L’approche matérialiste de la terre et les dividendes de la paix au Kongo-Kinshasa

« Définir les institutions concrètes sous lesquelles une « société libre, égalitaire et décente » pourrait ainsi conférer tout son sens à cette dialectique du particulier et de l’universel constitue, à coup sûr, un programme philosophique subtil et exigeant (…) » J.-C. MICHEA

Mise en route

Lorsqu’on écoute des compatriotes kongolais s’exprimant sur les causes de la guerre raciste de prédation et de basse intensité menée contre le Kongo-Kinshasa, l’impression est qu’ils auraient fini par ingurgiter l’approche matérialiste et économiciste de la culture marchande, produit du triomphe de l’hégémonie néolibérale. Ceci est un signe. Il signifie, entre autres, que les luttes menées par ces compatriotes entre eux et/ou contre tous les racketteurs du pays sont fondées sur une même vision du monde et des choses. Sans un sérieux changement de paradigme du point de vue de l’approche du monde et des choses, la guerre de tous contre tous risque d’être le lot quotidien au pays de Lumumba. La résistance patriotique a besoin d’être bâtie sur une vision humaniste et traditionaliste différente en vue de sa re-civilisation. Car, le recours à la violence peut être dé-civilisateur, c’est-à-dire  »dé-bomotoïsant ». Ceci ne peut pas être facilement compris par  »les immédiatistes » et  »les présentéistes ». Ils n’ont pour horizon que le bout de leur nez.

La culture marchande divise

Oui, cette approche pourrait rendre cette guerre davantage perpétuelle. Pourquoi ? Cette vision néolibérale du monde et des choses prospère sur fond des principes de compétitivité et de concurrence, de la dispute du  »pouvoir-os ». Elle est fondée, je ne le dirai jamais assez, sur un individualisme méthodologique.

Et elle recourt à la politique de  »diviser pour régner ». C’est-à-dire qu’elle oppose et divise ceux et celles qui devraient être uni(e)s. Perpétuant une culture marchande, elle cultive l’égoïsme, le narcissisme et un repli sur un  »entre-soi » complaisant. Elle court-circuite la transmission d’une culture humaniste et traditionaliste différente. Celle qui promeut d’abord la solidarité (ou le solidarisme) méthodologique. Le principe de  »nkunde ya bangi ibobele ne mate »(les horicots cuits à plusieurs le sont par l’usage de leurs salives), du  »mukalenge batu bamuvinga bantu, kabatu bamuvinga nsona » (le chef se fait lier les  »bantu », les humains, et non la paille (les bintu)), du  »mukalenge wa bantu, bantu wa mukalenge » (le chef (en symbiose) avec les  »bantu » et des  »bantu » en symbiose avec le chef, le chef des  »bantu » et les  »bantu du chef ». Une symbiose, signe de l’essence du véritable pouvoir magnifiant la dialectique entre le  »Mukalenge » et  »les bantu » d’un même territoire, d’un même village, d’une même contrée.)

Le triomphe de la culture marchande peut signifier, pour plusieurs coeurs et plusieurs esprits kongolais, l’interruption, l’oubli et/ou le mépris de la transmission de cette culture de la solidarité agissante et de la gestion collective du pouvoir assumé par un  »primus inter pares » ; d’une culture intégrant  »le donner, le recevoir et le rendre » (la dette sociale).

Il devient compréhensible que les gestionnaires du  »pouvoir-os », leurs fanatiques, leurs thuriféraires et leurs tambourinaires, adeptes de la culture marchande, soient constamment impliqués dans la guerre de tous contre tous et ne voient la terre kongolaise que comme étant un réservoir de matières premières. Leur unique valeur est  »Mammon ». Consciemment ou inconsciemment, ils font partie des agents de la balkanisation et de l’implosion du pays. D’où leur servilité et leur assujettissement aux globalistes apatrides.

La terre, premier lieu d’ancrage

Ils ont perdu de vue que le terre est d’abord un premier lieu d’ancrage humain. Qu’elle est le lieu d’accueil de soi et de l’autre ; des  »bantu ba mbende » (des  »bantu d’autrui »). Qu’elle est un don des aïeux et un lieu de la rencontre avec leurs esprits. Qu’elle est le lieu d’orientation et de transmission de la culture et des traditions. Qu’elle n’est pas d’abord un réservoir de matières premières. Elle est le lieu de l’acquisition de l’identité originaire appelée, au fil du temps et des rencontres, à se pluraliser. (L’essentialisation de l’identité peut relever de la paresse intellectuelle et/ou de l’ignorance. Elle est un obstacle à son pluriel enrichissement, à son ouverture à la créolisation et à l’hybridation.)

Une approche marchande de la terre peut générer une violence perpétuelle, produire du mépris et de la haine pour l’identité humaine et pour  »le peuple humain ». Elle peut être auto-destructrice. Elle conduit ses adeptes au rejet de l’approche traditionaliste de cette terre comme lieu d’accueil de soi et de l’autre, du respect des  »bantu ba mbende » (des  »bantu » d’autrui).

Dans la sous-région des Grands lacs, elle favorise la dépopulation et elle est un frein au panafricanisme des peuples.

La violence dé-civilisatrice

La violence, sous toutes ses formes, peut être le lieu de la dé-civilisation. Elle sème la haine, la méchanceté et le nihilisme dans les coeurs et les esprits. Forcés à y recourir pour résister aux agents des matérialistes-militaristes, elle devrait être accompagnée du processus de re-civilisation des patriotes impliqués dans la guerre par procuration imposée au pays. Ce processus passe par la transmission de la culture du  »bomoto », par la pratique de la vérité, de la réconciliation (avec soi et avec les autres), de la paix (des coeurs et des esprits) et de la justice sociale, indispensable à la cohésion sociale et nationale ; et par leur incarnation dans les institutions justes et équitables.

Les résistants patriotes ne se contenteront pas, demain, de remarquer que les dividendes de la paix chèrement gagnée ne profitent qu’à une caste, celle des gestionnaires du  »pouvoir-os ». Leur rejet d’un arrêt pour refonder collectivement le pays sur des principes partagés risque de compromettre son devenir collectif et son engagement dans un processus de re-civilisation.

Conclusion : apprendre le civisme et la décence ordinaire

A ce point nommé, la gratuité de l’enseignement, au pays de Lumumba, devrait impérativement s’accompagner de l’apprentissage du civisme et de la décence ordinaire. Cela serait difficile à réaliser sans un maximum de souveraineté altruiste, bien que l’avenir conserve sa part d’inattendu et d’imprévisibilité. Travailler à l’invention d’un imaginaire individuel et collectif promouvant  »le bomoto » tout en restant ouvertes à l’imprévisible est une tâche dévolue aux minorités éveillées, agissantes, souverainistes, altruistes, panafricanistes et traditionalistes.

Babanya Kabudi

Génération Lumumba 1961

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