur souffrance et leur douleur sont collectivement portées. Encore faudrait-il que les actes suivent pour confirmer cela. A ce point nommé, le FONAREV, ses initiateurs et ses accompagnateurs ont du pain sur la planche.

Encourager est une responsabilité dans la mesure où les efforts collectifs visibles conjugués pour éviter la non-répétition du  »génocide silencieux » devraient participer de tout un mouvement populaire de refondation du pays sur  »une éthique reconstructive ». Des efforts sectoriels peuvent être louables. Des efforts structurels de refondation du pays s’inscrivent, eux, dans une démarche plus holistique. Des efforts sectoriels peuvent être annihilés par les mammonistes vampires, ces frères et soeurs qui, au nom de l’argent, de la convoitise, de la cupidité et de l’avarice, créent des hôtels sacrificiels pour le reste de la population kongolaise.

Dans cet ordre d’idées, la justice juste peut être d’une aide certaine. Cette aide serait insuffisante si l’église, l’école et l’université, au lieu de se contenter de former les jeunes prêts à offrir leurs bras et leurs jambes aux patrons les plus offrants, ne les initient pas aux valeurs humanistes constituant pour le pays, à toujours bâtir plus beau qu’avant, un  »common deceny », un ensemble de valeurs partagées pour lesquelles la majorité populaire est prête à vivre et/ou à mourir. Les têtes, les coeurs et les esprits de tous les Kongolais et de toutes les kongolaises devraient être  »rebâtis » au même moment que les routes, les stades, les hôpitaux, etc.

 »Des survivants » et des questions éthiques d’une importance capitale

Revenons à la date du 02 août 2023. En mettant les mots sur leurs douleurs et leurs souffrances,  »les survivants » ont posé des questions éthiques d’une importance capitale. Ils ont pointé du doigt les questions des limites à ne pas dépasser afin de rendre l’être-ensemble et le vivre-ensemble possible.

Ils ont posé, entre autres, les questions du regard de l’autre, de l’inceste, de la mort et du cannibalisme.

 »Tu ne tueras pas »,  » Honore ton père et ta mère »,  »Tu ne convoiteras pas la femme d’autrui », etc, sont des principes violés au cours de ce  »génocide silencieux » et  »dé-civilisateur ».

La banalisation de la mort marche de pair avec celle de la vie. Cela ne s’est pas passé et ne se passe pas qu’à l’Est du pays. Non. A Kinshasa, à Lubumbashi, à Kananga et dans plusieurs coins du pays, les Kulunas, toutes catégories confondues, s’inscrivent dans ce dépassement des limites protectrices de la vie.

Etre forcé à commettre l’inceste avec sa mère peut être vécu profondément comme un déshonneur mortifère. Tout comme tomber victime du viol.

Ces questions éthiques sont liées à ce qu’ une guerre de dépeuplement et d’extermination d’un peuple permet : la perte presque totale de la boussole éthique.

Donc, redonner cette boussole éthique au pays est une urgence structurelle. Elle devrait être inscrite dans tous  »les projets de société » de ceux et celles qui voudraient gouverner le Kongo-Kinshasa demain. Les minorités éveillées et organisées, la résistance souverainiste, le mouvement des  »survivants », la jeunesse attachée au  »Genocost », les hommes et les femmes de bonne volonté, les officiels patriotes, etc. devraient être très exigeants à ce sujet. Une refondation re-civilisatrice du Kongo-Kinshasa en dépend. Elle devrait aussi questionner certaines de nos coutumes patriarcales au sujet du traitement qu’elles infligent aux victimes du viol et des traitements dégradants au cours d’un  »génocide silencieux ». Comment humaniser et sororiser ces coutumes afin qu’elles deviennent des lieux de production d’un regard bienveillant et compatissant à l’endroit des victimes innocentes de la barbarie masculine ? Comment ?

Conclusion

Il me semble que la célébration du  »génocide silencieux » dont souffre le pays depuis plus de deux décennie ce 02 août est une étape importante de l’histoire collective du Kongo-Kinshasa.

Elle est une victoire à engranger. Les questions éthiques que cette célébration pose devraient être prises en compte dans les démarches structurantes et holistiques de la refondation du pays. Celles-ci convoquent tous les lieux de structuration et de restructuration de l’humain kongolais afin qu’il soit  »rebâti » et rendu courageusement et consciencieusement capable de participer activement et en connaissance de cause au  »rebâtissement » de son pays sur un  »common decency » connu et partagé. C’est-à-dire un ensemble de valeurs accueillies au quotidien par le plus grand nombre en vue d’humaniser et/ou de sororiser le pays et constituant pour ce plus grand nombre les raisons de vivre et/ou de mourir.

Les témoignages des  »survivants » et de l’assemblée participant aux deux étapes de la célébration m’ont convaincu que mettre les mots sur sa douleur et sa souffrance tout en bénéficiant de la solidarité et de la fraternité d’autrui peut redonner du courage et ouvrir largement les portes d’un à-venir à porter collectivement en toute responsabilité.

Dans ce contexte, multiplier officiellement les lieux de mémoire est nécessaire. (à suivre)

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

Leave a comment

Your email address will not be published.


*